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Dossier

La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?

Par Damien Coulomb - Publié le 31/05/2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?


BURGER/PHANIE

Les patients atteints de cancer, insuffisants cardiaques ou plus simplement âgés ont un point commun : une altération de leurs capacités musculaires. Dans un appel à un « plan Muscle », l’AFM-Téléthon, l’Institut de myologie ou encore l’Académie de médecine défendent la mise en place d’une surspécialité transversale, au-delà de la neurologie et de la médecine du sport.

Quasiment toutes les spécialités médicales ont, peu ou prou, affaire avec le muscle. Pour un cardiologue ou un pneumologue, un muscle en bonne santé, préservé ou reconditionné, est un élément de bon pronostic. À l’inverse, les maladies du métabolisme, au premier rang desquelles figure le diabète, peuvent avoir des effets musculaires délétères.

Mais la myologie, considérée comme une sous-spécialité de la neurologie, est loin d’irriguer toutes les prises en charge. Aussi 43 signataires, personnalités ou organisations, plaident-ils pour la création d’une surspécialité pour que la santé du muscle soit prise en compte dans le parcours de soins de toutes ces pathologies.

Les efforts de recherche et de prise en charge sont encore trop concentrés sur le muscle pathologique – myopathies et maladie neuromusculaires – alors même que la simple perte de muscle cause bien plus de ravages. Ainsi, la sarcopénie est considérée comme l’une des premières causes de mortalité liée à la chute du patient âgé. Dans le domaine du cancer, la perte de masse musculaire est à la fois un élément diagnostique et pronostique : un patient atteint d’un cancer du pancréas avec une forte fonte musculaire ne sera pas éligible à la chirurgie et supportera très mal la chimiothérapie.

Les données montrent également que les patientes atteintes de cancer du sein bénéficiant d’une bonne préservation de leur masse musculaire et d’une activité physique régulière ont 25 % moins de risque d'avoir des métastases. À l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne de Paris où il exerce en tant que neuropathologiste, le Pr Fabrice Chrétien a également constaté que de nombreuses comorbidités liées à la maladie mentale sévère sont associées aux troubles du métabolisme et à la perte en muscle. « En particulier chez les patients très sédentaires ou sédentaires très jeunes », précise-t-il.

Un organe largement ignoré

Malgré son omniprésence, le muscle est largement ignoré par la quasi-totalité des spécialistes. Il n’y a guère que dans le Collège national des universités (CNU) de neurologie que la myologie est évoquée. « Même en neurologie, je crois qu'on a seulement 42 PU-PH qui cochent la case myologie », ajoute le Pr Chrétien, par ailleurs directeur de la stratégie scientifique de l’Institut de myologie. Lors des assises du muscle, en juin 2023, des professionnels de santé ont pointé leur manque de connaissances sur le muscle des personnes atteintes de maladies graves. « J'ai été très étonné par les prises de parole des kinés, que je croyais être très à l'aise avec le muscle, mais qui s’interrogent sur la prise en charge des patients très malades parce qu'ils ne savent pas comment s'y prendre, » se souvient le Pr Chrétien.

À Colombus aux États-Unis, à Padou et à Milan en Italie, à l’université McGill au Canada ou encore à Londres ou Newcastle, il existe des centres dédiés aux maladies neuromusculaires bien identifiés fondés grâce à l’indépendance dont jouissent les universités de médecine. La myologie y est une discipline reconnue. « En France, c’est plus compliqué et plus centralisé, constate le Pr Bertrand Fontaine, directeur scientifique et médical de l’Institut de myologie à l’hôpital de la Pitié-Sapêtrière (Paris). Tout passe par le ministère, et il faut donc commencer par emporter l’adhésion des diverses sociétés savantes. »

C’est l’une des raisons pour laquelle les signataires de l’appel ne veulent surtout pas d’une nouvelle spécialité à part, de peur de créer des conflits de territoire : « Quand je parle de créer une nouvelle spécialité de myologie à mes amis neurologues, ils craignent que cela ne leur fasse perdre des postes et des étudiants », témoigne le Pr Chrétien. Le modèle à suivre est plutôt à chercher du côté de la nutrition, du sommeil ou de l’allergie, avec la mise en place d’une formation spécialisée transversale (FST) d’un an. « On pourrait avoir une surspécialité avec des oncomyologues, des gérontomyologues, des cardiomyologues ou encore des pneumologues spécialisés dans la réadaptation musculaire », espère le Pr Chrétien.

L’arrivée de tels spécialistes aiderait à l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques. « Nous disposons de beaucoup de données biologiques sur les effets positifs du muscle et de toutes les molécules qu'il sécrète, rappelle le Pr Chrétien. Mais rien n’est codifié pour expliquer la conduite à tenir selon le type de cancer ou de pathologie chronique. Un malade en chimiothérapie dans un hôpital de jour avec des nausées ne va pas pouvoir faire n’importe quel type d’activité, et il faudra la coupler avec une prise en charge nutritionnelle. »

Pour le Pr Fontaine, l’un des rôles des futurs spécialistes en myologie sera de coordonner les efforts de recherche sur le muscle. « Il faut mieux comprendre la sarcopénie si l’on veut que la seule mesure thérapeutique dont on dispose, l'exercice musculaire, soit efficace », prévient-il.

Le plus important à rappeler est le caractère transversal et transdisciplinaire du muscle

Pr Fabrice Chrétien, neurologue à l’Institut de myologie

La médecine militaire, un vivier d’enseignants

La myologie, en tant que surspécialité, s’inspirerait de la médecine du sport pour développer des protocoles de réhabilitation et de prise en charge adaptés. C’est d’ailleurs dans ce vivier, et dans celui de la médecine militaire et des spécialistes des maladies neuromusculaires, que le Pr Chrétien imagine qu’à l’avenir, pourraient être piochés certains des enseignants de la surspécialité. Pour sa part, le Pr Fontaine estime que des scientifiques menant des recherches sur le muscle seraient en mesure de délivrer un enseignement complété par des stages dans les services de neurologie mais aussi de pneumologie très spécialisée.

La première étape du long travail de sensibilisation, pour les signataires de l’appel, sera de convaincre les médecins leaders dans leurs spécialités, afin d’influencer une éventuelle décision du ministère. Ils comptent s’appuyer pour cela sur la Société française de myologie, la filière maladie rare Filnemus et la future fondation de myologie. Cette évolution de l’Institut de myologie, portée par l'AFM-Téléthon, vise à impulser une recherche qui concerne, au-delà des maladies du muscle, le muscle sain, blessé ou vieillissant au bénéfice du plus grand nombre.

Mais le premier chantier sera celui de l’homogénéisation des enseignements : l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière totalise jusqu’à 70 heures sur le muscle, alors que la myologie a presque disparu dans certaines facultés. « Aujourd'hui, l'internat a été réduit, il y a trois ans d'internat et un an en tant que docteur junior, rappelle le Pr Fontaine. C’est très court, trop pour avoir le temps de sensibiliser les étudiants au muscle. »

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