Leucémie lymphoblastique aiguë : la poussée du blinatumomab

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Publié le 10/02/2023
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Dans différentes formes de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL), en consolidation ou en induction, le recours au blinatumomab améliore notablement la survie et permet parfois de s’exempter de l’allogreffe.
Dans les LAL-B avec chromosome de Philadelphie, le pronostic a été bouleversé par les inhibiteurs de tyrosine kinase et les immunothérapies

Dans les LAL-B avec chromosome de Philadelphie, le pronostic a été bouleversé par les inhibiteurs de tyrosine kinase et les immunothérapies
Crédit photo : NCI/PHANIE

Le pronostic des patients atteints de LAL-B, avec chromosome de Philadelphie (Ph+), a été bouleversé par l’utilisation des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) et des immunothérapies. Le traitement standard consiste, après avoir obtenu la rémission complète (RC), à proposer une allogreffe de cellules souches (GCS) si l’état du patient le permet. 

Vers une association en première ligne

Le ponatinib, un ITK, et le blinatumomab, un anticorps bispécifique anti-CD19/CD3, ont chacun fait la preuve de leur efficacité en monothérapie dans la LAL (Ph+). Une étude de phase II à un bras a donc évalué l’impact de leur association (1). Elle a inclus 40 patients de 20 à 83 ans (âge médian 57 ans) atteints d'une LAL Ph+ nouvellement diagnostiquée : 75 % avaient la protéine de fusion p190 et 60 % des facteurs de risque cardiovasculaire contrôlés. Ils pouvaient avoir été traités par un à deux cycles de chimiothérapie. Dans cet essai, ils ont reçu cinq cycles de blinatumomab en perfusion continue, associé au ponatinib 30 mg/jour (réduit à 15 mg/jour une fois la réponse moléculaire complète [RMC] obtenue), poursuivi pendant au moins cinq ans. Douze doses de chimiothérapie prophylactique intrathécale, alternant cytarabine et méthotrexate, ont ensuite été délivrées.

Le taux de réponse complète (RC) était de 96 % : 27 sur 28 patients évaluables (12 sujets étant déjà en RC lors de l’inclusion). Le taux de RMC (critère principal) est de 87 % (33 sur les 38 patients évaluables, 2 étant en RMC à l’inclusion). La RMC a été obtenue rapidement (26 dès le premier cycle). Chez les 25 patients dont la maladie résiduelle (MRD) a été évaluée par NGS, 88 % avaient une MRD négative (indétectable). Parmi les 39 patients ayant reçu au moins un cycle complet de ponatinib-blinatumomab, un seul est décédé de choc hypovolémique après un cathétérisme cardiaque. Les 38 autres sont actuellement en rémission hématologique. Un seul patient a reçu une allogreffe, en raison de la persistance de transcrits BCR-ABL1. La survie sans progression (SSP) et la survie globale (SG) estimées à deux ans sont de 95 %. « L’association ponatinib/blinatumomab est efficace et bien tolérée en première ligne de traitement des LAL Ph+ nouvellement diagnostiquée. Les résultats sur la RMC et la survie laissent espérer de pouvoir s’affranchir de l’allogreffe mais doivent être confirmés par des effectifs plus large et un suivi plus long », se félicite le Dr Nicholas Short (Houston).

De plus, le traitement a été bien toléré. La plupart des effets indésirables (EI) étaient liés au ponatinib et de grade 1-2. Aucun EI de grade 4-5 n’a été relevé. Le ponatinib a été arrêté chez deux patients, en raison d'EI cardiovasculaires potentiellement liés. 

Un bénéfice en traitement de consolidation

Malgré le taux élevé de RC avec la chimiothérapie conventionnelle, les patients LAL-B (Ph négatif) rechutent fréquemment. L’objectif de l’essai de phase III ECOG-ACRIN E1910 était de déterminer si l’adjonction du blinatumomab, à la chimiothérapie de consolidation, pouvait améliorer l’efficacité (2).

Les 488 participants âgés de 30 à 70 ans (51 ans d’âge médian), ont reçu 2,5 mois de chimiothérapie d'induction. Les personnes en rémission morphologique complète (RC ou RC avec récupération hématologique incomplète [RC/RCi]) recevaient ensuite du méthotrexate à haute dose et de la pégaspargase. Puis, ils ont été randomisés pour recevoir quatre cycles de chimiothérapie de consolidation, avec ou sans quatre cycles de 28 jours de blinatumomab. Les sujets avec une MRD positive ont été affectés au bras blinatumomab et exclus de la randomisation. Après la fin de la chimiothérapie de consolidation, les patients ont reçu un traitement d'entretien par chimiothérapie de 2,5 ans, programmé à partir du début du cycle d'intensification. La décision d’allogreffe de cellules hématopoïétiques était laissée à la discrétion du médecin traitant (22 patients dans chaque bras).

Le taux de RC/RCi après chimiothérapie d'induction était de 81 %. Parmi les patients avec une MRD négative (lors de la troisième analyse d'efficacité intermédiaire), 17 du bras blinatumomab et 39 sous chimiothérapie étaient décédés. « Les résultats sur la SG sont spectaculaires. Avec un suivi médian de 43 mois, son amélioration est très significative. Dans le groupe blinatumomab, la médiane de SG n'a pas été atteinte versus 71,4 mois dans le groupe témoin (HR = 0,42, p = 0,003), explique le Dr Mark Litzow (Rochester). L’association du blinatumomab à la chimiothérapie de consolidation pourrait devenir le traitement de référence dans la LAL BCR-ABL1 négatif ».

Une sous-étude de l’étude française GRAALL-2014, QUEST (3), confirme elle aussi l’intérêt du blinatumomab en traitement de consolidation chez les adultes avec LAL-B (Ph-) à haut risque. Celui-ci était défini par la présence d’altérations génétiques (KMT2A-r ou IKZF1del) et/ou une MRD1 (post-induction) ≥ 10-4. Chez les 94 patients à haut risque de la cohorte QUEST, le blinatumomab était ajouté au traitement de consolidation. Par rapport à un groupe similaire de la cohorte globale de GRAALL-2014, on observe dans ce sous-groupe un meilleur taux de réponse, avec une diminution de 52 % des rechutes et une amélioration de 49 % de la SSP. Le bénéfice était d’autant plus marqué que la réponse sur la MRD était bonne avant l’instauration du blinatumomab. 

(1) Short N et al, ASH 2022, abstract 213
(2) Litzow MR et al, ASH 2022, abstract LBA-1
(3) Boissel N, ASH 2022, abstract 211 

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin