Les quatre trajectoires de la fibrose pulmonaire idiopathique

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Publié le 14/03/2023

L’évolution du VEMS lors de fibrose pulmonaire idiopathique pourrait être différenciée en quatre clusters, selon les caractéristiques clinicobiologiques des patients. Cela pourrait peser sur l’interprétation des résultats des études randomisées.

Crédit photo : PHANIE

La fibrose pulmonaire idiopathique, ou fibrose progressive pulmonaire, est associée à une trajectoire clinique hétérogène. Son pronostic est en général relativement sombre, avec une survie de trois à cinq ans. Néanmoins, la progression de la maladie est très variée. Certains patients progressent rapidement ou souffrent de détériorations aiguës ; d’autres, un petit nombre, restent relativement stables. Leur fonction pulmonaire, objectivée par la capacité vitale forcée (CVF), n’évolue quasiment pas.

Cette hétérogénéité vient compliquer l’évaluation du pronostic et le choix thérapeutique. Elle rend aussi très délicate l’interprétation des résultats, à la fois des études d’observation et des essais randomisés d’intervention. D’où l’intérêt de chercher à identifier les divers clusters de patients. C’est ce à quoi s’est attelée, avec un certain succès, une étude publiée récemment dans le Lancet Digital Health (1).

Une analyse secondaire longitudinale de 500 patients

Ce travail original a utilisé les données de CVF de la cohorte prospective multicentrique Profile.

Au total, 415 des 581 patients (71 %) de la cohorte ont été retenus (données en nombre suffisant).

À l’inclusion, ils ont 70 ans d’âge moyen, près de 80 % sont des hommes et un tiers n’a jamais fumé. Leur CVF est à 80 % de la prédiction. Parmi eux, 73 % n’ont jamais été sous antifibrotique et seuls 2 % ont reçu des immunosuppresseurs.

L’analyse des données (anthropométriques, génomiques, biologiques et cliniques) utilise le « machine-learning » ou algorithme intelligent de traitement de données, en deux étapes, pour une double approche — l’une supervisée, l’autre non supervisée —, plus un traitement par méthode de Monte Carlo à chaînes de Markov (MCMC), visant à maximiser la puissance statistique.

Les auteurs ont en outre répliqué l’analyse sur des données d’une autre cohorte de fibrose pulmonaire idiopathique issue du Chicago consortium (180 patients analysables).

Une trajectoire de CVF très hétérogène

À 3 ans de suivi, cette analyse dessine quatre clusters ou sous types d’évolution de la fonction pulmonaire. Ils ont pu être confirmés dans l’analyse de sensibilité et de la cohorte Chicago consortium ;

— Cluster 1 : 34 % des patients. La CVF décroît linéairement durant les trois ans de suivi. Ce déclin est constant est associé à un pronostic défavorable, avec une médiane de vie de l’ordre de 2,9 [2,3- 3,4] ans.

— Cluster 2 : 24 % des patients. La CVF commence par s’améliorer avant de décliner. Le pronostic associé est bien meilleur : 4,7 [4-5,7] ans.

— Cluster 3 : 27 % des patients. La fonction pulmonaire commence par décliner avant de se stabiliser. Le pronostic n’est néanmoins pas bon : 2,2 [1,7-3,8] ans de survie médiane.

— Cluster 4 : 15 % des patients. La fonction pulmonaire est stable. C’est le meilleur pronostic, avec une survie médiane de 5,6 [5,2-6,6] ans. Soit deux plus que celles des clusters 1 et 3.

Au total « on retrouve une évolution attendue, avec un déclin en première année chez deux tiers des patients, suivie (cluster 3) ou non (cluster 1) d’une stabilisation. Plus surprenante est la trajectoire d’un tiers des patients, marquée lors de la première année par une amélioration ou une stabilisation, suivie d’une trajectoire classique de déclin (cluster 2) ou d’une stabilisation (cluster 4). Ces clusters 2 et 4 sont d’ailleurs associés à un bien meilleur pronostic que celui des clusters 1 et 3 », soulignent les auteurs. À noter, dans ces clusters 1 et 3, le rapport VEMS/CVF et les concentrations sériques en protéine D de surfactant (SPD), biomarqueur d’activité de la fibrose, étaient les plus élevés à l’inclusion.

Relire les études randomisées ?

Le cluster 2, marqué par une amélioration initiale de la fonction pulmonaire pose question. Plusieurs hypothèses sont évoquées par les auteurs sans qu’aucune ne paraisse satisfaisante.

Quoi qu’il en soit, selon eux « il est important de savoir à l’avenir qu’une fraction non négligeable des patients souffrant de fibrose pulmonaire idiopathique peuvent s’améliorer à un moment. Cela peut affecter les résultats des études cliniques, si la randomisation n’est pas bien équilibrée. »

Pour mémoire, dans les études Capacity 1 et Capacity 2, les bras sous placebo avaient suivi une trajectoire différente de ceux sous pirfénidone, ce qui avait retardé l’agrément du produit et son arrivée en clinique. « Il est possible que cela soit le fruit d’une inclusion de patients ayant des trajectoires de type clusters 2 et 4 dans les bras placebo, d’autant qu’ils représentent 40 % des patients dans les cohortes », notent les auteurs.

Identifier les patients pouvant suivre une trajectoire type clusters 2 et 4 a aussi des implications en pratique clinique. Dans le cluster 2, les patients peuvent s’améliorer malgré, plutôt que du fait du traitement. « A contrario, dans le cluster 4 le ratio bénéfice/risque d’un traitement peut être restreint, en particulier quand leur CVF initiale est supérieure à 80 % », considèrent les auteurs.

(1) HP Fainberg et al. Forced vital capacity trajectories in patients with idiopathic pulmonary fibrosis: a secondary analysis of a multicentre, prospective, observational cohort. Lancet Digit Health 2022 ;4:e862–72doi.org/10.1016/S2589-7500(22)00173-X

Pascale Solère

Source : lequotidiendumedecin.fr