Les infections oculaires, une préoccupation émergente en ophtalmologie

Par
Publié le 07/02/2024
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

« Les infections oculaires ont beaucoup évolué ces dernières années et le phénomène va encore se développer, notamment avec les déplacements à l’international et le réchauffement climatique », explique le Pr Marc Labetoulle, de l’hôpital Kremlin-Bicêtre (AP-HP) et président de la Société française d’ophtalmologie (SFO), qui dévoile en avant-première des éléments du rapport 2024 de la société savante. La présentation officielle sera l’événement phare de la 130e édition du congrès de la SFO du 4 au 6 mai à Paris.

Conjonctive (conjonctivite), paupières (blépharite), voies lacrymales (dacryocystite), cornée (kératite), iris (uvéite antérieure), vitré (hyalite), choroïde (choroïdite), rétine (rétinite), nerf optique (papillite), sclère (sclérite) : toutes les tuniques de l’œil peuvent être affectées. Certaines atteintes, qui touchent les tissus directement impliqués dans la vision (cornée, vitré, rétine, nerf optique), sont potentiellement plus sévères car elles peuvent compromettre définitivement la fonction visuelle. « Cependant toutes les infections peuvent entraîner des conséquences sévères, mais de façon indirecte, en altérant les tissus plus nobles », lit-on dans un communiqué de la SFO.

Corticoïdes et anti-VEGF, des traitements adjuvants efficaces

Certes, « le trachome (conjonctivite contagieuse pouvant entraîner la cécité, NDLR) a quasi disparu », souligne le spécialiste, qui a coordonné le travail de nombreux experts microbiologistes, pathologistes et ophtalmologues avec les Prs Bahram Bodaghi et Tristan Bourcier. Mais des endophtalmies après un acte chirurgical ou des injections intravitréennes peuvent avoir des conséquences graves. L’infection oculaire peut toucher tous les âges, du nouveau-né (mère porteuse d’une infection génitale) au grand âge, sachant qu’un patient de 80 ans a une chance sur deux d’avoir un zona ophtalmique.

Les traitements curatifs, qui sont antimicrobiens (antiviraux, antibactériens, antiparasitaires, antifongiques), peuvent être associés à des adjuvants, en particulier les anti-VEGF classiquement utilisés dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge ou encore les corticoïdes. « Les corticoïdes ont été mis sur le devant de la scène avec la pandémie de Covid, rappelle le Pr Labetoulle. En ophtalmologie, ils peuvent être très intéressants contre l’inflammation et sont utilisés depuis les années 1980, notamment dans les rétinites virales ». Des techniques chirurgicales peuvent aussi être utiles « car on sait opérer un œil infecté », signale l’ophtalmologue. Les traitements préventifs peuvent être pharmacologiques (antiviraux, antibiotiques) ou vaccinaux. « Les infections après chirurgie de la cataracte ont diminué d’un facteur 10 depuis les années 2000 », souligne-t-il.

L’IA et la PCR, des pistes pour le futur

Le futur est confronté à plusieurs enjeux, à commencer par la résistance croissante des antimicrobiens, particulièrement préoccupante compte tenu du désinvestissement industriel dans la recherche en infectiologie depuis l’arrivée des génériques dans les années 1980. Et il existe des limites techniques réelles à la mise au point de vaccins contre certains pathogènes, comme le HSV1 (virus difficile à contenir) ou encore Chlamydia trachomatis (un vaccin est en développement). Or, avec les changements sociétaux, environnementaux et climatiques, apparaissent « des pathologies infectieuses dans des régions jusqu’alors épargnées », lit-on, comme la dengue en Europe du Nord avec le moustique tigre dont la zone d’implantation ne cesse de s’étendre. « Il y aura des évolutions », observe le Pr Labetoulle.

Des pistes s’ouvrent néanmoins, avec l’intelligence artificielle qui devrait permettre de poser des diagnostics à partir de l’image à la lampe à fente. D’autres recherches sont en cours pour affiner le diagnostic, par exemple avec la PCR et des outils capables de tester 20 à 30 pathogènes à partir d’un seul prélèvement. « C’est en train d’arriver sur le marché », annonce le spécialiste. Des médicaments sont en développement, contre les conséquences des infections, par exemple les anti-VEGF pour la cornée, des matrices de reconstruction tissulaire ou des antifibrotiques, mais aussi pour booster l’immunité sur des terrains immunogénétiques particuliers, potentiellement avec des technologies de rupture. « Pour avancer, la collaboration entre microbiologistes et ophtalmologues est plus que jamais nécessaire », estime le Pr Labetoulle, rapportant « des contacts quotidiens » dans son service spécialisé.


Source : lequotidiendumedecin.fr