Étude chez les grands brûlés

La phagothérapie contre les infections bactériennes

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Publié le 21/09/2015
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Crédit photo : PHANIE

La phagothérapie utilise la capacité des bactériophages virulents à faire rapidement éclater les bactéries. Elle a été découverte et utilisée avec succès au début du XXe siècle, puis abandonnée dans le monde occidental lors du développement des antibiotiques. Elle génère actuellement beaucoup d’espoir devant la multiplication des résistances aux antibiotiques.

Alors que l’on comprend de mieux en mieux le rôle du microbiome dans la santé, un avantage supplémentaire des bactériophages est leur spécificité pour les souches bactériennes qu’ils attaquent. Le Dr Patrick Jault, chef du service d’anesthésie à l’hôpital d’instruction des armées Percy à Clamart et investigateur principal de l’essai clinique du projet Phagoburn, rappelle que « les bactériophages figuraient dans le dictionnaire Vidal jusqu’à la fin des années 1970 sous forme de préparation prête à l’emploi. Il était possible de disposer de préparation magistrale, mais les délais de préparation prenaient trois semaines. Entre-temps, soit le patient était mort, soit on avait trouvé une autre solution. Aujourd’hui, la microbiologie des bactériophages est mieux comprise et mieux maîtrisée, autorisant à explorer de nouveau cette voie en respectant tous les standards actuels ».

Débuté en juin 2013 et financé par des fonds européens, le projet Phagoburn vise à évaluer chez les grands brûlés l’efficacité des bactériophages dans les infections bactériennes provoquées par Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa. Chez les brûlés graves, le système immunitaire est déprimé ; Les infections représentent la première cause de mortalité. Celles provoquées par E. coli et P. aeruginosa sont souvent graves et difficiles à traiter par les antibiotiques.

220 patients inclus

L’essai clinique de phase I/II évaluera la tolérance et l’efficacité de deux traitements développés contre ces 2 bactéries. Les cocktails de phages, mis au point par la société Pherecydes Pharma SA, seront comparés à un traitement de référence, le sulfadiazine d’argent. L’essai clinique inclura 220 patients répartis en deux groupes pour chacun des deux mélanges de bactériophages. Le projet se déroule dans onze centres de grands brûlés en France, en Suisse et en Belgique. Il implique l’hôpital d’instruction des armées Percy, deux autres hôpitaux militaires et huit hôpitaux civils. En France, les hôpitaux concernés sont : l’HIA Sainte-Anne à Toulon, le centre hospitalier St-Joseph/St-Luc de Lyon, les CHU de Nantes et de Bordeaux, le CHR de Metz-Thioville et l’hôpital de la Conception de Marseille.

Le délai prévu pour l’essai s’annonce serré, car celui-ci doit prendre fin en juin 2016 et a déjà rencontré quelques obstacles. La mise en place de la bioproduction réalisée par la société Clean Cells, a pris 10 mois de plus que prévu. « Vécu comme un retard, c’était une phase capitale car extrêmement exigeante et une étape supplémentaire de sélection, car certains phages ne la supportent pas », indique le Pr Jault, qui explique par ailleurs que le recrutement des patients est compliqué par la sélection d’infections mono-microbienne à E. coli ou à P. aeruginosa : « Dans les infections on a souvent une prédominance d’un germe, mais souvent également d’autres germes. Dès qu’il y a une Klebsielle par exemple, on ne peut pas inclure le patient dans l’étude. C’est une approche très intéressante et très spécifique. Pour le moment, l’important est de faire la preuve de la tolérance et de l’efficacité. Seulement ensuite, on pourra aller plus loin et on pourra probablement combiner les phages entre eux pour lutter contre plusieurs espèces en même temps. »

Si les essais cliniques sont concluants, les médicaments à base de bactériophages pourront répondre à la définition des médicaments biologiques. L’Agence européenne du médicament (EMA) et l’ANSM envisagent d’adapter la législation actuelle pour offrir un cadre réglementaire plus flexible, approprié au développement de la phagothérapie.


Maude Bernardet

Source : Le Quotidien du Médecin: 9434