Modulation du microbiote intestinal

Les débuts de la transplantation fécale

Publié le 30/03/2015
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Depuis 2000,

il existe une augmentation de l’incidence des infections digestives à Clostridium et de la gravité des atteintes. Ces infections prennent la forme d’épidémies en Amérique du Nord et en Europe. En France, on estime à 25 000 par an le nombre de cas hospitaliers d’infection à Clostridium difficile (ICD) ; 3 500 d’entre elles sont sévères et responsables de près de 1 000 décès. Le traitement médicamenteux fait appel, en fonction de la gravité, au métronidazole, à la vancomycine et plus récemment à la fidaxomicine. De nouveaux antibiotiques sont en cours d’évaluation mais il est peu probable qu’ils révolutionneront la prise en charge des ICD. D’où l’intérêt de la transplantation fécale, qui consiste à rétablir la flore intestinale microbienne de patients atteints d’infection récidivante et réfractaire à C. difficile. On a en effet pu observer que les ICD étaient essentiellement liées à un déséquilibre de la flore intestinale qui devient progressivement monomorphe, ce qui représente l’un des principaux facteurs de rechute. La transplantation de selles d’un donneur à flore polymorphe permet de rééquilibrer la flore du receveur et donc d’éviter la récidive de l’ICD.

En mars 2014, l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a émis un avis autour de la transplantation fécale et a encadré cette pratique pour les essais cliniques destinés à évaluer son efficacité et sa sécurité.

Des risques à définir pour les maîtriser

Aujourd’hui, en l’état actuel des connaissances, il n’existe pas de situations contre-indiquant la transplantation de microbiote fécal. Les risques de la transplantation, qu’ils interviennent rapidement (risque infectieux ou allergique notamment) ou à long terme, nécessitent un encadrement. En ce sens, la réalisation d’essais cliniques permet de définir des conditions de sécurité optimales pour le receveur et de collecter des données exploitables en termes d’efficacité.

Des recommandations internationales récentes proposent ce traitement dans les infections à C. difficile multirécidivantes. « En France, précise le Pr Benoît Guery (Lille), deux indications sont en cours d’évaluation dans des essais cliniques programmés : les ICD et les maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) ». D’autres pathologies représentent des cibles potentielles, comme le diabète, l’obésité, les troubles fonctionnels intestinaux, certains désordres neuropsychiatriques…

L’ANSM précise qu’en l’absence d’un rapport bénéfice/risque clairement établi, cette approche doit être réservée aux situations graves ou rares, en échec de traitement conventionnel et en l’absence d’alternative thérapeutique disponible et appropriée.

« Un groupe français de transplantation du microbiote fécal s’est formé, souligne le Pr Guery. Il se compose d’infectiologues, de gastro-entérologues et de pharmaciens, qui se sont donnés pour objectif d’adapter l’avis de l’ANSM construit dans le cadre de la recherche, pour une pratique plus courante. Leur réflexion et leur analyse devraient aboutir à la rédaction d’un document rationnel plus compatible avec les réalités cliniques ». Car, aujourd’hui, le cadre de réalisation de la transplantation fécale, notamment en ce qui concerne la sélection du donneur, est extrêmement lourd. La pratique courante est donc difficile malgré des recommandations internationales qui la préconisent en cas de récurrence des ICD.

Une sélection du donneur extrêmement précise

Les candidats au don doivent être interrogés minutieusement afin de diminuer la probabilité d’une transmission d’agents pathogènes (infectieux et autres). Cet entretien de présélection représente également l’occasion de sensibiliser le donneur potentiel sur l’importance de limiter toute contamination jusqu’au jour du don en lui fournissant des recommandations dans ce sens (alimentation, voyage, comportements à risque…).

Des analyses sérologiques sont ensuite réalisées ainsi qu’un examen bactériologique et parasitologique des selles. Le don destiné à la transplantation doit être administré, une fois prélevé, dans les six heures. Le microbiote répondant à la définition d’un médicament, sa préparation doit être réalisée sous la responsabilité d’une pharmacie à usage intérieur (PUI) d’un établissement de santé.

« La lourdeur de la sélection en France, explique le Pr Guery, impose un encadrement strict. Ceci va nous mener probablement vers la reconnaissance de centres de référence. Car, si la manœuvre est simple, la sélection du donneur et du receveur doit être rigoureusement encadrée ; en outre, les indications vont augmenter. Dans les prochaines années, il faudra standardiser la technique afin de la faire entrer dans la pratique courante. Le matériel va évoluer. La congélation de selles est envisagée, de nouvelles galéniques sont proposées sous forme de gélules, des selles artificielles sont à l’étude… Nous sommes au début d’une histoire ».

Entretien avec le Pr Benoît Guery, chef du service d’infectiologie, CHRU de Lille
Dr Brigitte Martin

Source : Bilan spécialiste