Cas clinique

Une allergie à un animal de compagnie…

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Publié le 22/10/2019

Charles, 8 ans, vient un week-end sur deux chez son père et y a développé une allergie. Un petit animal très allergisant et responsable d'allergies par procuration voire de sensibilisations occultes est rapidement mis en cause.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Les animaux de compagnie que les anglo-saxons classent sous le terme générique de « pets » ou « pets animals » sont la cause d’allergies multiples, surtout de conjonctivites, de rhinites et d’asthme. Ce sont des animaux aussi familiers et divers que les chats, les chiens, les cobayes, les hamsters, les souris, et même les chevaux. L’observation qui fait suite illustre cet important chapitre de la pathologie allergique. Tous les âges sont concernés, principalement les enfants.

Une famille recomposée

Monsieur V… est un père de famille recomposé. Il consulte au sujet de son fils Charles, âgé de 8 ans qui vient chez lui, le week-end, tous les 15 jours. Voici ce qu’il nous dit : « Depuis 2 mois, chaque week-end où Lucas vient à la maison, il éternue sans arrêt et a les yeux très rouges. Il dort dans la chambre de Hugo (son demi-frère âgé de 6 ans) ».

À l’interrogatoire, on apprend que Charles a présenté un eczéma atopique de l’âge de 3 mois jusqu’4 ans, ainsi que quelques crises d’asthme léger jusqu’à l’âge de 6 ans. Il a quelques poussées, mais épisodiques. Son examen clinique est normal. On remarque simplement qu’il présente des stigmates d’atopie, sous la forme d’un signe de Dennie-Morgan (pigmentation sous-orbitaire et plis sous-palpébraux. Nous demandons si quelque chose a changé dans la maison. Le père indique : « Hugo a voulu un lapin nain qui dort dans un panier dans la chambre… ». La seule réponse du père fournit le diagnostic : Charles a développé une allergie au lapin, le nouvel animal de compagnie de son demi-frère Hugo ! Les prick-tests sont positifs au lapin (induration de 11 mm de diamètre) ainsi que le dosage des IgE sériques spécifiques (75 UI/ml). Cet enfant est également sensibilisé aux acariens, notion connue, puisqu’il bénéficie d’une éviction des acariens chez sa mère.

Un animal très allergisant

Longtemps classés dans l’ordre des rongeurs, le lapin (Oryctolagus cuniculus) et le lièvre (Lepus europaeus) sont des Lagomorphes, ordre de mammifères comportant les léporidés et les pikas. Ils se distinguent des rongeurs par leur denture : deux paires d'incisives à la mâchoire supérieure (l'une, plus petite, étant située derrière l'autre et cachée par elle) qui sont, comme celles de la mandibule, entièrement recouvertes d'émail.

Animal de laboratoire, mais aussi de compagnie, le lapin (comme de nombreux animaux de compagnie), est un « animal très allergisant ». 

La fréquence de l’allergie au lapin comme animal de compagnie est mal connue, car les cas individuels sont très rarement publiés. Par contre, on sait que le lapin est fortement allergisant ce que montrent un grand nombre d’enquêtes. Aoyama et coll. (1) ont effectué une enquête portant sur 5 641 laborantins (issus de 137 laboratoires) qui a montré que 29,7 % des personnels étaient allergiques au lapin. Les autres allergies étaient dirigées contre le cochon d’Inde (31 %), le chat (30,1 %), et la souris (21,6 %) (1).

Chez notre patient, l’existence de stigmates d’atopie et d’une sensibilisation aux acariens est associée à risque plus élevé de développer d’autres allergies. De plus, l’allergie aux animaux est un facteur de risque d’acquisition d’une rhinite allergique et/ou d’un asthme (2), car les allergènes d’animaux, très volatils, sont diffusibles dans l’environnement : d’où également le risque d’allergie par procuration en l’absence de l’animal. Ce risque, bien connu pour les allergènes de chat et de cheval, existe aussi pour le lapin, et la plupart des animaux à poil ou à fourrure (2).

