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Dossier

Victimologie/psychotraumatologie

Attentats : le parcours judiciaire est-il thérapeutique ?

Par Elsa Bellanger - Publié le 21/01/2022
Attentats : le parcours judiciaire est-il thérapeutique ?


AFP

Plus de six ans après les attentats du 13 novembre, certaines victimes se sont retrouvées à la barre lors d’un procès inédit tant par sa durée que par sa médiatisation. Quelle place tient cet épisode judiciaire dans leur parcours et leur reconstruction ? Le procès a-t-il une vertu thérapeutique ?

Au cours du procès des attentats du 13 novembre 2015 qui doit se tenir jusqu’en mai prochain, des centaines de victimes du Bataclan, du Stade de France et des terrasses parisiennes racontent leurs vies brisées. Étape dans le rétablissement et/ou réactivateur de souvenirs douloureux, cette expérience judiciaire peut avoir des effets variables selon les parcours et les individus.

Rescapés, témoins ou proches endeuillés sont nombreux à connaître ou à avoir connu un trouble de stress post-traumatique (TSPT), qui les rend d'autant plus susceptible à réagir fortement à la tenue du procès. Selon l’enquête « ESPA 13 novembre », menée par l’AP-HP et Santé publique France et rendue public en 2018, un TSPT probable a été identifié chez 54 % des menacés directs (directement visés, blessés) et des endeuillés, mais aussi chez 27 % des témoins sur place et 21 % des témoins à proximité. Or, près de la moitié (46 %) déclarait ne pas avoir engagé de traitement régulier avec un psychologue ou un médecin.

Des tableaux cliniques sévères

Les tableaux cliniques initiaux pouvaient pourtant être sévères. Intervenue dans les premières heures en renfort, la psychologue Sylvie Molenda, de la cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) de Lille et membre du Centre national de ressources et de résilience (CN2R), témoigne. « Nombre de patients étaient atteints psychiquement et en errance. Certains assis sur le trottoir, complètement hébétés. D’autres déambulant sans but, incapables de structurer une pensée », raconte-t-elle.

Passée l'urgence et la dissociation péri-traumatique, la prise en charge a été adaptée, selon que le diagnostic relevait « du deuil, d’un traumatisme "simple" ou révélateur d’autres problématiques antérieures », précise Carole Damiani, présidente de l’association Paris Aide aux victimes, qui les accompagne lors de procédures judiciaires.

Certains ont refusé le suivi, envahis par des sentiments de culpabilité et d’illégitimité. « Des patients nous ont sollicités jusqu’à deux ans après, constatant les ravages sur leur vie », observe Sylvie Molenda. Or, une prise en charge tardive, plusieurs mois ou plusieurs années après le trauma, se traduit par une « forte probabilité que les TSPT soient associés à un autre trouble de santé mentale et que certaines difficultés se soient enkystées », poursuit la psychologue, citant la survenue de dépression, d'addictions, de trouble anxieux (troubles paniques ou agoraphobie) et de risque suicidaire.

Le procès, source potentielle de réactivation des traumas

L’arrivée du procès a pu ainsi constituer une alerte et déclencher une demande d’aide. « Juste avant l'ouverture du procès, nous avons vu arriver en cabinet certaines personnes qui n'avaient jamais consulté. Cela ne voulait pas dire qu'elles allaient bien, cela veut dire qu'elles tenaient », ajoute le Pr Thierry Baubet, psychiatre et codirecteur du CN2R.

Pour les victimes, témoins ou proches endeuillés, l’épisode judiciaire n’est pas anodin. « Le vécu d’un procès est très personne-dépendant. Il n’y a pas de règles établies. Pour toute personne avec un TSPT qui coïncide avec une infraction pénale, il peut y avoir la volonté de se confronter aux auteurs ou à l’inverse de passer à autre chose », détaille Sylvie Molenda.

Au sein du réseau de la fédération France victimes qui propose un accompagnement lors des procès depuis 40 ans, la préparation à l’épisode judiciaire tient une place primordiale. « On est là pour répondre aux questions, mais aussi pour recadrer les attentes, rappeler ce à quoi sert ou ne sert pas un procès », explique Olivia Mons, porte-parole de la fédération France Victimes. Selon elle, les victimes veulent être reconnues, savoir et comprendre ce qu’il leur est arrivé et que la peine soit utile à une non-récidive. « Le procès peut être une étape dans la reconstruction, mais s’il n’y a pas eu un travail antérieur, ce sera compliqué à vivre, invasif », estime-t-elle.

Un procès ne soigne pas

En revanche, « c’est une illusion de penser qu’un procès peut soigner, même s’il peut apaiser certains sentiments, comme la colère ou la culpabilité », insiste Carole Damiani. « Pour la majorité des victimes, le procès constitue un moment important de leur chemin de rétablissement, sans qu’on puisse dire que c’est thérapeutique. Ça ne soigne pas un trouble post-traumatique par exemple », poursuit le Pr Baubet.

L’épisode judiciaire remplit ainsi des fonctions différentes selon le parcours personnel et les attentes liées au procès. Le fait de témoigner et d’être écouté, le fait d’être entre victimes et de partager son vécu peuvent avoir des effets positifs sur certaines victimes, mais « si elles attendent des excuses, de la compassion ou des demandes de pardon de la part des mis en cause, le risque de déception est grand », avertit le psychiatre, insistant sur la nécessaire préparation au procès.

Le procès et, dans ce cas précis, sa médiatisation « peuvent être source d’une réactivation de la symptomatologie et notamment une réactivation des reviviscences. Et l’effet peut toucher les familles endeuillées », rappelle Sylvie Molenda. Au cours du procès, « les psychologues sont là pour être un amortisseur de ces réactivations violentes. Comme dans tout procès, beaucoup ne dorment plus depuis le début du procès par exemple », ajoute Carole Damiani.

Consciente de ces enjeux, l’institution judiciaire a déployé un dispositif exceptionnel. Les victimes bénéficient de l’accompagnement d’une équipe dédiée de psychologues et d’un espace pour s’isoler ou se retrouver à proximité de la salle d’audience. Elles peuvent également porter un ruban vert ou rouge indiquant si elles acceptent ou non d’être sollicitées par les journalistes.

Ce souci de préserver les victimes n’est pas nouveau, mais il a pris une dimension particulière avec ce procès historique, où le risque de réactivation des traumatismes par la diffusion d’images et de sons des évènements, mais aussi par les témoignages, a été anticipé. « Le président de la cour d’assises a pris de nombreuses précautions, notamment en informant de la diffusion d’images », décrit Olivia Mons, relevant une meilleure prise en compte des victimes et de leurs traumatismes.

La question est désormais d’anticiper la fin de ce procès. « Une fois le verdict rendu, ça peut être un moment difficile pour les victimes qui, pendant toute la période, ont eu un sentiment très fort d’appartenance à un groupe. Certains ont quasiment évoqué une deuxième famille. On peut redouter un sentiment de vide et d’augmentation du sentiment de solitude et d’isolement », anticipe le Pr Baubet. Mais les associations y travaillent déjà, assure le psychiatre, confiant.

Elsa Bellanger