Une introduction très précoce, d'autant plus chez les sujets à risque

On peut éviter de devenir allergique à l’arachide

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Publié le 17/12/2018
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Crédit photo : PHANIE

Il y a plus d’une dizaine d’années, plusieurs études ont suggéré que l’introduction précoce d’aliments comme l’arachide ou l’œuf permettait d’acquérir la tolérance orale et protégeait vis-à-vis du développement des allergies alimentaires correspondantes (1). Ces nouvelles façons de prévenir les allergies alimentaires étaient contraires aux données admises et même recommandées par les sociétés savantes des différents pays (2). Quelques études récentes ont ainsi montré que, à l'inverse de ce qui était préconisé, l’introduction différée des aliments solides était associée à un risque plus important d’allergie au poisson et à l’œuf (3).

Depuis plusieurs années, l’équipe de Gideon Lack, constatant la fréquence avec laquelle les nourrissons atteints de dermatite atopique sévère avaient un fort risque de développer une allergie à l’arachide, ont effectué plusieurs études qui ont montré que la rupture de la fonction barrière de la peau pouvait favoriser le passage d’allergènes de l’arachide situés dans l’environnement (4-6).

Le phénomène de tolérance alimentaire a été bien démontré au cours d’une étude comparative (4) qui a inclus des enfants d’écoles juives londoniennes (Royaume-Uni) et des enfants israéliens scolarisés de la région de Mehoz Merkaz (Tel Aviv) habitant dans un environnement comparable mais ayant des habitudes alimentaires différentes. La prévalence de l’allergie alimentaire à l’arachide était de 1,85 % au Royaume-Uni et seulement de 0,17 % en Israël, soit 11 fois moindre (p < 0,001). Après prise en compte statistique de l’atopie, le risque relatif de développer une allergie alimentaire à l’arachide au Royaume-Uni était de 5,8 (IC95 % 2,87 – 11,8) pour tous les enfants (de 4 – 19 ans) et de 9,8 (IC95 % 3,1 – 30,5) pour ceux des écoles primaires (4).

Alors que le moment et la nature de la diversification alimentaire sont identiques dans les deux pays (introduction de l’œuf, du soja, du blé, des légumes, des fruits), seul le moment de l’introduction de l’arachide était significativement différent : à l’âge de 9 mois, 69 % des enfants Israéliens consomment de l’arachide alors qu’ils ne sont que 10 % au Royaume-Uni. En d’autres termes, en Israël, la consommation moyenne est de 7,1 grammes de protéines d’arachide et de 0 gramme au Royaume-Uni (p < 0,001) (4). À noter que les produits alimentaires des deux pays ont un contenu identique en protéines d’arachide.

La fréquence 10 fois plus élevée de l’allergie alimentaire à l’arachide au Royaume-Uni ne peut pas être expliquée par des facteurs comme l’âge, le sexe, l’hérédité, l’atopie et les facteurs socio-économiques. L’introduction précoce de l’arachide en Israël est la seule explication de cette différence en favorisant le phénomène de tolérance alimentaire orale. C’est entre autres à partir de ce constat que l’étude LEAP a été lancée.

L'étude Leap tranche

L’étude LEAP (7) sur l’introduction précoce de l’arachide dans l’alimentation du nourrisson a randomisé 640 nourrissons âgés de 4 à 11mois souffrant d’eczéma sévère et/ou d’allergie aux œufs, de façon à consommer ou à éviter l’arachide jusqu’à l’âge de 5 ans (60 mois). Au préalable, l’eczéma sévère et l’allergie alimentaire aux œufs avaient été identifiés comme des facteurs de risque d’allergie à l’arachide. L’objectif principal de cette étude était la proportion d’enfants ayant une allergie à l’arachide à l’âge de 60 mois.

Parmi les 530 nourrissons de la population en intention de traiter qui avaient initialement des prick tests négatifs vis-à-vis de l'arachide, la prévalence de l’allergie à l’arachide à l’âge de 60 mois était de 13,7 % dans le groupe « éviction » et seulement de 1,9 % dans le groupe « consommation », soit une différence très significative (p < 0,001).

