Article réservé aux abonnés
Dossier

Asthme, les pneumos français vent debout contre les recos du GINA

Publié le 21/02/2020
Asthme, les pneumos français vent debout contre les recos du GINA

vento
SPL/PHANIE

Fin 2019, le consensus international d’experts dans l’asthme du GINA a jeté un pavé dans la mare en proposant d’abandonner le recours aux bronchodilatateurs de courte durée d’action dans l’asthme léger, au profit d’une association fixe corticoïdes inhalés-formotérol. Une mini-révolution très critiquée lors du congrès de la Société de pneumologie de langue française. Les experts soulignent le manque de preuves solides étayant cette prise de position et appellent à ne pas se précipiter.

«La mouture 2019 de notre rapport apporte le plus important changement des 30 dernières années dans la prise en charge de l’asthme ». Les experts du GINA (Global Initiative for Asthma) ont eu beau prévenir, leurs dernières recommandations sur l’asthme ont du mal à passer, comme en témoignent les échanges qui ont eu lieu sur cette question lors du 24e congrès de pneumologie de langue française (Paris, 24-26 janvier 2020).

Alors que depuis plus de 30 ans, les b2 agonistes de courte durée d’action (b2-CDA) sont préconisés à la demande dans les asthmes peu symptomatiques et en traitement de secours (en plus du traitement de fond) dans les autres formes d’asthme, le texte du GINA les relègue quasiment aux oubliettes, préconisant désormais de commencer directement par une association corticostéroïdes inhalés (CSI)/b2 de longue durée d'action à la demande, dès le stade 1. Cette association est également proposée au stade 2 en traitement d'entretien à la demande (en alternative au traitement de fond par CSI seuls), et à tous les stades de l'asthme en tant que traitement de secours. À travers ces évolutions, le groupe du GINA espère « réduire le risque d'exacerbation et de décès liés à l'asthme, y compris chez les patients dont l'asthme a été qualifié de léger ».

Si cette prise de position « a eu le mérite de mettre l’accent sur les asthmes légers qu’on a probablement laissés sur le bord de la route en se focalisant sur les asthmes sévères, elle ne repose pas sur des données scientifiques dûment établies », dénonce d’emblée le Pr Chantal Raherison, pneumologue au CHU de Bordeaux et prochaine présidente de la Société de pneumologie de langue française (SPLF).

Des études controversées

Pour justifier leurs préconisations, les experts du GINA s’appuient notamment sur l’étude Sygma 1 publiée en 2018. Dans ce travail mené chez 4 000 patients, la stratégie budésonide-formotérol à la demande permet un contrôle de l’asthme globalement similaire à la terbutaline mais fait mieux en termes d’exacerbation.

Cependant, « ces études n’ont pas été conçues pour définir le meilleur traitement dans l’asthme léger, souligne le Pr Alain Didier (chef du pôle des voies respiratoires au CHU de Toulouse), puisque les cohortes sont constituées en majorité d’asthmatiques modérés symptomatiques qui auraient, de toute façon, nécessité un traitement au long cours plutôt qu’un b2 agoniste de courte durée d’action, avec au minimum un corticoïde inhalé à faible dose pour limiter le remodelage bronchique afin de préserver la fonction respiratoire et prévenir les exacerbations. De plus, sur le plan de la méthodologie, les exacerbations sévères sont des évènements peu fréquents chez les malades modérément sévères, ce qui interdit de conclure dans ces études où le nombre d’événements est trop faible. » En résumé, le GINA a extrapolé aux asthmatiques légers, souvent très peu symptomatiques, une stratégie envisageable chez certains patients plus sévères.

Autre grief, dans l’étude Sygma 1, l’association budésonide-formotérol se montre certes supérieure au b2-CDA à la demande mais « contrairement à ce que dit le GINA, il n’y a pas de supériorité de l’association fixe à la demande par rapport au CSI en traitement de fond lorsque les patients en ont besoin pour contrôler leur asthme. C’est même l’inverse », souligne le Pr Raherison. « La corticothérapie inhalée reste donc la pierre angulaire du traitement de l’asthme », poursuit la pneumologue.

Des médicaments diabolisés à tort ?

Par ailleurs, le GINA écarte les b2-CDA en raison d’un risque accru de décès dans certaines études, en cas de consommation de plus d’un flacon par mois (>12 par an) ou de recours ayant augmenté au cours des 6 derniers mois. « Nous ne pouvons pas laisser passer le message que les b2-CDA tuent, s’insurge le Pr Bernard Maitre (CHI Henri Mondor, Créteil). Les études citées comportent trop de biais, et concernent des populations bien spécifiques. Les personnes décédées avaient une consommation excessive (plus d’un inhalateur par mois). Une majorité n’avait pas de traitement de fond adapté par CSI ni de suivi médical régulier ».

