Infectiologie

Le pembrolizumab permet de mobiliser les réservoirs de VIH

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Publié le 04/03/2022
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Une équipe internationale a étudié les réservoirs de VIH chez des patients séropositifs traités pour un cancer par immunothérapie anti-PD1. L'administration de pembrolizumab semble pouvoir faire sortir de la latence les réservoirs du virus. Un constat encourageant pour les recherches qui visent à pouvoir un jour guérir de l'infection.
L’immunothérapie permet de faire sortir de la latence les cellules infectées par le virus de façon persistante

L’immunothérapie permet de faire sortir de la latence les cellules infectées par le virus de façon persistante
Crédit photo : Phanie

Pouvoir contrôler les réservoirs de VIH permettrait d'approcher la guérison de l'infection. Une étude internationale publiée dans « Science Translational Medicine » montre qu’il est possible de faire sortir de la latence les cellules infectées de façon persistante par le virus. Une immunothérapie a relancé la transcription virale, alors qu'après avoir intégré son génome dans celui de la cellule, le VIH s'y cachait sans expression antigénique ou quasiment. Cette approche permettrait in fine que les cellules soient enfin reconnues puis éliminées par le système immunitaire.

Dans ce travail, les chercheurs l'ont constaté avec l'anti-PD1 pembrolizumab administré pour traiter un cancer chez 32 personnes vivant avec le VIH. Seuls quelques rares cas cliniques l'avaient suggéré jusque-là, et l'étude multicentrique coordonnée par le Pr Thomas Uldrick, oncologue au centre de recherche contre le cancer Fred Hutchinson (Seattle), est la première à en faire la démonstration.

« C'est une preuve de concept qu'il faudra faire évoluer, explique Asier Saez-Cirion, chercheur à l'Institut Pasteur au sein du laboratoire « HIV, inflammation et persistance ». L'étude est intéressante, mais il n'y a pas d'application thérapeutique dans l'immédiat. Les résultats obtenus dans cette cohorte américaine semblent trop légers pour suffire à contrôler le VIH à l'arrêt des antirétroviraux (ARV) et très variables d'un patient à l'autre. »

Sans compter qu'il est difficile de généraliser ces résultats à des patients non atteints de cancer, compte tenu des effets secondaires des anti-PD1, de l'ordre de 5 à 10 %. Mais, convient le chercheur, « les cellules immunitaires, les CD8 en particulier, pourraient être reboostées. »

Des ponts entre cancer et VIH

Ces dernières années, les traitements du cancer attirent l'attention de beaucoup de chercheurs dans le VIH. En France, la cohorte OncoVIHAC financée par l'ANRS et coordonnée à Paris par les Prs Jean-Philippe Spano (Pitié-Salpêtrière) et Olivier Lambotte (Bicêtre) explore leur efficacité contre le virus. Alors que le PD1 agit comme un frein immunitaire, cette protéine de surface cellulaire dite « point de contrôle » est surexprimée par les lymphocytes T chez les personnes vivant avec le VIH, traitées ou non par ARV. C'est ainsi que l'immunothérapie par anti-PD1 apparaît prometteuse contre l'infection.

Dans une précédente étude, l'équipe de la Pr Sharon Lewin, directrice de l'Institut Peter Doherty et co-auteure, avait montré que le PD1 est tout particulièrement surexprimé à la surface des cellules infectées en latence, à la fois dans le sang et les tissus, permettant au virus d'aller se camoufler en leur sein. Et in vitro, il a été observé que les anticorps anti-PD1, dits « inhibiteurs de points de contrôle », réactivent la production virale par les cellules latentes.

Plusieurs petites études cliniques ont été menées pour explorer cette observation chez des patients séropositifs traités par des inhibiteurs de points de contrôle, anti-PD1 ou anti-CTLA4. La plupart, mais pas toutes, ont suggéré que les inhibiteurs de points de contrôle perturbent les réservoirs de VIH.

Comment mesurer les réservoirs

Dans cette étude, les chercheurs ont évalué les réservoirs du virus en mesurant la quantité d'ADN du VIH mais aussi de celle d'ARN viral non coupé (ou « unspliced »). « La mesure de l'ADN viral est la méthode la plus sensible et la plus simple, explique le scientifique pasteurien. Cela donne une estimation des cellules infectées. » Quant à l'ARN non coupé, « il reflète la réplication du virus à partir de l'ADN intégré dans la cellule, et ceci à un stade avancé quand le fragment transcrit est plus long et plus complet afin de produire de nouvelles particules infectieuses », détaille Asier Saez-Cirion.

Après la première injection de pembrolizumab, les scientifiques ont observé une augmentation de 32 % de l'ARN non coupé et de 61 % du ratio ARN non coupé/ADN au sein des CD4. De plus, comme dans le cancer, la réponse à l'immunothérapie est variable, « seule une fraction de personnes répond favorablement », souligne le directeur de recherche. Les modifications sont-elles supérieures à la variabilité naturelle ? « Si l'historique fait penser que oui, il faudrait s'en assurer avec un groupe contrôle en parallèle », ajoute-t-il.

La piste métabolique à l'étude

D'autres pistes sont à l'étude contre les réservoirs. L'équipe d'Asier Saez-Cirion travaille à l'hypothèse métabolique : « Certaines voies étant importantes pour le virus, l'approche la plus évidente est de les bloquer », explique-t-il. Pour l'instant, la recherche en est au stade préclinique, « des stratégies agressives ne sont pas souhaitables chez des patients déjà sous antirétroviraux », fait-il remarquer.

C'est ainsi qu'est envisagé un autre angle d'attaque, s'appuyant sur le constat que les contrôleurs naturels du VIH présentent une réponse immunitaire efficace au métabolisme différent. Afin de reproduire les caractéristiques de ces contrôleurs, l'idée consisterait à reprogrammer sur le plan métabolique les CD8 des patients non-contrôleurs, à l'aide d'une thérapie cellulaire, voire en combinaison à des CAR-T cells.

Les promesses des anticorps neutralisants

Mais l'approche la plus prometteuse dans l'immédiat, selon Asier Saez-Cirion, repose sur les anticorps neutralisants à large spectre déjà utilisés en thérapeutique et testés comme vaccin. « Ces anticorps ont une très forte affinité pour le virus, explique le chercheur. Leur très bonne activité antivirale permet de diminuer le traitement par ARV. » Ces anticorps sont dotés non seulement d'une activité neutralisante directe, mais aussi d'autres activités cytotoxiques. « Ils peuvent faciliter le fait que les cellules NK reconnaissent les cellules infectées ou peuvent former des complexes avec de petits fragments du VIH pour activer efficacement les cellules présentatrices de l'antigène et améliorer les réponses immunitaires », précise-t-il.

Les anticorps neutralisants semblent baisser les réservoirs viraux et améliorent la qualité des réponses B et T, mais ne sont pas non plus suffisants pour maintenir les résultats à long terme. Une combinaison des approches pourrait être là aussi intéressante, notamment avec des immunomodulateurs. Cette année, un essai clinique combinant ARV précoce et anticorps neutralisants chez des primo-contaminés a été lancé par le consortium Rhiviera de l'ANRS qui fédère notamment l'Institut Pasteur et les hôpitaux de Bicêtre et de Saint-Louis (AP-HP).

T. Uldrick et al, Sci Transl Med, janvier 2022. DOI:10.1126/scitranslmed.abl3836

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin