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Dossier

14e Congrès francophone d'allergologie

Quand l’allergie brouille les cartes

Publié le 14/06/2019
Quand l’allergie brouille les cartes

Allerg
kimberrywood - stock.adobe.com

Réactions croisées inattendues comme pour le syndrome oral, symptomatologie trompeuse  comme dans la laryngite allergique, et même allergie… aux antiallergiques ! L’allergie n’a pas fini de nous surprendre et de brouiller les cartes. Alors que l’allergologie s’affiche désormais en France comme une spécialité à part entière, son récent congrès a permis de revenir sur la complexité de la discipline et les défis qu’elle devra relever.

Avec la création d’une filière universitaire spécifique fin 2016 puis celle d’un conseil national professionnel dédié il y a quelques mois, l’allergologie est désormais une spécialité à part entière. Elle semble avoir de beaux jours devant elle, alors qu’une personne sur deux souffrira d’allergie d’ici 2025. D’ores et déjà, les sujets de préoccupation sont larges, comme en témoigne le récent congrès francophone d’allergologie (Paris, 16-19 avril). Du déremboursement de l’immunothérapie au rôle du microbiote dans les phénomènes allergiques, cette édition 2019 a exploré plusieurs sujets d’actualité. Elle a aussi permis de revenir sur certaines situations méconnues, trompeuses ou sous-traitées comme le syndrome oral, la laryngite allergique ou l’anaphylaxie de l’enfant.

Le syndrome oral, une allergie croisée troublante mais rarement grave

Quel est le lien entre allergie aux pollens et prurit buccal ou œdème des lèvres dans les minutes qui suivent la consommation de pommes, de cerises, de noisettes, etc. ? Le syndrome oral ou pollen food syndrome, qui traduit une réaction allergique croisée liée à de fortes homologies entre certaines protéines alimentaires d’origine végétale et des pollens (bétulacées comme les bouleaux généralement, mais aussi graminées et ambroisie). Il s’agit de la manifestation allergique alimentaire la plus fréquente dans nos régions, sauf pour les nourrissons. Ce syndrome a été décrit pour la première fois dans les années 1990.

Typiquement, les manifestations du syndrome oral sont limitées à la cavité buccale : démangeaison des lèvres, de la langue, de la muqueuse buccale, sensation de langue qui brule, gonflement des lèvres, de la langue, de la muqueuse buccale, du larynx, inflammation de la langue, de la cavité buccale… Peuvent aussi parfois s’y associer des symptômes oculaires, nasaux, cutanés, respiratoires, voire gastro-intestinaux ou hémodynamiques (chute tensionnelle, syncope).

De rares cas de syndrome oral aggravé – avec des symptômes allergiques plus sévères voire des véritables anaphylaxies à risque létal – ont été décrits avec les réactions croisées bouleau-céleri ou soja et armoise-litchi. Parmi les co-facteurs qui majorent le risque de formes cliniques plus graves, certains semblent jouer un rôle par interaction avec l’acido-sensibilité des protéines panallergènes : prise d’IPP, d’AINS ou d’alcool, effort, saison allergique…

Les premiers cas décrits en Europe de l’Ouest concernaient des personnes présentant des syndromes “bouleau-pomme. Plus récemment, ce sont des réactions après consommation de pêches, de noisettes, d’arachides, de noix ou d’épices qui ont été rapportées. Ces fruits et légumes n’ont pas de parenté taxonomique avec les bétulacées, mais ils possèdent des homogénies de séquences en particulier avec les protéines PR 10 (pathogenesis-related proteins).

Ces protéines étant thermosensibles, leur allergénicité disparaît après cuisson même modérée (à l’exception de la profiline du céleri). Elles sont aussi acido-sensibles et facilement détruites par l’acidité de l’estomac.

La plupart des essais cliniques sur le syndrome oral ont été menés chez les patients allergiques aux pollens de bétulacées (aulnes, bouleaux, charmes, noisetiers, etc.). Mais comme le précise le Dr Dominique Sabouraud-Leclerc (Reims), « l’immunothérapie spécifique aux pollens de bétulacées n’a que peu d’impact sur le syndrome oral, quelques études concluant à une amélioration, d’autres à une aggravation ». Des immunothérapies orales à la pomme ont aussi été proposées, mais elles ne permettent pas d’obtenir une véritable désensibilisation, seulement une tolérance qui ne se maintient que si la consommation de pommes reste suffisamment fréquente et importante.

À l’heure actuelle – et en cas d’altération de la qualité de vie liée à la gêne buccale –, seuls l’éviction ou des traitements antiallergiques peuvent être proposés.

