Clara De Bort : « En Guyane, la véritable épidémie va commencer, l'équipement est là, mais les équipes sont épuisées » 

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Publié le 12/06/2020
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Crédit photo : S.Toubon

À rebours de la situation en métropole, la Guyane fait face comme le reste de l'Amérique du Sud, au véritablement début de l'épidémie de Covid-19. Pour y faire face, le département bénéficie d'une préparation matérielle et de retour d'expérience qui ont fait défaut ailleurs. Elle doit cependant composer avec une démographie médicale en berne et des équipes épuisées par la gestion des premiers clusters et du déconfinement, comme l'explique la directrice générale de l'ARS, Clara De Bort.

LE QUOTIDIEN : Selon les données de Santé publique France publiée le 11 juin, le taux de positivité pour le Covid-19 est de 19,2 %, avec un taux d’incidence de 26,8/100 000 habitants. C'est aussi un des seuls départements français où l'épidémie est en expansion. Quelle est votre appréciation ?

CLARA DE BORT : La situation épidémiologique est préoccupante. Nous n'avons eu que deux à trois nouveaux cas par jour pendant plusieurs semaines, puis 20 cas par jour et nous sommes désormais à 50 à 70 cas par jour. Nous sommes entrés dans une phase d'accélération qui va se poursuivre. Le virus circule dans la communauté et s'est installé à Cayenne, à Saint-Laurent-du-Maroni et à Kourou. Sur Saint-Laurent, la pression du dépistage est encore trop faible pour avoir une bonne vision de l'épidémie. Nous allons faire une opération de 300 à 500 prélèvements ce week-end sur le marché.

Nous sommes sortis du confinement en même temps que le reste de la France, mais nous devons déjà prendre de nouvelles mesures. Un arrêté préfectoral impose la restriction de circulation entre le samedi 21 heures et le lundi à 5 heures du matin, afin d'éviter les regroupements du samedi soir et les fêtes sans empêcher les gens de travailler.

Un reconfinement est-il envisageable ?

C'est une possibilité que l'on ne peut pas exclure. Beaucoup de Guyanais se demandent pas pourquoi on ne reconfine pas. Mais nous devons prendre en compte les effets pervers de cette mesure. À la fin de la période de confinement, les services d'urgence, qui n'avaient vu personne pendant des semaines, ont été assaillis de patients atteints de maladies chroniques déséquilibrées à cause du manque de soins, et notamment beaucoup de diabétiques.

La Guyane est-elle prête à affronter la véritable épidémie ?

Cela va dépendre de la hauteur de la vague. Nous sommes bien mieux préparés que ne l'étaient les régions de métropole lorsqu'elles ont été frappées. Nous avons bénéficié de davantage de temps préparation et d'un retour d'expérience.

Nous disposons de 400 000 masques sanitaires pour nos hôpitaux et de 15 000 kits de prélèvement, alors que nous n'en avions que 200 ou 300 d'avance au début de la crise. Nous ne sommes pas non plus en difficulté en ce qui concerne les lits d'hospitalisation et les respirateurs.

En revanche, nous risquons d’avoir un problème de ressources humaines. Les équipes mobilisées pour traquer les premiers cas jusque sur le fleuve Amazone sont lessivées. Notre équipe de veille sanitaire par exemple ne comprend que deux à trois personnes pour 300 000 habitants dispersées sur un territoire grand comme la Nouvelle Aquitaine. Nos équipes médicales sont restreintes et plus fragiles qu'en métropole car on ne peut pas faire appel aux régions voisines en renfort.

Nos urgences sont aussi très sollicitées par les patients dont l’état s'est dégradé pendant le confinement et par les cas de dengue. Nous avons aussi beaucoup de gens qui viennent aux urgences, ou pour se faire dépister contre le Covid-19 parce que les drives sont submergés. Des mesures préventives sont prises pour éviter que les équipes soient pied au plancher du début à la fin de la crise. On travaille notamment sur des évacuations sanitaires préventives de patients non Covid vers les Antilles et vers Lyon.

Comment s'explique cette dynamique épidémique à rebours de celle observée en métropole ?

Nous sommes très liés à la France hexagonale pour assurer notre réponse à l'épidémie, nous avons donc déployé de gros efforts pour que l'épidémie n'ait pas lieu en même temps que dans le reste de la France, afin que la métropole soit en état de nous aider. Les cinq premiers cas venaient du rassemblement évangéliste dans le Grand Est. L'alerte a très bien fonctionné car nous n'avions eu qu'un seul cas secondaire. Le trafic aérien a été rapidement réduit, passant de deux vols par jour à deux par semaine. Depuis le 1er avril, nous n'avons plus un seul cas importé depuis la métropole. En revanche, nous avons eu plusieurs clusters liés à des cas importés depuis le Suriname.

En contrepartie, il a fallu se passer d'une grande partie de notre fret du jour au lendemain, y compris sanitaire. Il a donc fallu établir des priorités. J'ai par exemple privilégié les masques par rapport aux appareils d'assistance respiratoire.

Parvenez-vous à gérer la double problématique du Covid-19 et de la dengue ?

La dengue est bien connue des Guyanais, mais les symptômes sont proches de ceux du Covid dans certains cas. Les deux tests doivent être réalisés simultanément, d'autant plus que certaines formes de dengue peuvent se dégrader rapidement. En termes de mobilisation sociale, la population est focalisée sur le Covid et est plus difficile à motiver contre la lutte antivectorielle et la dengue.

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : lequotidiendumedecin.fr