Création d’une cellule « minimale » par l’équipe de Craig Venter

Une bactérie synthétique contenant un génome minimal nécéssaire pour la vie

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Publié le 29/03/2016
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Crédit photo : C. Bickel-Science

Les travaux publiés dans « Science » par Craig Venter et col. représentent une avancée majeure pour la recherche.

La création du plus petit génome viable existant dans la nature offre une plateforme inédite pour étudier les fonctions fondamentales de la vie et fournit des outils pour construire n’importe quelle cellule dotée de propriétés souhaitées avec de multiples applications, tant en médecine que dans d’autres domaines.

« L'origine de cette étude remonte à un peu plus de 20 ans, en 1995, lorsque notre Institut a synthétisé le premier génome d’une cellule, Hæmophilus influenzae (1815 gènes), puis le génome du Mycoplasma génitalium (525 gènes) connu pour être le plus petit génome d’une cellule s’autorépliquant trouvée dans la nature », explique le Dr Craig Venter, fondateur de l’institut J. Craig Venter et co-fondateur de la compagnie Synthetic Genomics, situés à La Jolla en Californie. En discutant philosophiquement sur la différence entre ces 2 génomes, nous avons réalisé que la seule façon de répondre aux questions fondamentales sur la vie était d’obtenir un génome minimal, et que probablement la seule façon d’avoir ce génome était d’essayer de le synthétiser. »

Mutagenèse par transposon

Les mycoplasmes, poussant dans l’environnement riche en nutriments de leurs hôtes animaux, ont perdu au fil de l’évolution de nombreux gènes non nécessaires. Ils possèdent ainsi les plus petits génomes des cellules se répliquant de façon autonome.
En comparant les génomes d’H. influenzae et de M. génitalium, l’équipe avait identifié 256 gènes en commun, lesquels pouvaient constituer le groupe de gènes minimal nécessaire pour la vie.
.En 1999, utilisant une méthode de mutagenèse par transposon pour tester cette hypothèse, l’équipe démontrait que M. génitalium contenait 150 gènes « non essentiels » (sur 525), ce qui suggérait la présence de 375 gènes « essentiels ».

Après avoir développé des méthodes pour synthétiser chimiquement le génome, les chercheurs ont porté leur attention sur le Mycoplasma mycoides dont la croissance cellulaire plus rapide que celle du M. génitalium facilitait l’étude. En 2010, ils annonçaient la synthèse du génome du M. mycoides (JCVI-syn1.0) et le transplantaient dans un autre mycoplasme, M. capricolum, dépourvu de son propre ADN. Cette bactérie synthétique se montrait viable, produisant les protéines du M. mycoides.

L’objectif était maintenant de minimiser ce génome synthétique (Syn1.0). En se fondant sur la biologie moléculaire connue, des versions minimisées étaient construites puis introduites dans M. capricolum, mais aucune des cellules n’était viable à la grande surprise des chercheurs. De meilleures méthodes de mutagenèse par transposon leur ont permis de découvrir une classe de gènes « quasi-essentiels », en fait nécessaires pour une croissance robuste. Et des gènes classés initialement comme « non-essentiels » partageaient en fait la même fonction avec un second gène, de telle façon que la cellule pouvait se passer de l’un d’eux mais pas des deux.

Synthèse des macromolécules

Après de multiples tâtonnements, 3 cycles de conception, synthèses et tests sur des centaines de candidats, l'équipe a enfin obtenu le mycoplasme JCVI-syn 3.0 dont le génome contient 473 gènes, ce qui en fait le plus petit génome des cellules s’autorépliquant. Syn3.0 pousse sur un milieu riche en nutriments avec un temps de doublement de 3 heures.

Cette bactérie Syn 3.0 conserve tous les gènes impliqués dans la synthèse et le traitement des macromolécules. De façon surprenante, un tiers de ses gènes, soit 149 gènes, ont une fonction inconnue. Un premier objectif des chercheurs sera donc de découvrir le rôle de ces gènes, ce qui promet d’offrir de nouveaux éclairages sur la biologie fondamentale de la vie. En parallèle, cette bactérie synthétique sera utilisée pour introduire dans son génome des fonctions souhaitées pour des applications diverses, en médecine, nutrition, en agriculture, et d’autres. Ces cellules devraient subir moins de mutations puisque chaque gène est essentiel ; et puisqu’elles sont très simples, elles devraient être plus faciles à manipuler.

Une leçon d'humilité

Malgré le tour de force que représentent leurs travaux, les chercheurs retiennent surtout la leçon d’humilité. « Nous montrons combien la vie est complexe même chez le plus simple des organismes, vu que nous ne comprenons pas les fonctions d’un tiers de ses gènes. C’est une leçon d’humilité à cet égard », souligne le Dr Venter. « Ces résultats nous montrent aussi qu’il faut avoir une vision génome-centrique de la vie, avec une étude des fonctions à travers le génome, plutôt qu’une vue géno-centrique, centrée sur des variants ou des gènes uniques. La vie ressemble davantage à un orchestre symphonique qu’à un joueur de piccolo », ajoute-t-il.
Le Dr Clyde Hutchinson (JCVI) en convient : « Les discussions battent leur plein sur l’édition CRISPR du génome. Lorsque l’on voit que nous comprenons uniquement 2/3 du génome de la cellule la plus basique qui puisse être créée aujourd’hui, nous sommes probablement à un niveau de compréhension du génome humain d’environ 1 % . Je pense pour cela qu’il est très prématuré de parler d’éditer le génome humain tant que nous n’en savons pas davantage. »

Science 25 mars 2016, Hutchinson III et coll.

Dr Veronique Nguyen

Source : Le Quotidien du médecin: 9483