La laryngite allergique souvent confondue avec le RGO

« Devant une laryngite chronique ou récidivante à l’origine de dysphonie ou d’aphonie – mais parfois associée à un jetage postérieur, une toux sèche ou une douleur pharyngée –, il est important de poser l’hypothèse d’une possible laryngite allergique. En effet, l’incidence de cette pathologie est largement sous-estimée et très souvent, les symptômes sont mis à tort sur le compte d’un reflux gastro-œsophagien », explique le Dr Nadine Masy (Halle, Belgique).

Les laryngites allergiques sont souvent décrites chez des patients dont la respiration est principalement buccale. C’est par exemple le cas de personnes qui souffrent de rhinite obstructive allergique. En effet, l’air inhalé directement par la bouche n’est pas filtré par les cornets, il n’est pas non plus réchauffé ni humidifié. Autant de facteurs qui peuvent contribuer à une inflammation locale des cordes vocales et à une majoration de la sensibilité aux allergènes.

En outre, chez les patients souffrant de rhinite allergique, peut s’associer un mouchage postérieur contenant des facteurs inflammatoires d’origine nasale.

Lorsque que la qualité de la voix est régulièrement impactée, un examen ORL est nécessaire. Il permet, lorsqu’il est couplé à un enregistrement vidéo, d’analyser l’anatomie des cordes vocales. La présence d’un œdème des deux cordes vocales peut orienter vers un diagnostic de laryngite allergique. Mais un tel œdème peut aussi être constaté en cas de RGO. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de rechercher les autres signes d’allergie ORL, pneumologique ou ophtalmologique, et lorsque ceux-ci existent, il est possible de proposer un test de provocation par inhalation de l’allergène.

L’anaphylaxie sous-estimée chez l’enfant

Alors que l’adrénaline intramusculaire est indiquée dans le traitement de l’anaphylaxie de grade supérieur ou égal à 2 dans l’échelle de Ring et Messmer (atteinte multi-viscérale modérée avec signes cutanéo-muqueux, hypotension artérielle, tachycardie, sibilants ou signes digestifs), moins de 50 % des enfants pris en charge pour cette pathologie sont effectivement traités, selon les résultats de plusieurs études présentées à l’occasion de ce 14e CFA.

Ce défaut d’utilisation a été constaté chez les parents qui étaient équipés d’adrénaline injectable (seuls 11 % des enfants ont été traités) lors de la prise en charge en pré-hospitalier (7 % d’injections) et à l’admission à l’hôpital (34 % d’intramusculaire). Plus préoccupant encore, les familles ont généralement sous-estimé la gravité des signes, et dans 56 % des cas ils n’ont pas eu recours au secours alors que l’état de l’enfant le nécessitait. Et même lorsque les secours étaient appelés, le déplacement d’une équipe médicale était rare.

Parmi les pistes pouvant expliquer le moindre recours à l’adrénaline IM, la question de la résolution spontanée des signes est mise en avant : en effet, entre l’apparition des premiers signes et l’admission hospitalière, le taux de résolution spontanée a été évalué à 36 %. Mais ce n’est pas parce que les signes peuvent s’amenuiser qu’il n’est pas nécessaire de traiter tout enfant présentant des signes de gravité. à l’heure actuelle, aucune contre-indication à l’utilisation de l’adrénaline IM n’a été retenue chez l’enfant.

En bref...

Angio-œdème : et si c’était les ronflements ?

Si les médicaments sont la principale cause des angio-œdèmes de la sphère ORL, certaines manifestations sont en lien avec l’existence d’un angio-œdème vibratoire lié aux microtraumatismes causés par les ronflements. Un test de provocation vibratoire permet de confirmer ou d’infirmer le diagnostic.

La chlorhexidine, un puissant allergène

L’incidence des réactions allergiques à la chlorhexidine (contenue dans de nombreux produits pharmaceutiques) augmente de façon régulière. Après une réaction initiale, le risque de formes graves est important en cas de récidive, avec des allergies de grade III ou IV, voire des chocs anaphylactiques. Un effort de prévention est nécessaire lorsque le diagnostic est évoqué.

Allergies aux antiallergiques

Alors que le traitement de nombreuses allergies cutanées passe par la prescription d’antihistaminiques H1, une équipe de l’hôpital Tenon (Paris) a présenté une série de 138 patients qui avaient présenté une aggravation de leur symptomatologie cutanée liée à une « manifestation allergique » aux « antiallergiques ».

Urticaire chronique, anti-H1 toute !

Après la publication de recommandations américaines sur le traitement de l’urticaire chronique spontané début 2019, l’actualisation des recommandations françaises de 2003 est attendue pour la fin d’année. La nouvelle feuille de route devrait insister sur la place des anti-H1 dont la posologie peut être quadruplée en l’absence de guérison ou d’amélioration. A contrario, les corticoïdes n’ont pas leur place dans cette affection.


Dr Isabelle Catala

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