Gastroentérologie

Microbiote intestinal et greffe fécale : un domaine à structurer

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Publié le 18/03/2022
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Une note de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dresse un état des lieux de la réglementation autour des produits thérapeutiques issus du microbiote et souligne le besoin d'harmonisation au niveau européen.
Le microbiote interagit avec le cerveau via le système nerveux et humoral

Le microbiote interagit avec le cerveau via le système nerveux et humoral
Crédit photo : Phanie

Dans une note scientifique courte dédiée au microbiote intestinal, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) souligne la nécessité d'une réglementation adaptée aux thérapeutiques qui en sont issues et pointe la fragile place de leader européen de la France dans le domaine.

« Pour parvenir à cette synthèse, nous avons organisé une trentaine d'auditions », raconte Philippe Bolo, député et membre de l'Opecst. Dans un premier temps, le microbiote a été défini comme un écosystème de micro-organismes divers (bactéries, phages, archées, virus, champignons) hébergé par l'être humain. Les progrès du séquençage génétique ont permis de mieux le caractériser et de montrer qu'avec 600 000 gènes microbiens, le microbiome humain est 25 fois plus important que le génome humain en termes d'information génétique.

Le microbiote interagit avec la santé humaine, notamment via la production de métabolites. Ces effets sont bénéfiques en cas de symbiose, mais de nombreuses pathologies sont associées à une altération du microbiote ou dysbiose. « Ces déséquilibres du microbiote ont un impact sur les maladies cardiométaboliques, les pathologies intestinales, mais aussi sur l'efficience de certains traitements médicamenteux », précise Philippe Bolo. La note scientifique de l'Opecst souligne également l'interaction du microbiote avec le cerveau via le système nerveux et le système humoral.

17 essais cliniques en cours en France

« De là, apparaissent un certain nombre de perspectives. Et si le microbiote représentait un nouveau paradigme pour les traitements médicaux ? Quel statut donner aux thérapeutiques qui en sont issues pour garantir un usage adapté et la sécurité des patients ? », questionne le député. Les membres de l'Opecst se sont intéressés en particulier à la transplantation de microbiote fécal et aux souches microbiennes probiotiques.

La transplantation vise à administrer une préparation obtenue à partir de selles de donneurs sains pour rééquilibrer un microbiote altéré. « La technique est utilisée dans le soin courant pour le traitement de dernière intention d’infections récidivantes à Clostridioides difficile [anciennement Clostridium difficile, NDLR], avec une très bonne efficacité thérapeutique », est-il rappelé dans la note. En dehors de cette indication, la greffe peut être réalisée en accès compassionnel et 17 essais cliniques sont en cours en France, dont un en phase 3. Dans ce cadre, la transplantation de microbiote fécal est réglementée par l'agence française du médicament (ANSM), qui dès 2014 a émis des recommandations, régulièrement mises à jour, pour encadrer cette pratique.

La loi de bioéthique de 2021 a permis de donner un cadre juridique à la collecte des selles à des fins thérapeutiques. « Après cette première manifestation de l'intérêt pour le microbiote, une nouvelle étape devrait être franchie dans la prochaine loi de bioéthique, d’autant plus que d'ici là, la montée en puissance du sujet aura opéré », prédit Philippe Bolo.

Un statut à définir

Au niveau européen, il existe des différences réglementaires qui pourraient freiner l'innovation. Par exemple, en France, la transplantation de microbiote fécal est appréhendée sous l'angle du médicament, quand elle est classée dans la catégorie des tissus-cellules dans d'autres pays comme l'Italie. « Des évolutions importantes sont attendues au niveau européen, avec la révision de la législation sur le statut "sang, tissus, cellules" : les selles et le lait maternel doivent y être inclus comme Substance d’Origine Humaine, ce qui réglementera leur collecte pour un usage thérapeutique, affectera les délimitations avec les autres législations, et placera la collecte de selles en opposition avec la récente législation française », est-il précisé. Un travail de clarification et d’harmonisation, encouragé par le Pharmabiotic Research Institute (PRI), est par ailleurs nécessaire, lit-on aussi.

L'uniformisation au niveau européen est en effet essentielle « pour des avancées et des transpositions plus rapides », estime le député, qui appelle à s'intéresser également à ce qui est fait outre-Atlantique.

L'étude du microbiote a par ailleurs mis en évidence l'intérêt des probiotiques. « Dans le cadre de la transplantation de microbiote fécal, le but à terme serait de s’affranchir du don de selles, en cultivant des souches de bactéries intéressantes et en les encapsulant directement en gélules pour les délivrer comme médicaments », lit-on.

Une place de leader menacée

La note de l'Opecst pointe la position de leader européen de la France dans le domaine du microbiote, avec « un tissu d’entreprises qui valorisent des travaux académiques précurseurs ». « L'Inrae a notamment apporté beaucoup de résultats dans le domaine, rapporte Philippe Bolo. Nous avons donc une connaissance scientifique en avance, mais la France rencontre des difficultés à les transposer dans une approche routinière, ce qui fait qu'un certain nombre d'entreprises peuvent être amenées à aller vers les territoires où la réglementation est plus favorable à l'exercice de leur activité économique. »

La France doit réussir à maintenir sa place de leader, poursuit le député, à travers le corpus réglementaire, les aides financières, les dispositifs d'aide aux entreprises, mais aussi le développement des technologies.

Une tendance structurelle

Une question s'est par ailleurs posée aux parlementaires de l'Opecst : le microbiote relève-t-il d'un effet de mode ou bien d'une tendance de fond ? « Le travail que nous avons réalisé et la note que nous avons rédigée tendent à montrer que nous sommes dans une tendance structurelle pour différentes raisons », affirme le député, listant les publications sur le microbiote qui augmentent, reflétant l'intérêt de la communauté scientifique pour le sujet, les investissements tant publics que privés qui augmentent également, et les nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle et la métagénomique, qui vont faciliter la compréhension du microbiote et de son fonctionnement.

« Nous sommes face à une tendance structurelle qui servira les intérêts d'une communauté scientifique française et des patients dès lors que le cadre réglementaire aura structuré le domaine », conclut Philippe Bolo.

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin