Neurologie

La thrombectomie efficace dans les AVC étendus

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Publié le 10/03/2023
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Deux grandes études randomisées concluent clairement en faveur de la thrombectomie dans les accidents vasculaires cérébraux ischémiques étendus. Si ces résultats à rebours de la contre-indication actuelle sont à même de changer radicalement les pratiques, l'offre de soins en neuroradiologie interventionnelle en France n'est pas encore prête à répondre à la demande.
Quels que soient l'âge, le degré de déficit neurologique et l'origine géographique, la thrombectomie reste bénéfique

Quels que soient l'âge, le degré de déficit neurologique et l'origine géographique, la thrombectomie reste bénéfique
Crédit photo : Burger/Phanie

Est-ce, de nouveau, la fin d'un dogme en médecine ? Si un premier essai japonais (1) avait montré l'efficacité de la thrombectomie dans les formes étendues d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques en 2022, ce n'était pas suffisant pour lever les réserves sur ce qui était considéré jusque-là comme une contre-indication. La publication conjointe de deux nouvelles grandes études, dans le même numéro du « New England Journal of Medicine », Select2 (2) et Angel-Aspect (3), ne laisse plus de place au doute.

« Ces deux études de méthodologie similaire jettent un pavé dans la mare, estime le Pr Mikael Mazighi, neurologue à l'hôpital Lariboisière et à la Fondation Rothschild (Paris). Les gros AVC sont une contre-indication classique au sens large à la thrombolyse et à la thrombectomie en raison du risque hémorragique. Malgré le signal positif de l'étude japonaise, nous avions besoin de confirmer ces premières données. »

Les résultats présentés début février à l'occasion de l'International Stroke Conference à Dallas ont fait grand bruit au sein de la communauté neurovasculaire, rapporte-t-il. « L'impact est important. Toutes les études en cours ont été stoppées, les comités scientifiques se sont réunis en urgence », indique-t-il.

Prise en charge dans les 24 heures de l'AVC

Les deux études randomisées en ouvert, l'une internationale Select2 (31 centres aux États-Unis, au Canada, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande), et l'autre chinoise Angel-Aspect, ont, elles-mêmes, été arrêtées prématurément pour efficacité : la première avait inclus 352 patients (178 dans le groupe thrombectomie et 174 dans le groupe médical), la seconde 456 (avec respectivement 231 et 225 patients dans chaque groupe). La thrombectomie était réalisée jusqu'à 24 heures après le début de l'AVC.

Le même critère principal de jugement a été choisi : le score de Rankin modifié à trois mois, qui va de 0 à 6, un score élevé reflétant un handicap plus élevé. Pour définir ce qu'était un AVC étendu, les deux études se sont fondées sur un score radiologique dans les 24 heures compris entre 3 et 5 (le score Aspects allant de 0 à 10, les plus petites valeurs indiquant un infarctus étendu) ou sur le volume du cœur de l'infarctus mesuré au TDM de perfusion ou à l'IRM de diffusion (d'au moins 50 ml pour Select2 et compris entre 70 et 100 ml dans Angel-Aspect). « Les critères de sélection étaient plus précis que l'étude japonaise avec l'introduction d'une mesure exacte du volume de l'infarctus », indique le Pr Mazighi.

Peu ou pas de différence pour les hémorragies symptomatiques

Dans les études intermédiaires, le résultat du Rankin à trois mois montrait un bénéfice significatif dans les deux études (OR à 1,51 pour Select2, p < 0,001, et à 1,37 pour Angel-Aspect, p = 0,004). La mortalité était similaire dans les deux groupes : de l'ordre de 24 % à l'hôpital dans Select2 et d'environ 20 % à trois mois dans Angel-Aspect.

Autre élément important, la thrombolyse était réalisée dans un certain nombre de cas des deux groupes des deux études : 20,8 % du groupe thrombectomie et 17,3 % dans le groupe médical dans les 4,5 heures suivant l'AVC dans Select2 ; environ 28 % dans les deux groupes pour Angel-Aspect.

Qu'en est-il des complications hémorragiques symptomatiques ? L'essai japonais avait, de façon surprenante, rapporté une incidence similaire dans les groupes thrombectomie et traitement médical mais une plus forte fréquence de tout type d'hémorragie intracrânienne dans le groupe interventionnel.

Ici, si elles étaient plus fréquentes avec la thrombectomie dans l'étude chinoise (6,1 % versus 2,7 % dans le groupe médical), la survenue était la même dans l'étude internationale (un cas dans le groupe thrombectomie et deux dans le groupe médical). Avec la thrombectomie ont été également rapportées dans Select2 : des complications artérielles liées à l'accès au site (cinq cas), une dissection (10 cas), une perforation vasculaire cérébrale (sept cas) et un vasospasme transitoire (11 cas).

Les moyens de changer les pratiques

« Les trois essais, malgré leurs différences dans leur design, la sélection des patients, le traitement thrombolytique et sa dose, le lieu géographique et les critères d'imagerie, montrent des résultats remarquablement similaires », écrit le Dr Pierre Fayad dans un éditorial associé (4). Quels que soient l'âge, le degré de déficit neurologique et l'origine géographique, la thrombectomie reste bénéfique. « Il apparaît raisonnable de suggérer que la thrombectomie endovasculaire puisse être offerte aux patients avec des AVC étendus », poursuit le neurologue de l'université du Nebraska.

Ces résultats vont changer les pratiques, assure le Pr Mazighi. « À partir d'aujourd'hui, on ne raisonne plus de la même façon. Les indications de la thrombectomie vont encore s'élargir, explique-t-il. Non seulement le traitement endovasculaire est bénéfique pour les gros AVC, mais il l'est avec une prise en charge allant jusqu'à 24 heures après le début de l'accident. » Sans oublier qu'un autre paradigme tombe. « Au moins 20 % des patients des deux études ont été thrombolysés, en théorie, on n'aurait pas dû dans ces gros AVC, rappelle-t-il. Cela interpelle vraiment sur la place de la thrombolyse. »

Mais le neurologue parisien pointe l'offre de soins insuffisante en France, alors que l'incidence des AVC va augmenter de 30 % d'ici à 2035 en Europe et de 50 à 70 % d'ici à 2050 en France. « Quand l'Allemagne a augmenté son nombre de thrombectomie de 60 %, l'offre de soins stagne, voire diminue en France », déplore-t-il. Cette inadéquation s'explique en grande partie par la démographie médicale et le manque d'opérateurs formés. « Il faut se doter de nouveaux centres et proposer de nouvelles modalités de prise en charge pluridisciplinaire, en ouvrant la formation à d'autres spécialistes que les radiologues interventionnels, par exemple aux neurologues », estime le Pr Mazighi.

Un problème déterminant d'accès aux soins auquel les politiques publiques devront répondre afin d'éviter de plonger les médecins dans des dilemmes éthiques : à qui vaut-il mieux réserver le traitement ? Aux personnes les plus sévères afin de leur éviter un lourd handicap ou à celles qui auront le plus de chances de récupérer une fonction la plus proche de la normale ?

(1) S. Yoshimura et al, N Engl J Med, 2022. DOI: 10.1056/NEJMoa2118191
(2) A. Sarraj et al, N Engl J Med, 2023. DOI: 10.1056/NEJMoa2214403
(3) X. Huo et al, N Engl J Med, 2023. DOI :10.1056/NEJMoa2213379
(4) P. Fayad, N Engl J Med, 2023. DOI: 10.1056/NEJMe2300193

Dr Irène Drogou
AVC

Source : Le Quotidien du médecin