Benzodiazépines dans la dépression résistante : une consommation prolongée à proscrire

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Publié le 04/05/2023
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Crédit photo : Garo/Phanie

L'utilisation prolongée des benzodiazépines chez les patients souffrant de dépression résistante est associée à un mauvais pronostic, comme le confirme une étude française parue dans la revue « Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry ». Pourtant, ces anxiolytiques sont trop souvent prescrits au long cours. Le travail dirigé par le Dr Guillaume Fond, responsable du centre expert dépressions résistantes de Marseille, a permis de dresser un état des lieux de la situation.

« Les anxiolytiques agissent sur le cerveau au niveau des récepteurs GABA, comme l'alcool, ce qui inhibe l'angoisse. Mais le cerveau finit par s'adapter à un blocage prolongé, entraînant une anxiété paradoxale », explique au « Quotidien » le Dr Fond.

Au sein de la cohorte Face-TRD, incluant les patients souffrant de dépression résistante aux antidépresseurs pris en charge dans l'un des 13 centres experts nationaux entre 2014 et 2021, 45,2 % des patients ont une consommation d'anxiolytiques prolongée. Et à un an de suivi, seulement 4,7 % ont arrêté d'en prendre, malgré les recommandations. « On voit ainsi qu'il est très difficile pour les patients d'arrêter le traitement. Les benzodiazépines entraînent une forte addiction, c'est un vrai problème de santé publique », commente le psychiatre.

Une aggravation des symptômes dépressifs et de l'état général

L'étude montre que le recours aux benzodiazépines à un an est associé notamment à des niveaux plus élevés de sévérité de la dépression, de sévérité clinique globale, d'anxiété, d'altération du sommeil, mais aussi à une altération du fonctionnement cérébral, à une perte de productivité et à un état de santé général dégradé, par rapport à ceux n'en prenant pas au long cours.

« C'est une des forces de notre étude d'avoir montré les effets délétères à un an d'une consommation prolongée de benzodiazépines, estime le Dr Fond. Et nous avons pris en compte de nombreux facteurs confondants. »

Cette prescription prolongée s'explique par l'absence d'efficacité des antidépresseurs chez les patients, qui fait que les prescripteurs se tournent vers les anxiolytiques, constate le psychiatre. « La vraie question est donc : comment améliorer ces patients ? », estime-t-il.

Alimentation, activité… : une prise en charge globale à mettre en place

Plusieurs approches non pharmacologiques ont fait leur preuve et permettent d'améliorer l'état clinique des patients. Mais ces méthodes ne sont pas assez diffusées, déplore le Dr Fond. Il s'agit notamment des psychothérapies, de l'activité physique et d'une alimentation saine basée sur un régime méditerranéen, mais aussi de la gestion de la respiration, de la méditation pleine conscience, de la cohérence cardiaque… Le médecin marseillais évoque aussi la phytothérapie, et en particulier l'ashwagandha, « qui apparaît dans les recommandations internationales de la Société de psychiatrie biologique mondiale ».

Pour lui, il est par ailleurs essentiel que « les médecins prescripteurs aient conscience, au moment de l'initiation du traitement, que dans 40 % des cas, les patients n'arrêtent pas le traitement, selon les données de la littérature scientifique, alors qu'il est recommandé de ne pas excéder trois mois ». Il appelle à ne pas banaliser la prescription ni son renouvellement.

Les généralistes, qui sont les premiers prescripteurs de benzodiazépines, ont toute leur place dans la prise en charge des patients résistants aux antidépresseurs, les centres experts étant réservés aux cas les plus sévères. « Dans la plupart des cas, le généraliste peut identifier la source des angoisses et mettre rapidement en place une prise en charge globale et adaptée, en orientant vers une psychothérapie mais aussi en délivrant au patient des conseils sur son mode de vie, détaille le psychiatre. On sait par exemple que les omégas-3 et l'activité physique permettent de diminuer les angoisses, tandis que le tabac accroît l'anxiété. » Sur le sujet de l'alimentation, le Dr Fond a écrit un livre intitulé « Bien manger pour ne plus déprimer »*.

Le médecin invite aussi les généralistes à ne pas hésiter à solliciter l'avis ponctuel d'un confrère psychiatre, qui pourra éventuellement rechercher d'autres causes de la dépression comme un traumatisme de l'enfance.

* Bien manger pour ne plus déprimer. Prendre soin de son intestin pour prendre soin de son cerveau, éditions Odile Jacob


Source : lequotidiendumedecin.fr