Les patients atteints d'Alzheimer montrent une perte des microvaisseaux rétiniens

Un ophtalmologue pourra-t-il un jour diagnostiquer la maladie d'Alzheimer présymptomatique ?

Publié le 18/03/2019
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Examen retine

Examen retine
Crédit photo : DR

« Nos résultats sont importants car ils suggèrent qu'un jour, nous pourrions avoir un examen non invasif, peu coûteux et rapide pour dépister la maladie d'Alzheimer chez un grand nombre de personnes ; ceci, afin d'inclure ces individus dans des essais cliniques évaluant de nouveaux traitements qui pourraient être plus efficaces au stade précoce de la maladie.Nous pourrions alors peut-être trouver un médicament capable de retarder l'apparition de la maladie d'Alzheimer, voire prévenir son apparition, ou même l'inverser », précise au «Quotidien» la Dr Sharon Fekrat, professeur d'ophtalmologie à la Duke University en Caroline du Nord (États-Unis), qui a dirigé l'étude publiée dans la revue Ophtamology Retina de l'American Academy of Ophtalmology.

« De nombreux essais cliniques évaluant de nouveaux traitements pour la maladie d'Alzheimer n'ont pas eu de succès. Les raisons ne sont pas encore claires. L'une des explications possibles serait que la maladie d'Alzheimer est trop avancée au moment de l'entrée dans l'essai clinique et que les nouveaux médicaments pourraient ne pas être efficaces aux stades avancés. »

La tomographie en cohérence optique-angiographie (OCT-A) est une nouvelle technique d'imagerie de la rétine permettant de visualiser les microvaisseaux rétiniens sans injection de colorant, ceci avec une bien meilleure résolution qu'une angiographie à la fluorescéine.

Les chercheurs ont donc utilisé cet examen pour comparer les rétines de 39 patients (70 yeux) atteints de la maladie d'Alzheimer (MA), 37 patients (72 yeux) ayant un déficit cognitif léger (MCI) et 133 personnes en bonne santé cognitive (254 yeux). « Il s'agit du plus grand groupe de patients MA et MCI évalués prospectivement par imagerie et comparés à un groupe témoin important (1 cas pour 4 témoins) », note la Dr Fekrat.

« Notre étude démontre qu'il existe une baisse de densité des vaisseaux sanguins rétiniens dans le plexus capillaire superficiel de la rétine et un amincissement d'une des couches rétiniennes - la couche plexiforme interne des cellules ganglionnaires - chez les patients atteints de MA, en comparaison des témoins adultes cognitivement sains et des patients ayant un MCI (après ajustement pour l'âge et le sexe). Ceci corrobore la littérature disponible qui suggère que de tels changements dans la rétine pourraient refléter des changements des petits vaisseaux sanguins dans le cerveau des patients atteints de la maladie d'Alzheimer », explique-t-elle.

« Nous avons été très surpris de ne pas trouver de différence entre les adultes en bonne santé cognitive et ceux ayant un MCI. Cela pourrait être dû au fait que la taille de notre échantillon de patients MCI était relativement petite et que ce groupe incluait à la fois ceux ayant un MCI amnésique et ceux un non amnésique. Nous allons examiner un plus grand nombre de patients ayant un MCI dans les mois à venir afin de mieux analyser ces deux groupes », souligne la Dr Fekrat.

Des répercussions cliniques non immédiates

« Pour l'instant, l'OCT et l'OCT-A ne peuvent pas encore être utilisées pour diagnostiquer la maladie d'Alzheimer. Il faudra des années avant que ces tests soient prêts à être déployés car les résultats doivent être validés dans des populations plus larges de patients », prévient-elle.

« L'objectif à terme sera d'obtenir des images multimodales de la rétine et du nerf optique, ce qui pourrait offrir une série de biomarqueurs permettant de prédire le risque de maladie d'Alzheimer (similaire à l'obtention d'un panel lipidique et permettant d'évaluer le risque individuel de maladie cardiaque), de stratifier les différents stades de la maladie d'Alzheimer et peut-être de surveiller la réponse à un nouveau traitement dans le cadre d'un essai clinique », laisse-t-elle entrevoir.

« Nous allons commencer plusieurs études collaboratives, dans lesquelles nous recruterons des populations plus larges de patients ayant des maladies neurodégénératives allant au-delà de la MA, afin d'évaluer la gamme des modifications de la microvascularisation rétinienne sur l'ensemble des maladies neurodégénératives. Nous allons également recueillir des données longitudinales chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer afin d'évaluer l'évolution au fil du temps en utilisant l'OCT-A. Nous analyserons aussi les images déjà obtenues chez des personnes asymptomatiques qui sont à haut risque génétique de MA sporadique, en les comparant aux personnes à faible risque génétique. Et pour terminer sur une note très excitante, nous collaborons avec le département d'ingénierie informatique de Duke pour développer des algorithmes d'apprentissage en profondeur (deep learning) afin d'évaluer et valider les images multimodales pour la maladie d'Alzheimer, confie la chercheuse. Nos yeux pourraient bien être les fenêtres de notre santé cérébrale », conclut la Dr Fekrat.

S. Yoon et al., Ophtamology Retina, 10.1016/j.oret.2019.02.002, 2019

Dr Véronique Nguyen

Source : Le Quotidien du médecin: 9733