Greffe d'organes

Publié le 28/05/2018
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À cette époque, Nous (notre encéphale et sa conscience) avions décidé de nous équiper de sous-espèces.

Non que Nous agîmes par compassion pour un stock de viscères en mal de services, ni pour faire comme la majorité de nos coreligionnaires, mais bien que, désireux de prolonger notre séjour terrestre (Nous, les Anges, avons aussi des caprices), Nous nous préoccupâmes de l’utilité de certains organes (le foie s’avéra un choix pertinent) pouvant Nous aider dans cette démarche.

Nous avions acquis : une paire de sous-espèces mains, une lévogyre, une dextrogyre, un rein droit, une vessie, un poumon droit trilobé, une jambe gauche, un œil droit et une oreille gauche, ainsi qu’un réseau de vaisseaux et de nerfs pour lequel, Nous eûmes l’œil droit plus gros que le ventre (ventre que nous n’avions pas), puisqu’à la fin des raccords, il nous restait un excédent de cinq mètres cinquante.

Ainsi équipés, nous parcourûmes l’univers.

Nous pouvions nous déplacer (en sautillant), voir, entendre, toucher et abuser des nourritures terrestres grâce à nos trois émonctoires.

L’une des rencontres des plus enrichissantes qu’il nous fut donné de faire durant notre lamentable périple, fut celle d’un endoplasme muni de sept pénis et de quatorze testicules… nous l’abordâmes façon Cyrano :

           - Holà l’ami… De quoi sert cette oblongue capsule ?

            - Holà si vous saviez ce que je regrette !...Vous maîtrisez le concept d’excédent ?

            - Holà que oui !...nous en fîmes la triste expérience à propos de tuyauterie et de câbles !

- Hé bien les sept sous-espèces dont j’étais si fier de m’être paré ne sont que sources d’ennuis !...Surtout n’investissez pas dans le phallique, c’est un mauvais placement !...Et vous, vous regrettez quelque chose ?

Nous lui citâmes alors Schopenhauer : « Ce qui, dans la conscience de nous-mêmes, c’est-à-dire subjectivement, se présente sous la forme de l’intellect, dans la conscience d’autre chose, c’est-à-dire objectivement, prend la forme du cerveau ; ce qui, dans la conscience de nous-mêmes, c’est-à-dire subjectivement, prend la forme de la volonté, dans la conscience d’autre chose, c’est-à-dire objectivement, prend la forme de l’organisme dans son ensemble »…Nous avons déploré l’organisme dans son ensemble.

Il était temps de prendre congé, nous le fîmes avec l’élégance que confère Bréhier* à notre définition : « La combinaison de l’unité absolue de la causalité divine avec une indépendance relative dans l’ensemble de ses manifestations ».

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* Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, EPN, Vrin, 2d éd, p154. Emile Bréhier.


Source : Le Quotidien du médecin: 9668