À ce jour, ni la FDA, ni l’EMEA ni l’ANSM n’ont d’ailleurs émis de signal d’alerte. En revanche, « il faut en profiter pour rappeler que la consommation de b2-CDA est un témoin de mauvais contrôle de l’asthme, indique Chantal Raherison. En consommer trop signifie que l’on doit passer à un traitement de fond ou renforcer celui-ci. »

Quant à l’idée selon laquelle certains asthmatiques deviendraient « ventoline-dépendants », il semble là encore qu’il y ait confusion. « Il n’y a pas de dépendance réelle repérée dans la littérature, mais la prise répétée de ventoline est un signe de mauvais contrôle de l’asthme, appuie Alain Didier. C’est une question d’éducation des patients. »

D’autres arguments semblent davantage recevables. « La proposition des anti-inflammatoires à la demande dès les stades légers peu symptomatiques est sous-tendue, à juste titre, par le fait que l’asthme est souvent associé à une inflammation bronchique, et pas seulement à une bronchoconstriction », admet le Pr Alain Didier. Par ailleurs, force est de reconnaître que certains bronchodilatateurs de longue durée d’action (en particulier le formotérol) agissent rapidement et peuvent donc être efficaces en traitement de secours. Enfin, la stratégie proposée par le GINA pourrait avoir l’avantage de contourner la mauvaise observance caractéristique des asthmatiques légers et modérés. Sans être soutenu par aucune étude, cela ouvre une option thérapeutique pour certains patients légers à modérés bien identifiés : très peu observants et rarement exacerbateurs.

La communauté scientifique peu convaincue

Pour autant, la SPLF devrait publier sous peu un communiqué marquant son désaccord avec le GINA et enjoint, pour l’instant, les médecins à ne pas modifier leurs pratiques. « Pour les patients n’ayant jamais fait d’exacerbations sévères et ayant une fonction ventilatoire normale, les B2-CDA restent justifiés et il n’existe pas de donnée démontrant l’intérêt de les placer en seconde position derrière l’association CSI-formotérol à la demande, résume le Pr Didier. Ce d’autant qu’il s’agit d’une décision hors AMM impliquant un surcoût important. »

De son côté, l’Agence européenne du médicament a rendu un avis négatif vis-à-vis de cette stratégie en refusant une extension d’AMM pour le Symbicort®, tandis que l’European Respiratory Society a réclamé la constitution d’un groupe d’experts indépendants des laboratoires pharmaceutiques.

Dans ce contexte, les recommandations de la SPLF sur la prise en charge de l’asthme, promises pour 2020, sont très attendues pour clarifier la situation.

En bref...

Un lien entre pollution et rhinite allergique La pollution atmosphérique pourrait expliquer en partie l’augmentation de la rhinite allergique (RA). Dans la cohorte Constance, des associations positives ont en effet été mises en évidence entre RA et exposition à des polluants de type dioxyde d’azote (OR 1,21 pour une augmentation de 15µg/m3) PM 2,5 ( OR 1,23 ) et carbone suie (OR 1,29).

2/3 Selon un sondage mené par la Société de pneumologie de langue française, 65 % des patients asthmatiques sont suivis par leur médecin traitant et 40 % n’ont jamais consulté de spécialiste (pneumologue ou allergologue). 29 % des sondés trouvent l’accès au spécialiste difficile (72 % pour des délais de rendez-vous trop longs, 24 % pour l’absence de spécialiste à proximité).

De quoi meurent les patients BPCO D’après la cohorte Palombe portant sur des patients BPCO de Nouvelle-Aquitaine, le cancer et les comorbidités cardiovasculaires contribuent à l’augmentation de la mortalité chez les patients BPCO, en plus des critères en rapport avec la sévérité de la maladie (obstruction bronchique, VEMS…).

Des recos sur la désobstruction bronchique Ces dernières années, de nombreux appareils de désobstruction bronchique ont été commercialisés sans validation scientifique. Afin d’y voir plus clair, des recommandations du groupe Kinésithérapie respiratoire de la SPLF seront publiées en 2020. Le texte précisera l’intérêt des séances de kinésithérapie de désobstruction (manuelle ou instrumentale) en fonction de la situation clinique, et précisera quel appareillage utiliser le cas échéant.

Hélène Joubert