Et, dans le groupe de 98 enfants en intention de traiter ayant des prick tests positifs (diamètre de la papule induite comprise entre 1 et 4 mm), la prévalence de l’allergie à l’arachide était de 35,3 % dans le groupe « éviction » et de 10,6 % dans le groupe « consommation », soit une différence également très significative (p = 0,004).

Une augmentation des IgG4 dirigées contre l’arachide fut principalement observée dans le groupe « consommation », preuve de modifications immunologiques induites par la consommation d’arachide, associées à la tolérance alimentaire orale. En revanche, dans le groupe « éviction », un pourcentage plus important de patients avaient des titres élevés d’IgE sériques spécifiques (IgEs) dirigées contre l’arachide. Une allergie à l’arachide était associée à une taille plus importante de la papule induite par les prick tests à l’arachide et à une diminution du rapport IgG4/IgE spécifiques de l’arachide.

Il ne fut pas observé d’évènements indésirables graves chez les enfants qui consommaient de l’arachide et chez ceux qui l’évitaient.

La réduction significative des risques observés dans cette étude démontre les avantages de l’introduction précoce des protéines d’arachide dans le régime des nourrissons atteints d’eczéma sévère et/ou d’allergie aux œufs. Les altérations de la fonction barrière de la peau constituent un facteur de risque potentiel d’acquisition d’une sensibilisation puis d’une allergie alimentaire à l’arachide. Chez ces enfants, l’ingestion précoce d’arachide active les voies de tolérance orale et empêche la survenue d’une allergie.

Gideon Lack et son équipe considèrent même qu’il existe en général une double pathogénie dans le développement de l’allergie alimentaire à l’arachide : i) l’exposition cutanée expose au développement d’une sensibilisation puis d’une allergie alimentaire via la rupture de la fonction barrière de la peau ; ii) au contraire, l’exposition orale est promotrice d’une tolérance orale.

Il reste à mettre en pratique ces résultats, en termes de recommandations applicables, non seulement à ces nourrissons à haut risque, mais aussi à ceux ayant seulement des formes légères d’eczéma, cela dans les pays où la consommation d’arachide est plus faible qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, à l’Australie, ou même à de nombreux pays d’Europe dont la France.

L’arachide peut se présenter sous diverses formes, collations d’arachide ou beurre de cacahuète en particulier, à consommer 3 fois par semaine pendant 5 ans. Il faudra également déterminer la quantité minimale d’arachide à consommer pour maintenir cette tolérance orale.

Une étude sur l'introduction très précoce avant 3 mois

L’équipe de Gideon Lack aussi mis en place l’étude EAT (Enquiring About Tolerance) dont l’objectif était de valider ou non si l’introduction précoce de divers aliments dans le régime des nourrissons entraînait une tolérance alimentaire (8).  Les nourrissons, au nombre de 1302, ont été randomisés dans l’un des deux groupes suivants : dans un groupe dit « introduction précoce » les nourrissons (n = 651) ont reçus 6 aliments avant l’âge de 3 mois ; dans l’autre groupe, dit « introduction standard » les nourrissons (n = 651) ont reçu ces 6 aliments à partir de l’âge de 3 mois. Dans les deux groupes, la recommandation était d’alimenter ces enfants au sein jusqu’à l’âge de 6 mois. Les enfants sont suivis jusqu’à l’âge de 6 mois (8).

Les premiers résultats de l’étude EAT ont été publiés en 2016 (9). L’objectif principal était la survenue d’une allergie à l’un (ou plus) de ces 6 aliments. Les aliments introduits étaient l’arachide, les œufs cuits, le lait de vache, le poisson blanc, le sésame et le blé. Une allergie à un aliment (ou plus) est survenue un peu plus souvent dans le groupe « introduction standard » que dans le groupe « introduction précoce » (7,1 % versus 5,2 %, différence non significative p = 0,32). L’analyse per-protocole (2,4 % versus 7,3 %, p = 0,01) donnait des résultats significatifs.

