Cas clinique

Une anaphylaxie d’effort après ingestion alimentaire

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Publié le 24/10/2018
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Crédit photo : PHANIE

L’anaphylaxie se caractérise par l’apparition soudaine et la progression rapide de symptômes allergiques touchant plusieurs organes cibles. Le cas clinique présenté ici concerne une forme particulière d’anaphylaxie très souvent méconnue.

Adrien, 24 ans, pratique plusieurs sports à un très bon niveau, en particulier le cyclisme et la course à pied, effectuant régulièrement quatre entraînements par semaine. En cette fin du mois de mai, il a prévu d’effectuer une séance de course à pied en endurance sur 15 km. Quand il avait 7 ans, une exploration allergologique pour rhinite montra une allergie aux pollens de graminées. Il avait aussi des crises nocturnes d’asthme pendant la saison pollinique. Il reçut une immunothérapie par voie sous cutanée (ITSC) pendant quatre ans. Sa rhinite s’améliora et les crises d’asthme disparurent, remplacées par une toux nocturne en saison pollinique.

Au bout d’une quinzaine de minutes de course, il éprouve une sensation de prurit au niveau des membres inférieurs, il tousse et éternue. Adrien attribue ces symptômes à son allergie pollinique qui se manifeste encore en cas de forte exposition aux pollens, ce qui est le cas en cette matinée de printemps, où le temps est beau, et le parcours herbeux. Il continue de courir, mais fait demi-tour pour rentrer au bout d’une trentaine de minutes, alors que d’autres symptômes se manifestent : sensation de fatigue inhabituelle pour lui, urticaire, toux, gêne respiratoire… Il rentrera difficilement, en courant lentement, puis en marchant. Chez lui, il se rend compte qu’il présente également une urticaire du visage et un œdème des lèvres. Il prend alors plusieurs bouffées d’un bêta-2 mimétique de courte durée d’action (B2CA) et prend une douche afin, pense-t-il, de soulager son prurit. Devant l’aggravation de ses symptômes (urticaire, angio-œdème, difficultés respiratoires), il finira par appeler le Samu.

Le diagnostic d’anaphylaxie d’effort est porté : il reçoit une injection intramusculaire d’adrénaline dans la cuisse, des B2CA par inhalation, des corticoïdes IV, et il sera hospitalisé pendant 24 heures. Toutefois, cette anaphylaxie est particulière, car Adrien a consommé quatre amandes 30 minutes avant de courir. Il présente une anaphylaxie d’effort particulière : l’anaphylaxie induite par l’ingestion d’aliments et l’exercice physique (AIIEP).

Les tests cutanés confirmeront une positivité des prick tests (PT) à plusieurs pollens de graminées dont celui de phléole (induration 8 mm), aux acariens (7 mm), ainsi qu’à l’amande (5 mm). Aucun autre aliment n’est responsable d’un PT positif. Dans l’AIIEP, l’anaphylaxie n’est provoquée ni par l’exercice physique seul ni par l’ingestion de l’aliment, mais par l’association des deux ; le patient, bien qu’ayant un PT positif à un aliment, ne présente aucun symptôme après la seule consommation de cet aliment. Adrien bénéficiera de conseils simples : ne pas consommer d’aliment avant un effort, respecter la règle des trois heures entre un repas et la réalisation d’un exercice physique. Il n’y aura pas de récidive pendant deux ans.

Pas de sport trois heures après un repas

Les anaphylaxies d’effort (AIE) forment un groupe très hétérogène dans lequel on distingue, outre celle induite par l’exercice physique seul (AIEP) et l’AIIEP, l’anaphylaxie postprandiale isolée et les anaphylaxies dites idiopathiques où l’effort est parfois un facteur de risque, pas toujours reconnu, souvent associé à la prise de médicaments, parfois à des facteurs hormonaux.

L’AIIEP isolée est la plus fréquente de ces AIE, et son incidence est probablement sous-estimée (0,31/1 000 étudiants dans une étude japonaise) (1). Ce type d’anaphylaxie a été rapporté pour la première fois en 1979 par Maulitz et coll. (2) puis en 1983 par Kidd et coll. (3). La même année Novey et coll. (4) ont décrit une anaphylaxie d’effort où les symptômes sont provoqués par un exercice physique, le plus souvent vigoureux, effectué immédiatement (ou presque) après l’ingestion d’un repas sans particularité, sans sensibilisation alimentaire IgE dépendante vis-à-vis d’un aliment. Les symptômes du syndrome décrit par Novey sont dus au stockage d’une partie de la masse sanguine dans le territoire splanchnique (associé au travail digestif) et dans les muscles (lié à l’exercice physique), qui se traduit par un désamorçage cardiaque (malaise, hypotension et choc).

