La psychiatrie en ébullition pour améliorer sa coordination

Publié le 25/01/2016
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300 professionnels ont suivi plus de 5?000 personnes

300 professionnels ont suivi plus de 5?000 personnes

Dans le sillage des attentats du 13 novembre, 300 professionnels du monde médico-psychologique ont suivi plus de 5 000 personnes. Du jamais vu en France. Si les psychiatres ont su être réactifs sur le terrain, ils tirent aujourd’hui les leçons d’un drame d’une ampleur inédite et proposent des pistes pour améliorer leur coordination.

« Je n’avais jamais vu ça ! » Le Dr François Ducrocq, responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) de la zone Nord, 20 ans de psychiatrie traumatique derrière lui, est encore stupéfait de ce qu’il a vu en arrivant sur les lieux des attentats dans la nuit du 13 au 14 novembre. Et les jours suivants. « Les troubles psychotraumatiques n’avaient jamais été aussi intenses ni aussi durables : 10 jours après, on voyait encore des tableaux cliniques qui relèvent normalement de la phase immédiate », explique le Dr Ducrocq. « Des enseignements scientifiques sont à tirer, très peu de littérature existe », poursuit-il.

Drainage vers l’aval

En matière d’organisation, le retour d’expérience (RETEX) organisé le 20 janvier dernier a allumé la mèche d’une réflexion intense. « Le soir même, les mails crépitaient », raconte le Dr Ducrocq.

Marisol Touraine a fixé l’objectif d’une « meilleure coordination des acteurs aux échelons territoriaux », supposant un cadre réglementaire actualisé. Malgré une très bonne prise en charge des victimes sur le terrain, les psychiatres reconnaissent des frottements dans la coordination. Le Pr Thierry Baubet, directeur de la CUMP de Seine-Saint-Denis rappelle le contexte. « Il n’y avait pas de plan prévu. On a dû être créatif. 6 sites (Hôtel Dieu, école militaire, mairie du X et XIe arrondissement, de Saint-Denis et institut médico-légal) ont été ouverts, et les équipes CUMP se relayaient, avec, certes, des pratiques différentes. C’était la première fois qu’on collaborait ainsi ». « À l’avenir, il devrait y avoir un centre hospitalier de référence, puis des lieux de proximité », envisage le Pr Baubet.

Le Dr Alain Mercuel, président de la CME de Sainte-Anne, regrette un drainage tardif vers l’aval. « L’extrême mobilisation sur les sites des attentats a duré et a ralenti l’orientation vers l’aval ; les centres médico-psychologiques, le secteur, les services d’accueil des urgences attendaient ! ». « Beaucoup de bénévoles voulaient donner leur sang psychique : on pourrait créer des "métiers" de l’accompagnement vers l’aval », propose le Dr Mercuel.

L’idée d’un coordonnateur national, chargé uniquement de la régulation, semble partagée par tous. La mise en place, parallèlement, d’un coordonnateur zonal, ou d’une coordination régionale puis départementale aux mains de personnes différentes, fait l’objet de discussions.

Unification des outils

La ministre de la Santé demande aussi le développement d’outils nationaux communs de prise en charge des personnes impliquées. Les professionnels réfléchissent déjà à des formulaires uniques (type fiche médicale de l’avant, incluant des données sociodémographiques et cliniques), à la formalisation d’un « damage control » psy (prise en charge immédiate standardisée, avec defusing), à un traumascore (à l’image d’une échelle de Glasgow), utile notamment pour l’établissement de certificats médicaux, ou encore à la mise en place de centres ressources en région.

Enfin, la réorientation des victimes directes ou indirectes et leur suivi à distance restent délicats. Si certaines se sont déjà rétablies, d’autres développent des troubles plus chroniques. D’aucuns passeraient même entre les mailles du filet. « En aval, cela dépend des départements et des réseaux locaux. On n’a pas de recettes sur tout le territoire », explique le Pr Baubet. Les personnes peuvent appeler le 15, et être mises en relation avec les psychiatres des 100 CUMP qui couvrent le territoire. Les médecins traitants, les assureurs, mais aussi les associations de victimes peuvent également les orienter vers les réseaux psy. Les résultats de l’étude Impacts* menée par l’Institut de veille sanitaire et l’Agence régionale de santé (ARS) auprès de 430 personnes exposées aux événements de janvier 2015 devraient fournir en mars un premier regard sur les parcours de soins.

Quant aux soignants, Marisol Touraine a émis le souhait de renforcer leur suivi. « À l’AP-HP, 200 agents ont été vus, 1/3 en individuel, 2/3 en collectif. C’est une bonne chose que le ministère soutienne cette ligne, car des résistances persistent selon les services et les territoires », commente le Pr Baubet.

*Investigation des manifestations traumatiques post attentats et de la prise en charge thérapeutique et de soutien.
Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9465