Les symptômes, IgE dépendants, sont le plus souvent modérés (rhinite, conjonctivite, prurit, asthme) (1), mais Prince et coll. (3) ont rapporté un cas d’anaphylaxie sévère aux épithéliums et aux poils de lapin. Les deux principaux allergènes de lapin, Ory c 1 (glycoprotéine de 17-18 kDa présente dans la salive et la fourrure, mais absente des urines) et Ory c 2 (protéine de 21 kDa située dans la salive) sont les lipocalines (3). Elles constituent une famille de protéines qui assurent le transport de petites molécules hydrophobes, en particulier les allergènes de chat, de chien et de lapin.

La puissance des allergènes de lapin est très importante : une jeune fille de 18 ans développa des symptômes respiratoires très sévères, nécessitant un traitement intensif, 2 jours seulement après l’acquisition d’un lapin (4). Ces symptômes étant apparus au premier contact avec le lapin, les auteurs réalisèrent une enquête qui permit de découvrir : i) qu’une amie de la jeune fille possédait un lapin depuis 3 ans, ii) que des poils de lapin étaient présents sur les vêtements de cette amie. Ces faits ont suggéré une sensibilisation progressive de la patiente aux allergènes de lapin transportés par sa camarade. L’acquisition d’une sensibilisation occulte n’est pas rare, puisque des sensibilisations et allergies par procuration ont été décrites pour de nombreux animaux, en particulier les chevaux, comme le suggère la survenue de symptômes de rhinite et/ou d’asthme comme au contact des vêtements déposés par un cavalier.

Un cas singulier d’allergie au lièvre (Lepus europeanus) a été rapporté chez une femme de 46 ans qui, atteinte de rhinite et d’asthme polliniques, avait décidé, deux ans plus tôt d’acquérir deux lièvres pour les garder à domicile comme des animaux de compagnie ! Un an plus tard, elle développa un asthme persistant. L’allergie au lièvre fut confirmée par la positivité des prick tests et des IgEs (6). Il existe une réactivité croisée entre les épithéliums de lièvre et de lapin, due à Ory c1.

Conclusions

Les cas déclarés d’allergie au lapin, en tant qu’animal de compagnie, sont rares. Par contre, l’allergénicité du lapin (fourrure, salive, urines) est importante puisque 30 % des personnels de laboratoire sont allergiques au lapin. Le lièvre, de la même famille que le lapin, est un animal de compagnie plutôt original ! Il y en a d’autres. En effet, il y a 63 millions d’animaux en France et près d’un foyer sur deux possède un animal de compagnie selon la dernière enquête FACCO/TNS/Sofres (7). Nous aurons probablement l’occasion de revenir dans ces colonnes sur cet important chapitre de l’allergologie courante.

 

Pneumologue, Toulouse

1. Aoyama K, Ueda A, Manda F, Matsushita T, Ueda T, Yamauchi C. Allergy to laboratory animals: an epidemiological study. Br J Ind Med 1992; 49(1):41-47

2. Konradsen JR, Fujisawa T, van 2. Hage M, Hedlin G, Hilger C, et al. Allergy to furry animals: New insights, diagnostic approaches, and challenges. J Allergy Clin Immunol 2015; 135(3): 616-25.

3. Prince E, Zacharisen MC, Kurup VP. Anaphylaxis to rabbit : a case report. Ann Allergy Asthma Immunol 1998; 81(3) : 272-3.

4. Baker J, Berry A, Boscato M, Gordon S, Walsh BJ, Stuart MC. Identification of some rabbit allergens as lipocalins. Clinical and Experimental Allergy 2001; 31(2): 303-312.

5. Liccardi G, D’Amato G, Canonica GW, Dente B, Passalacqua G. Severe respiratory allergy by indirect exposure to rabbit dander : a case report. Allergy 2004; 59(11) : 1237-8.

6. Jimenez A, Quirce S, Maranon F, Fernandez-Caldas E, Cuesta J, et al. Allergic asthma to pets hare. Allergy 2001; 56(11):1107-8.

7. https://www.facco.fr/actualités/ (consulté le 28 septembre 2019).

 

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr