Courrier des lecteurs

Pendant la crise, trop d'antagonismes au sein du corps médical

Publié le 19/06/2020

Au décours de cette période tumultueuse, la grande diversité des points de vue exprimés un peu partout par les médecins n’aura pas manqué de nous interpeller Les « experts » des plateaux TV, la littérature scientifique, et les nombreux travaux contradictoires publiés, les commentaires et discussions enflammés au sein de la communauté médicale : qu’en penser ?

A propos du raisonnement médical, il faut admettre que, malgré l’emballement médiatique, le monde médical n’a absolument pas évolué au cours de ces dernières semaines. Le déroulé des événements expose au grand public les difficultés et incertitudes de l’exercice de la médecine.

Nous prenons, chaque jour, des décisions qui engagent, toutes, notre responsabilité. Cette prise de décision n’est pas innée, c’est, au contraire, l’aboutissement de notre parcours professionnel: la formation universitaire, la pratique quotidienne, la formation continue, ... Chaque consultation, chaque acte, chaque patient apporte au praticien des informations qui forgent ses opinions, lui permettent d’avancer dans une direction, ou bien d’en changer.

Avec l’épidémie de COVID, on a demandé aux médecins d’apporter des réponses immédiates, à la fois diagnostiques et thérapeutiques, pour une maladie inconnue. Cela était évidemment impossible. La description des formes cliniques et la mise en route des traitements, s’est faite au fil des jours par l’observation et la prise en charge des patients. Il nous reste aujourd’hui plus de questions, que de réponses.

Cette période inédite ne diffère pourtant, pas tant que ça, de notre activité quotidienne: le médecin dispose, en consultation, de nombreux éléments de réponse, dont il doit faire une synthèse rapide pour sa prise de décision. Il est formé pour cela et le fait chaque jour de son activité. Et cela se révèle souvent juste, non pas parce qu’il a « toujours raison », (bien que cela arrive parfois), mais parce qu’il décide dans un « intervalle de confiance », construit au fil de son parcours, et qu’il enrichit chaque jour.

Alternatives thérapeutiques

C’est dans cet « intervalle de confiance » que se dessinent des alternatives thérapeutiques. Elles peuvent apparaître au profane comme totalement différentes, mais elles sont toutes médicalement honnêtes et respectables, «selon les données acquises de la science». Ainsi, n’en déplaisent à certains, si les situations cliniques se répètent souvent, nos décisions sont parfois différentes.

Aucune décision médicale ne peut se prétendre certaine à 100% : plus on avance dans la connaissance, plus on soulève de questions, c’est ainsi. Nous faisons avec ces incertitudes, chaque jour d’exercice, et malgré ces nombreuses zones d’ombre, les patients nous accordent leur confiance.

A propos de la communication médicale, malgré certains sondages d’opinions favorables aux soignants, l’exposition médiatique a fait ressortir un antagonisme fort au sein du corps médical : qui ne croit que dans le randomisé double aveugle ; qui ne croit que dans l’expérience de terrain... Ceux qui se sont prêtés à ce jeu, sont responsables d’une grande confusion.

Réflexion médicale et communication médicale

La réflexion médicale ne doit pas être confondue avec la communication médicale. La réflexion médicale, c’est cet échange incessant entre collègues (le staff), ou le choix des mots importe moins du fait de la culture commune. Elle peut être publique, mais pour être perçue correctement, elle doit être mise en forme. La communication médicale, c’est celle que l’on utilise en consultation, il s’agit d’un échange avec le patient. On adapte notre discours en fonction des réactions qu’on génère, comme un rétrocontrôle.

La difficulté de la communication médicale au sein des médias vient du fait que l‘on a tendance à confondre ces tribunes avec une consultation, alors qu’il s’agit d’un exercice bien différent. Il n’y a aucun rétrocontrôle possible, le journaliste se doit de ne pas interférer avec le message, et les patients sont loin derrière leurs écrans.

Au cours des différentes interventions publiques de ces dernières semaines, il est difficile de distinguer ce qui relève de la réflexion médicale, de ce qu’aurait pu être la communication médicale «de crise», à savoir des messages clairs et compréhensibles par le plus grand nombre. Les quelques prises de paroles synthétiques et utiles, se sont diluées dans un océan de points de vue. Cet amalgame, la confusion qui en résulte et les conséquences sur le plan sanitaire sont de la responsabilité de ceux qui n’ont pas su se taire.

On sait, depuis la judiciarisation de la médecine, que le dénigrement de l’autre génère chez les patients de la confusion et du conflit. Nous aurions pu faire preuve d’un peu de confiance les uns envers les autres, montrer un esprit de corps, plutôt que de montrer les dents. Au sein de l’intervalle de confiance, on peut et on doit comprendre l’attitude d’un collègue même si en apparence elle est à l’opposée de la sienne. Malheureusement, la défiance, le dénigrement auront été largement mis au premier plan.

Si nous n’avons pas perdu la confiance des patients, nous sommes certainement passés à côté d’une occasion de remettre certaines pendules à l’heure : faire accepter à la société procédurière et exigeante les incertitudes liées à notre exercice, et obtenir de l’administration, de replacer le médecin au centre des décisions de santé.

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Exergue : «Avec le COVID, on a demandé aux médecins d’apporter des réponses immédiates, à la fois diagnostiques et thérapeutiques, pour une maladie inconnue.»

Dr Philippe Tchenio, chirurgien de la main, Toulon (83)

Source : Le Quotidien du médecin