Biologie et armement

Le virus de la guerre

Publié le 29/03/2009
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Crédit photo : S TOUBON

La santé en librairie

ENTRE LE POISON dont les chasseurs du néolithique enduisaient leurs flèches et les armes biologiques de troisième génération, la révolution pastorienne puis celle de la biologie moléculaire et des biotechnologies ont tout changé, en matière d’armes et de stratégies, comme elles ont tout bouleversé en médecine.

C’est bien connu : les découvertes scientifiques portent toutes en elles une ambiguïté originelle liée à leur usage. Découvrir leur possible ou avéré détournement n’en est pas moins parfois saisissant ! L’extraordinaire découverte des microbes, virus et bactéries comme le séquençage du génome n’ont pas échappé à cette ambivalence : « On peut utiliser les microbes pour le meilleur ou pour le pire, pour prévenir ou combattre les maladies ou au contraire pour les propager », écrit Patrick Berche, doyen de la faculté de médecine de Paris-V et membre du Conseil scientifique de défense pour le risque biologique.

De fait, la mise au point d’armes biologiques constitue la rupture d’un tabou : celui de l’utilisation du vivant contre le vivant. Le livre commence par le récit emblématique de la découverte du virus puis du vaccin contre la variole et de ses nombreux rebondissements. Et de la question aujourd’hui encore non résolue de la destruction des dernières souches de virus. Question d’autant plus emblématique que ce virus, comme celui du charbon ou du choléra, peuvent être (sont ?), des candidats tout à fait sérieux pour l’élaboration d’armes biologiques dévastatrices.

Pour concevoir des armes biologiques efficaces, il faut des savants compétents, très compétents, dépourvus de tout sens moral ou convaincus de la justesse de leur combat. Et des politiques qui les encouragent et les soutiennent, explique Patrick Berche. Son enquête passionnante et détaillée est aussi une instructive analyse géopolitique. La réalité dépasse parfois la fiction en matière de projets machiavéliques, comme en témoignent les colossaux programmes américain ou soviétique (Biopreparat) de l’après-Deuxième Guerre mondiale, qui ne seront connus qu’après la chute du rideau de fer, ou les expérimentations humaines du Dr Ishii sur les Chinois dans les années 1930. Ou encore la provocation de l’épizootie de charbon pour briser la résistance paysanne noire pendant la guerre du Bush dans les années 1980 par les autorités rhodésiennes. Ou de la perversité et de l’imagination morbide du médecin militaire d’Afrique du sud, Wouter Basson, dit « Docteur La Mort », responsable de Project Coast, le programme militaire du gouvernement de l’Apartheid développé entre 1981 et 1992, destiné à se débarrasser des opposants encombrants et à développer des « armes ethniques » capables d’exterminer et de stériliser sélectivement la population noire.

La menace insidieuse des guerres biologiques est d’autant plus d’actualité, explique Patrick Berche, que les « progrès » réalisés dans ce domaine, même après le démantèlement des « laboratoires » et des services investis dans ces funestes projets, sont connus et consignés quelque part et que bon nombre des scientifiques qui en sont à l’origine sont vivants. Basson, par exemple, mais il n’est pas le seul, semble avoir gardé de nombreux documents, subtilisé produits et agents létaux, et monnayé ou proposé ses services à des États, des trafiquants ou des organisations terroristes. Idem pour les milliers de chercheurs soviétiques du programme Biopreparat, dont « on peut craindre que ces scientifiques soient recrutés dans des programmes d’États hostiles aux États-Unis », souligne l’auteur.

Un bel avenir.

Par ailleurs, la science continue à progresser et les armes biologiques de s’inspirer de la haute technicité des outils moléculaires du vivant et de la sophistication des connaissances en matière de biotechnologie permettant la fabrication de virus ou d’organismes infectants totalement nouveaux. Avec en prime des moyens de diffusion simples via la publication des résultats scientifiques et, grâce à Internet, leur accessibilité à tous, bien ou mal intentionnés. Entre secrète défense, mensonges d’États et protection d’intérêts particuliers, ces armes biologiques au potentiel dévastateur se nourrissent du règne généralisé de la désinformation, du mensonge et de la dissimulation, y compris dans les pays démocratiques, s’alarme Patrick Berche. Et semble avoir un bel avenir devant elles.

Alors que faire ? Exercer une veille scientifique étroite autour des innovations biotechnologiques potentiellement dangereuses et de la diffusion des données les plus sensibles ? Censurer les scientifiques au nom de la dangerosité ? Sans donner de réponse univoque, l’auteur, en dévoilant ne serait-ce qu’une petite partie de cette histoire secrète parvient sans mal à nous inciter à y réfléchir.

Patrick Berche, « l’Histoire secrète des guerres biologiques », Robert Laffont, 390 pages, 21 euros.

Dr CAROLINE MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr