Les horlogers biologiques nobélisés

Le corps humain au diapason du rythme circadien

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Publié le 05/10/2017
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Crédit photo : AFP

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L’alternance entre la veille et le sommeil, la régulation de la température corporelle, la pression artérielle ou la fréquence cardiaque… autant de fonctions biologiques régulées, à des degrés divers, par le rythme circadien, calé sur une journée de 24 heures par notre horloge biologique.

Les fraîchement nobélisés Jeffrey Hall, Michael Rosbash et Michael Young ont découvert les bases moléculaires du cycle circadien, installant au pasage les fondations de la chronobiologie moderne.

On savait depuis l’antiquité que les plantes se comportaient différemment le jour et la nuit. Au 18siècle, l’astronome Jean Jacques d’Ortous de Mairan décrivait notamment la réaction des feuilles de mimosa qui s’ouvrent en journée et se referment la nuit. Il faut attendre les années 1960 pour que l'on prouve que ces changements sont une véritable propriété des organismes vivants et non une réponse aux signaux extérieurs, par la découverte de mutants et de l'implication du noyau suprachiasmatique (NSC) situé au-dessus du chiasma optique.

Alliance sacrée

À la même époque, le biologiste Seymour Benzer identifie le rôle du gène Period dans la régulation du rythme circadien. Jeffrey Hall, qui fait partie des thésards de Seymour Benzer, se passionne pour cette notion révolutionnaire de gène dictant le comportement. « Michael Rosbash travaillaient sur les mécanismes d'épissage de l'ARN, Jeffrey Hall l'a débauché », se souvient François Rouyer, de l'institut des Neurosciences Paris-Saclay, qui a côtoyé les deux hommes au début des années 1990, à Boston. « Cette alliance d'un généticien et d'un biologiste moléculaire a permis la découverte du site précis du gène Period », poursuit François Rouyer.

En 1984, les deux hommes montrent que la protéine PER, produite par le gène Period, se dimérise avec la protéine TIME pour réguler négativement sa propre expression sur une période de 24 heures. La même démonstration est faite simultanément à 350 km de là par Michael Young dans son laboratoire de l'université Rockfeller de New York.

En 1998, ce dernier fait une autre découverte majeure : l'enzyme clé « Doubletime » qui induit un décalage entre la production de PER et son accumulation. Ils ont ensuite montré que PER s'accumule dans la cellule au cours de la nuit puis se désagrège pendant le jour. Une autre pierre importante à l'édifice sera apportée par le neurobiologiste Joseph Takahashi (institut médical Howard Hughes) grâce à qui l'on sait que les mécanismes décris par Hall, Rosbach et Young existent également chez les mammifères.

Les 2 fuseaux horaires biologiques

Plusieurs horloges biologiques se superposent : l'horloge biologique centrale, régulée par l'activité des gènes codant pour PER 1 et PER 2 dans le NSC, directement calée par les signaux luminaux transmis par l'œil, et les horloges biologiques périphériques régulées en partie par l'horloge biologique centrale, et en partie par un ensemble de facteurs. En l'absence de lumière, l'expérience de Michel Siffre en 1962 (ce géologue de formation est resté seul pendant 2 mois dans une grotte à 130 m de profondeur) montre que le rythme biologique se cale progressivement sur une périodicité d'environ 23 h 30.

« Si on inactive sélectivement les gènes horloges dans le foie et le pancréas de souris vivantes, elles développent rapidement des troubles métaboliques, alors que les autres organes restent correctement réglés », illustre le Pr Paul Franken de la faculté de biologie et de médecine où il travaille sur l'aspect énergétique et génomique de l'université de Lausanne. A contrario, il est possible d'inverser le rythme d'expression des gènes horloges en inversant le rythme alimentaire de souris.

Ces deux horloges s'entre-régulent en outre de manière complexe et encore mal explorée. « Un des systèmes les mieux décrits est la variation de la tempréature corporelle réglée dans le NSC, qui contribue ensuite à régler les différentes horloges périphériques », explique François Rouyer.

Le rôle central du sommeil

Plusieurs pathologies sont associées, aux troubles du rythme circadien, à commencer par les troubles du sommeil : l'avance de phase, observée chez les personnes âgées, le retard de phase, fréquent lors de la puberté, et le « libre cours », un phénomène connu chez les aveugles dont l'horloge centrale n'est pas régulée par la lumière.

Des chercheurs comme Ouria Dkhissi-Benyahya, de l'INSERM U1208, « Institut cellule souche et cerveau » travaillent sur l'implication du rythme circadien dans la dépression. « La photothérapie a une efficacité prouvée dans le traitement des dépressions saisonnières et des dépressions majeures, mais on ne sait pas pourquoi, explique-t-elle, on s’intéresse aux cellules ganglionnaires de la rétine, sensibles à la lumière bleue, qui projettent leurs axones dans plusieurs régions du cerveau liées à la dépression. »

On découvre constamment de nouvelles implications de la régulation circadienne dans les processus biologiques. « Environ 20 % de nos gènes ont une activité régulée par les gènes horloges », estime Ouria Dkhissi-Benyahya. « On est loin d'avoir identifié toutes les étapes enzymatiques qui relient les gènes horloges et les fonctions biologiques, ajoute pour sa par part François Rouyer, c'est un des domaines de recherche parmi les plus dynamiques. » Trente ans après, les chercheurs n'ont pas fini de prendre la mesure de l'héritage de Jeffrey Hall, Michael Young et Michael Rosbash.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9607