Enfin, les anaphylaxies idiopathiques regroupent des situations plus disparates (5).

Dans l’AIIEP, les aliments les plus souvent en cause sont : la farine de blé (pain, pâtes alimentaires), les fruits de mer (clams, crevettes), le céleri, la tomate, la pomme, le raisin, les fruits secs (noix, noisettes, amandes), l’orange, la pêche, le chou, l’escargot, le sarrasin, l’oignon, les escargots, etc. (6). Cette liste n’est pas close !

Le nombre des observations publiées est actuellement supérieur à 300, mais beaucoup de cas sont ignorés, et les observations isolées ne sont probablement pas publiées. Les individus atteints sont deux fois plus souvent de sexe masculin, en général des adultes jeunes ou des adolescents, plus rarement des enfants de moins de 10 ans. Si tous les types d’efforts sont concernés, il s’agit en général d’exercices d’endurance (course à pied, basket, handball, natation, marche…).

Certains auteurs préconisent un test de provocation réaliste, mais il est parfois refusé par les patients et surtout non réalisé pour des raisons éthiques ou lorsque le mode de présentation clinique est évident. Toutefois, ce test est nécessaire lorsque plusieurs aliments sont suspectés (7, 8).

La séquence habituelle est « ingestion d’un aliment puis effort », la séquence inverse étant possible mais beaucoup plus rare. Dans tous les cas, le premier symptôme qui apparaît est le prurit, en particulier les démangeaisons des paumes des mains et des plantes des pieds, comme c’est le cas dans notre observation, et toutes celles que nous connaissons. Ce symptôme capital doit conduire à l’arrêt immédiat de l’effort sous peine d’une évolution grave, comme dans notre cas.

Diagnostic différentiel

L’AIIEP se distingue facilement de l’asthme d’effort et des urticaires cholinergiques. Les papules d’urticaire sont punctiformes au cours de l’urticaire cholinergique (2-4 mm) et beaucoup plus étendues dans l’anaphylaxie induite par l’exercice physique ou l’AIIEP (6). L’exercice physique seul ou la seule ingestion de l’aliment n’entraînent aucun symptôme : l’ingestion d’aliment et l’effort doivent être associés, la consommation de l’aliment précédant l’effort 9 fois sur 10. Après la consommation de l’aliment, les symptômes surviennent le plus souvent dans les premières minutes, de 5 à 15 comme chez notre patient.

En dehors du prurit palmaire et plantaire, les prodromes sont constants (paresthésies, éternuements, toux, dyspnée, flush, douleurs abdominales). Le tableau clinique, variable selon les individus, est presque toujours identique chez un même patient : urticaire généralisée, angio-œdème, asthme, diarrhée, collapsus, choc. Si le patient arrête l’exercice dès l’apparition des prodromes, l’évolution est en général régressive. Des formes très graves (9, 11) ou mortelles (11) ont été décrites, l’escargot étant impliqué à chaque fois.

Traitement

Le traitement symptomatique de l’AIIEP est d’abord basé sur l’injection intramusculaire d’adrénaline dans la face antéroexterne de la cuisse, par stylo auto-injecteur aux doses de 0,15 ml jusqu’à 20 kg et de 0,30 ml au-delà. L’inhalation de B2CA par chambre d’inhalation est indispensable en cas de bronchospasme. La pose d’une voie veineuse permet une corticothérapie (60 mg/j de prednisone ou équivalent). L’hospitalisation avec surveillance de 24 heures est indispensable devant toute anaphylaxie, même si les symptômes s’améliorent rapidement, car il existe un risque de récurrence (anaphylaxie biphasique) dans 20 % des cas. Tout patient atteint d’AIIEP (ou plus généralement d’anaphylaxie) doit avoir un rendez-vous écrit pour une consultation spécialisée d’allergologie dans les semaines qui suivent, afin d’en trouver le plus tôt possible la cause. Malheureusement, cette prescription fait défaut au moins une fois sur deux.

