Des gynécologues médicaux aux obstétriciens

Il y a urgence à s’atteler au problème de la démographie !

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Publié le 24/06/2022
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Les gynécologues-obstétriciens ont monté une commission démographie. Depuis deux ans, elle dresse un état des lieux et réfléchit à des solutions pérennes pour assurer la continuité des soins en obstétrique à toutes les femmes.
L’objectif de 1 500 naissances annuelles minimum pour toutes les maternités

L’objectif de 1 500 naissances annuelles minimum pour toutes les maternités
Crédit photo : phanie

Sans données disponibles à propos des besoins réels sur le terrain, il ne peut y avoir de bonne régulation. Or, aussi surprenant que cela puisse paraître, cet état des lieux n’est pas clairement connu, et pour cause : « au Ministère de la Santé, à l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), il n’y a que quatre personnes pour évaluer les besoins démographiques pour l’ensemble des professions médicales, y compris les pharmaciens et les dentistes, pour toute la France », regrette le Pr Olivier Morel (CHU Nancy), qui a coordonné un rapport à ce sujet.

Des besoins mal évalués

Selon l’ONDPS, la densité moyenne de gynécologues-obstétriciens est de 17,6 pour 100 000 femmes de plus de 15 ans, avec des variations allant du simple au triple selon les régions (par exemple, 7,9 en Mayenne pour 22,2 en Provence-Alpes-Côte d’Azur). Concernant les gynécologues médicaux, elle est de 9,8/100 000 femmes de plus de 15 ans (2/100 000 seulement en Indre !), mais le pire est à venir : on comptait 3 600 gynécologues médicaux en 2013, 2 795 en 2018… il n’y en aura que 780 en 2030, car les formations d’internes ne compensent pas les départs en retraite.

« Certains départements n’ont déjà plus de gynécologues médicaux. Les gynécologues-obstétriciens ont de moins en moins de temps pour assurer le suivi des femmes, hors grossesse ou prise en charge chirurgicale. Le relais des sages-femmes a dû mal à se mettre en place, et elles ne peuvent de toute façon pas assurer le suivi des femmes qui ont une pathologie gynécologique. Quant aux médecins généralistes, tous n’ont pas suivi de formation spécifique en gynécologie, et eux aussi manquent de temps », souligne le Pr Morel. D’autant que les régions les plus sous tension au regard de l’accès aux spécialistes sont aussi bien souvent celles où l’accès aux généralistes est aussi saturé. « Et les rôles respectifs des différents professionnels de santé ne sont pas clairement définis », rappelle-t-il.

« On n’a même pas d’étude disponible en France qui évalue clairement les besoins de la population, et la proportion de femmes qui renoncent aux soins gynécologiques ! », indique le spécialiste. Par exemple, en ce qui concerne les cancers gynécologiques de la femme, ils peuvent être pris en charge par les gynécologues, mais également, en théorie, par des chirurgiens viscéraux et/ou les oncologues. On ne connaît pas en France les besoins de formation pour assurer ces prises en charge. « Un groupe de travail, coordonné par le Pr Chérif Akladios (Strasbourg) pour le CNGOF, a évalué qu’il fallait deux chirurgiens cancérologues en gynécologie pour un million d’habitants : ce chiffre-clé n’était même pas disponible auparavant dans notre pays ! », s’insurge le spécialiste.

Une capacité de formation saturée

Pour le Pr Morel, la fin du numerus clausus et la promesse d’avoir plus d’internes formés sont des nouvelles en trompe-l’œil. « Les facultés n’ont pas les capacités d’accueil et de formation des étudiants en médecine. Il n’est pas envisageable de penser que tous les étudiants passeront en gynécologie durant leurs études, il n’y a pas assez de services pour les accueillir et les former. Envoyer des internes en gynécologie-obstétrique se former dans des petites structures sans équipe stable, cela n’a pas de sens. En métropole, 215 postes sont ouverts tous les ans dans notre spécialité : or, 40 % des régions ne pourront pas augmenter le nombre de postes d’internes, de sorte que le maximum d’internes qui pourraient être formés est estimé, par les responsables universitaires, autour de 260 par an. »

