Neurologie

Un consortium européen définit trois groupes de la maladie d'Alzheimer

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Publié le 10/12/2021
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Remettant en cause l’hypothèse déterministe de la maladie d’Alzheimer, un groupe de médecins et scientifiques européens propose une classification en trois groupes fondée sur une approche probabiliste.
La présence de plaques amyloïdes n’est pas systématiquement associée à la survenue de symptômes cognitifs

La présence de plaques amyloïdes n’est pas systématiquement associée à la survenue de symptômes cognitifs
Crédit photo : Phanie

Un consortium européen, dirigé par l’université de Genève et les hôpitaux universitaires de Genève (HUG), a identifié trois groupes de la maladie d’Alzheimer. Cette classification, fondée sur l'analyse de 200 études et parue dans « Nature Reviews Neuroscience », devrait permettre d’affiner les critères diagnostiques et ainsi de personnaliser les stratégies préventives et thérapeutiques.

Comme le rappellent les auteurs, « l’hypothèse amyloïde » domine aujourd’hui pour expliquer l’évolution de la maladie. Selon ce concept déterministe, la maladie d’Alzheimer est due à une cascade d’événements : 1. l’apparition d’un dépôt amyloïde dans le cerveau ; 2. l’agrégation de la protéine tau hyperphosphorylée dans les neurones ; 3. la neurodégénérescence ; et 4. le déclin cognitif, avec en premier lieu la perte de mémoire.

L’importance des facteurs stochastiques

« Notre étude montre que les biomarqueurs biologiques vont avoir un poids fort dans l’évolution de la maladie, mais que leur présence ne suffit pas pour autant à prédire cette évolution, indique au « Quotidien » le Pr Bruno Dubois, chef du service de neurologie à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et co-auteur de l’étude. La maladie d’Alzheimer correspond à un modèle plus subtil qui intègre notamment les facteurs de risque. »

Ce travail remet ainsi en cause le modèle déterministe et en propose un nouveau. « Il s’agit d’un modèle dit “probabiliste” composé non pas d’une, mais de trois variantes de la maladie d’Alzheimer dans lesquelles la pertinence de l’hypothèse amyloïde va en décroissant tandis que l’importance de facteurs dits stochastiques (c’est-à-dire aléatoires comme les expositions environnementales et les gènes à faible risque) augmente », est-il expliqué dans un communiqué.

Plusieurs éléments avaient déjà fragilisé l’hypothèse déterministe. Par exemple, la présence de plaques amyloïdes dans le cerveau n’est pas systématiquement associée à la survenue de symptômes cognitifs. Et les résultats peu satisfaisants obtenus avec l’aducanumab, cet anticorps anti-amyloïde récemment autorisé aux États-Unis, ne vont pas dans le sens de cette hypothèse non plus. « L’arrêt de la production de bêta-amyloïde par un médicament devrait logiquement interrompre la perte neuronale et de mémoire. Mais cela n’a pas été massivement observé », précise le Pr Giovanni Frisoni, directeur du Centre de la mémoire aux HUG qui a dirigé ce travail.

Dans le modèle probabiliste ici décrit, trois groupes de patients ont été définis en fonction de leurs facteurs de risque, des caractéristiques de leur maladie et de leur devenir. La cascade d’événements ne se retrouve que dans le premier groupe de patients, qui inclut ceux présentant une mutation autosomique dominante, très rare. « Mais même dans cette catégorie très déterministe, les scientifiques suspectent que des facteurs stochastiques, encore inconnus, jouent un rôle non négligeable, notamment dans l’âge d’apparition des symptômes qui varie entre 30 et 50 ans », lit-on.

Dans le deuxième groupe, qui rassemble les deux tiers des cas, les patients ont développé une forme sporadique de la maladie associée à la présence d’une ou deux versions de l’allèle ε4 du gène de l’apolipoprotéine E (APOE). Le fait d’être porteur de cet allèle apparaît comme un facteur de risque important, associé à un risque de démence variant de 22 à 95 %. Les patients du troisième groupe - environ un tiers des cas - sont également atteints d’une forme sporadique de la maladie mais non liée à l’allèle ε4. Le risque de développer une démence se situe entre 7 et 35 %, avec un âge moyen d’apparition de plus de 80 ans. Dans ces deux groupes, le poids des facteurs stochastiques est aussi très important par rapport à celui de la présence de plaques amyloïdes et de protéine tau dans le cerveau.

De nouveaux outils diagnostiques

« La conséquence logique de notre modèle, s’il était adopté par la communauté scientifique, serait de proposer un génotypage systématique du gène APOE, pour connaître la présence ou non de l’allèle ε4 et donc évaluer le risque de développer la maladie », explique le Pr Frisoni, soulignant la nécessité de traiter les personnes à risque avant l’apparition des symptômes. L’estimation du risque passe aussi par la détection de la présence de plaques amyloïdes et de protéine tau dans le cerveau, ce qui requiert des interventions invasives et coûteuses. « Mais la récente mise au point d’instruments capables de détecter la présence de bêta-amyloïde et de tau dans le sang est sur le point de changer la donne », est-il rapporté. Le Centre de la mémoire des HUG vient d’acquérir un appareil de biologie très sensible à des fins de recherche qui serait utilisé en clinique d’ici un à deux ans. « Cela révolutionnera la recherche, la prise en charge et le traitement de la maladie d’Alzheimer », estime le Pr Frisoni.

D'après un communiqué de l'université de Genève
G. B. Frisoni et al., Nat Rev Neurosci, 2021. doi.org/10.1038/s41583-021-00533-w

Charlène Catalifaud

Source : Le Quotidien du médecin