Les principaux facteurs associés à l’AIIEP sont l’atopie (comme chez notre patient), la prise de médicaments (aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, propranolol), la chaleur, l’alcool, etc. (6). Dans tous les cas, la prévention repose sur des mesures simples : observer la « règle des 3 heures » entre les repas et l’exercice physique ; éviter les efforts pendant les fortes chaleurs ; faire attention aux aliments masqués dans les plats et les barres énergétiques pour les sportifs ; boire pendant l’effort. La prescription d’un stylo auto-injecteur d’adrénaline est licite, même si, dans cette variété d’anaphylaxie, la récidive est rare si les prescriptions (éviction alimentaire et règle des 3 heures) sont respectées (ce qui fut le cas pour notre patient).

Plusieurs équipes, dans différents pays (Scandinavie, Japon), ont mis en évidence le rôle des oméga-gliadines, contenues en particulier dans le pain et les pâtes alimentaires, chez un sous-groupe important de patients atteints d’AIIEP sensibilisés aux gliadines. Le diagnostic est permis par le dosage des IgE dirigées contre l’allergène recombinant r Tri a 19 de l’oméga-gliadine. Le régime sans gluten semble bénéfique chez les patients porteurs de cette forme spéciale d’AIIEP (12). 

Des facteurs favorisants ont souvent été rapportés : froid, amalgame dentaire, et surtout médicaments (6). L’aspirine a été impliquée comme cofacteur dans plusieurs cas d’anaphylaxies induites par l’effort, seul ou associé à l’ingestion d’aliments. Un cas associant la prise d’un anti-inflammatoire (2 comprimés d’acide nafylpropionique) et un exercice physique (course à pied) a été décrit chez une adolescente de 17 ans, reproduit par un test de provocation avec chute significative des débits expiratoires, alors que la prise du médicament anti-inflammatoire seul ou l’effort seul n’eurent aucun effet (13).

Pédiatre allergologue-pneumologue

1. Aihara Y et al. Frequency of food-dependent, exercise-induced anaphylaxis in Japanese junior-high-school students. J Allergy Clin Immunol. 2001 Dec;108(6):1035-9

2. Maulitz RM et al. Exercise-induced anaphylactic reaction to shellfish. J Allergy Clin Immunol. 1979 Jun;63(6):433-4

3. Kidd JM 3rd et al. Food-dependent exercise-induced anaphylaxis. J Allergy Clin Immunol. 1983 Apr;71(4): 407-11

4. Novey HS et al. Postprandial exercise-induced anaphylaxis. J Allergy Clin Immunol. 1983 May;71(5):498-504

5. Ditto AM et al. Pediatric idiopathic anaphylaxis : experience with 22 patients. J Allergy Clin Immunol 1997 Sept;100(3):320-6

6. Dutau G, Rancé F. Anaphylaxie induite par l’exercice physique et l’ingestion d’aliments. Rev Fr Allergol Immunol Clin. 2007; 47(S2):S47-S54

7. Caffarelli C et al. Food related, exercise induced anaphylaxis. Arch Dis Child. 1996 Aug;75(2):141-4

8. Caffarelli C et al. Reduced pulmonary function in multiple food-induced, exercise-related episodes of anaphylaxis. J Allergy Clin Immunol. 1996 Oct;98(4):762-5

9. De Bernardi D et al. Near fatal asthma after snails ingestion? Allergy. 1998;53(S4):s149

10. L’Huillier JP et al. Asthme aigu grave : responsabilité d’une allergie à l’escargot ? À propos d’une observation. Rev Mal Respir. 2005 Jan; 22 (HS1):30

11. Longo G et al. Exercice-induced anaphylaxis to snails. Allergy, 2000 May; 55(5):513-4Faviez G et al. Intérêt d’une consultation précoce en allergologie aprèsadmission aux urgences pour suspicion d’anaphylaxie. Rev Fr Allergol 2016 Apr; 56(3):336

12. Morita E et al. Food-dependent exercise-induced anaphylaxis – importance of omega-5 gliadin and HMW-glutenin as causative antigens for wheat-dependent exercise-induced anaphylaxis. Allergol Int 2009 Dec; 58(4): 493-8

13. Van Wijk RG et al. Drug-dependent exercise induced-anaphylaxis. Allergy 1995 Dec; 50(12):992-4

Pr Guy Dutau

Source : lequotidiendumedecin.fr