Mais le problème n’est pas seulement quantitatif. Sur les 5 230 gynécologues-obstétriciens actuels (un chiffre en augmentation depuis 2012), il n’y a aucune information sur leur mode d’exercice (participation aux gardes, chirurgie, gynécologie médicale ou échographie en exclusivité), aucune donnée sur les temps partiels, aucune information sur le nombre de titulaires et/ou d’intérims pour assurer les gardes ni sur le nombre de gardes assurées par chacun d’entre eux. Ces informations sont détenues par les directions des hôpitaux, mais il n’y a pas base de données nationale. « Nous avons collecté de notre côté des informations auprès de nos réseaux, qui restent parcellaires : elles concernent environ 35 % des maternités françaises, réparties sur quasiment toutes les régions. Notre questionnaire était centré sur les critères de tensions démographiques (au moins cinq gardes par mois, recours à l’intérim, pas assez de médecins titulaires) et il n’en est ressorti que des mauvaises surprises, pointe le Pr Morel : dans plus de 90 % des maternités de moins de 1 000 naissances, on retrouve de tels critères de tensions démographiques. Parmi celles qui font de 1000 à 2000 naissances, plus de 40 % sont en tension. Et on retrouve encore de 15 à 20 % de tension dans les maternités de plus de 2000 naissances (au-delà de 3000, la charge de travail en garde a également été prise en compte dans les critères de tension). »

Tensions importantes dans les maternités les plus petites

« En allant plus loin dans l’analyse de notre rapport, on voit que les tensions ne sont pas corrélées aux régions, mais aux structures, les structures repoussoirs étant les petites maternités : elles suscitent le rejet, car le nombre de gardes y est trop important, elles cumulent les problèmes de sécurité en cas de problème à l’accouchement (anesthésistes, pédiatres et gynécologues n’ont pas de garde sur place et il n’y a pas de possibilités de renforts sur les équipes restreintes) et la très faible attractivité des gardes (250 € pour une garde de nuit de douze heures), ce qui remet complètement en cause le modèle français, avec ses nombreuses petites maternités », explique le Pr Morel.

Plus de 30 % des obstétriciens sont actuellement, ou ont eu, un burn out, et cessent leur métier. C’est aussi vrai pour les sages-femmes, qui préfèrent une activité de consultation. Or si, sur tous les autres aspects de la profession, d’autres professionnels de santé (généralistes, sages-femmes, chirurgiens cancérologues, etc.) peuvent prendre en charge une partie des problèmes, dans une salle de naissance, les obstétriciens restent irremplaçables.

Ne pas confondre proximité et accessibilité

Pour le Pr Morel, l’objectif désormais n’est pas d’avoir des petites maternités partout, mais bien de permettre à toute femme, même située à une heure de la première maternité, d’être suivie toute sa vie. « Il faut réfléchir à un autre système de santé, avec des maternités qui arrivent à recruter : revalorisation des gardes, équipes suffisamment dimensionnées pour ne pas faire plus de trois ou quatre gardes par mois, et remanier en profondeur de l’offre de soins des maternités en France. »

« Au classement à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France est à la 30e place en santé périnatale, ce qui n’est pas glorieux ! » Les meilleurs systèmes de santé au monde sont dans les pays nordiques, notamment la Finlande : avec environ 60 000 naissances annuelles pour 5 millions d’habitants et une densité très faible, beaucoup plus de difficultés de transports et de la neige une bonne partie de l’année, il n’y a que 18 maternités dans le pays (et il est envisagé de passer à 16). Aucune ne fait moins de 1 000 naissances. « L’approche finlandaise est plus pragmatique. Par exemple, en France, on reconstruit systématiquement au même endroit, même si l’emplacement n’est plus forcément cohérent et qu’il serait utile de se positionner ailleurs. Ce n’est pas le cas en Finlande », explique le Pr Morel.

Pour autant, il ne s’agit pas selon lui de fermer toutes les petites maternités françaises. « Il faut mieux coller aux besoins, et viser le seuil de 1 500 naissances annuelles, quitte à faire quelques exceptions dans des endroits peu accessibles, en laissant une grosse équipe d’une autre maternité venir faire des gardes. »

Exergue 1 : « Les rôles respectifs des différents professionnels de santé ne sont pas clairement définis »

Exergue 2 : « Il n’y a pas assez de services pour accueillir et former tous les étudiants en gynécologie »

Entretien avec Pr Olivier Morel (CHU Nancy)

Dr Nathalie Szapiro
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Source : lequotidiendumedecin.fr