Alors que le nombre d’agressions déclarées par les médecins continue de grimper, peu d’actions sont mises en place pour les protéger, laissant certains praticiens seuls dans une situation difficile. Les généralistes sont les plus exposés. Quatre d’entre eux ont accepté de nous raconter comment ils ont surmonté cet événement.
Attention, métier à risque ! En 2018, les généralistes ont été la cible de 70 % des 1 126 agressions de praticiens signalées au Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Les médecins de famille ne représentent pourtant que 44 % de la population médicale.
Si les deux tiers des signalements enregistrés par l’Observatoire de la sécurité des médecins concernent des insultes ou des menaces et 18 % portent sur des vols (ou tentatives), au moins 78 praticiens ont été agressés physiquement l’an passé (7 % des déclarations). « Au moins » car « seulement 30 % des cas sont signalés à l’Ordre », selon le Dr Hervé Boissin, coordinateur de l’Observatoire.
La part d’agressions physiques dans le total des déclarations a certes diminué par rapport aux premières éditions de l’observatoire – lancé en 2003 –, mais la violence apparaît aujourd’hui banalisée dans les cabinets. En décembre, après les coups reçus par deux généralistes à Romainville (Seine-Saint-Denis) et Marseille (Bouches-du-Rhône), le Dr Boissin le confirmait : « Ces agressions sont le reflet d’une société de plus en plus violente. Cela rejaillit aussi dans les cabinets. »
Certains confrères ressortent de ces agressions sans gros bobo, mais d’autres n’ont pas cette chance. Généraliste à Montélimar (Drôme), le Dr Philippe Catella s’est fait fracturer le nez en septembre après avoir refusé un renouvellement d’ordonnance à l’un de ses patients. Trois mois plus tard, l’interne de médecine générale Nicolas Perolat subissait la même blessure alors qu’il était de garde aux urgences pédiatriques de l’hôpital de Gonesse.
La solidarité n’est pas toujours au rendez-vous
De ces agressions persistent des traces physiques bien sûr, mais surtout morales. Probablement les plus dures à surmonter. « On ne sait pas quoi faire après une agression », confie le Dr Bertrand Legrand, généraliste à Tourcoing et détenteur du titre officieux de médecin le plus agressé de l’Hexagone, avec 36 signalements à l’Ordre. « La plupart des médecins ont peur de parler, de témoigner », poursuit-il.
Alors, que faire et vers qui se tourner dans les semaines et mois qui suivent ? « Le Cnom est toujours au soutien des médecins agressés. Nous nous associons aux plaintes en nous portant partie civile à chaque fois qu’une agression est déclarée, indiquait le Dr Boissin au Généraliste en décembre. Un conseiller ordinal prend contact avec la victime et lui demande quels sont ses besoins. »
Dans les faits, seuls 34 % des médecins agressés en 2018 ont porté plainte et 12 % ont déposé une main courante. Et les victimes ne trouvent pas forcément beaucoup de soutien du côté de leur Ordre local. Les praticiens qui ont accepté de témoigner sur les mois ayant suivi leur agression auprès du Généraliste, et dont certains décrivent un état de stress post-traumatique, le confirment (voir témoignages). Si l’entraide confraternelle fonctionne bien dans certaines grandes villes comme Paris, elle est parfois plus erratique ailleurs, de l’aveu du coordinateur de l’Observatoire de la sécurité des médecins. Pour cette raison, le Dr Boissin souhaite que son institution s’engage davantage dans la lutte contre les agressions « en étant plus proactif, plus près des médecins ».
La création d’un service national spécifique est à l’étude. « Le Dr Bouet (président du Cnom, ndlr) est d’accord pour donner un guide de bonnes pratiques aux conseils locaux », confie le Dr Boissin. Depuis avril, le numéro gratuit d’écoute et d’assistance de l’Ordre (0 800 288 038) est également dédié aux praticiens victimes d’agression. « Des psychologues répondent et les orientent vers une aide psychologique si besoin », détaille Hervé Boissin.
« Ce n’est pas pour lui trouver des excuses, mais je ne vois pas trop ce que l’Ordre peut faire pour aider le médecin, à part lui donner le nom d’un psychologue », souligne néanmoins le Dr Nathalie Huguenin, agressée à son cabinet en 1989.
L’Ordre espère toujours être reçu par le ministère de l’Intérieur
Le soutien des forces de l’ordre ne semble pas non plus optimal. Le Cnom affirme ainsi n’avoir toujours pas été reçu par le ministère de l’Intérieur depuis l’élection d’Emmanuel Macron, malgré plusieurs relances. Toutefois, « nous sommes en contact permanent avec les ministères de l’Intérieur et de la Justice pour faire évoluer la protection des médecins », précise le Dr Boissin. Mais en raison du contexte social, les réunions entre les parties ont été repoussées. Les échanges portent notamment sur la mise en place généralisée de systèmes permettant aux médecins d’alerter directement la police pour déclencher des interventions rapides. De tels dispositifs sont déjà expérimentés à Limoges et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
« La problématique de la sécurité des professionnels de santé est clairement identifiée. Depuis les années 2000, ils sont considérés comme spécifiquement exposés », relève Sliman Deghmani, commandant de police en charge des coopérations de sécurité au cabinet du Directeur général de la police nationale. Cette qualification se traduit selon lui par un « partenariat un peu plus poussé » entre la profession et les forces de l’ordre. « Des protocoles peuvent ainsi être mis en œuvre au niveau local, avec un interlocuteur privilégié susceptible de donner aux médecins des conseils en cas d’agression au cabinet », explique Sliman Deghmani.
En attendant d’éventuelles avancées dans la protection et la défense des médecins, quatre généralistes ont accepté de revenir sur les semaines qui ont suivi leur agression et racontent comment ils ont surmonté cette épreuve.