Pour chacun des aliments, les résultats étaient les suivants : arachide (0 % versus 2,5 %, p = 0,003), œuf (1,4 % versus 5,5 %, p = 0,009), mais ils n’étaient pas significatifs pour les quatre autres allergènes (8). Une analyse plus poussée pose la question de savoir si l’administration de plusieurs allergènes alimentaires ne soulève pas un problème de dose. À noter que l’administration concomitante de six aliments ne fut pas chose aisée chez ces très jeunes enfants !

Les recommandations qui restent en vigueur

Retarder les aliments dits allergisants est donc révolu. Des anciennes recommandations, ne persistent que l'arrêt du tabac, l'éviction du tabagisme passif et l'alimentation au sein.

Sont à retenir aujourd'hui :

– L’allaitement maternel est recommandé pour tous les nourrissons (6-12 mois) ;

– le régime d’un nourrisson ayant des antécédents familiaux allergiques est le même que celui des nourrissons normaux ;

– les préparations hydrolysées peuvent être recommandées chez les enfants à risque (antécédents allergiques dans la famille nucléaire),

– l’introduction des aliments solides (diversification) ne doit pas être retardée après l’âge de 4 à 6 mois ou davantage (au contraire), sauf en cas d’allergie prouvée à cet âge, ce qui est rare ;

– le régime maternel pendant la grossesse doit être sain et équilibré ;

– arrêter de fumer et éviction du tabagisme passif ;

–  quant à l’éviction des animaux à la naissance (ou le conseil de ne pas en acquérir) c’est maintenant le contraire qui est démontré : naître et vivre à la ferme, avoir un chat à la naissance à la maison et pendant les premières années diminue le risque d’allergie au chat. Le même conseil vaut probablement pour le chien.

Allergologue – Pneumologue – Pédiatre. L’auteur n’a pas de conflit d’intérêts.

1. Du Toit G, Roberts G, Sayre PH, et al. Randomized trial of peanut consumption in infants at risk for peanut allergy. N Engl J Med 2015; 372(9): 803-13

2. Fiocchi A, Assa'ad A, Bahna S; Adverse Reactions to Foods Committee; American College of Allergy, Asthma and Immunology. Food allergy and the introduction of solid foods to infants: a consensus document. Adverse Reactions to Foods Committee, American College of Allergy, Asthma and Immunology. Ann Allergy Asthma Immunol. 2006; 97(1):10-20

3. Jonsson K-, Barman M-, Brekke HK-, et al. Late introduction of fish and eggs is associated with increased risk of allergy development - results from the FARMFLORA birth cohort. Food Nutr Res. 2017 --;61(1):1393306. doi: 10.1080/16546628.2017.1393306

4. Du Toit G, Katz Y, Sasieni P, et al. Early consumption of peanuts in infancy is associated with a low prevalence of peanut allergy. J Allergy Clin Immunol 2008 ; 122(5) : 984-91

5. Fox AT, Sasieni P, du Toit G, Syed H, Lack G. Household peanut consumption as a risk factor for the development of peanut allergy. J Allergy Clin Immunol 2009 ; 123(2) : 417-23

6. Lack G. Epidemiologic risks for food allergy. J Allergy Clin Immunol 2008 ; 121(6):1331-6

7. Du Toit G, Roberts G, Sayre PH, et al. Randomized trial of peanut consumption in infants at risk for peanut allergy. New Engl J Med 2015 ; 372(9) : 803-13

8. www. eatstudy.co.uk (consulté le 12 novembre 2018)

9. Perkin MR, Logan K, Tseng A, et al. Randomized Trial of Introduction of Allergenic Foods in Breast-Fed Infants. peanut allergy. New Engl J Med 2015 ; 372(9) : 803-10

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr