La dépression résistante revue et corrigée

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Publié le 17/02/2023
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Les dernières recommandations formalisées d’experts français portant sur la prise en charge des troubles dépressifs résistants dataient de 2017 (1). C’est lors de ce congrès de l’Encéphale que l’Association française de psychiatrie biologique (AFPBN) a dévoilé les tout premiers éléments de ses nouvelles recommandations.
Seuls un tiers des patients sont guéris après une ligne de traitement

Seuls un tiers des patients sont guéris après une ligne de traitement
Crédit photo : GARO/PHANIE

Les troubles dépressifs constituent l’une des pathologies les plus fréquentes en psychiatrie. Sur une vie entière, la prévalence de l’épisode dépressif caractérisé est élevée, entre 15 et 18 %, soit une personne sur cinq qui fera un épisode dépressif majeur.

L’âge de début est très variable d’un sujet à l’autre et de nombreux facteurs, culturels, socio-économiques, génétiques et biologiques jouent un rôle important. Il s’agit également d’une pathologie souvent comorbide : dans 70 % des cas, l’épisode dépressif caractérisé est associé à un trouble anxieux, addictif et des pathologies somatiques.

Au niveau thérapeutique, les alternatives sont de plus en plus variées, avec de nombreux antidépresseurs associés aux psychothérapies, ou des techniques de neurostimulation.

De multiples causes d’échecs

La réponse au traitement est définie par une diminution d’au moins 50 % des scores aux échelles de dépression après 6 à 8 semaines de traitement. « On observe, après une première ligne de traitement, que la rémission n’est obtenue que dans 30 % des cas », souligne la Pr Bénédicte Gohier (CHU d’Angers).

La dépression est dite résistante lorsque l’épisode dépressif persiste malgré deux traitements pharmacologiques bien conduits (au moins quatre semaines et à posologie suffisante) et de classe différente. Parmi les facteurs de risque de résistance, on peut citer : le début à un jeune âge, le nombre élevé d’épisodes antérieurs, la sévérité de l’épisode initial, les addictions (tabac, alcool, cannabis), les troubles de la personnalité, la présence de pathologies comorbides, le stress, les psychotraumatismes, l’entourage, les conditions socio-économiques de vie… et tout cela, sans oublier les dépressions iatrogènes : anabolisants, analgésiques, antiarythmiques, anticholinergiques, anticonvulsivants, antihypertenseurs, neuroleptiques, peuvent être en cause.

Éliminer la pseudo-résistance

L’évaluation d’un épisode dépressif résistant se fait par l’entretien clinique, les échelles de dépression, un diagramme de l’humeur et une échelle d’évaluation du risque suicidaire. Un bilan biologique standard (NFS, ionogramme, bilans des fonctions rénale et hépatique), un bilan métabolique (glycémie, cholestérol, triglycérides) ainsi qu’un dosage de l’hormone TSHus seront réalisés. On ajoutera un dosage plasmatique des concentrations de psychotropes, un électrocardiogramme et une IRM cérébrale.

En pratique, une évolution défavorable est souvent liée à une mauvaise observance du traitement (pseudo-résistance) ou à son introduction trop tardive. « En effet, la dépression est souvent stigmatisée : ce n’est pas une vraie maladie, c’est une question de volonté… Les patients ont honte, se sentent coupables, s’isolent, consultent tardivement et ne prennent pas toujours correctement leur traitement », explique la Pr Gohier. La dépression est souvent perçue comme une crise ou une fluctuation de l’humeur sous contrôle individuel plutôt qu’un trouble. La moitié de la population générale perçoit les patients déprimés comme « faibles », ou « responsables de leur dépression ». Et 24 % les considèrent comme imprévisibles.

« Il est donc important de bien informer le patient sur sa maladie et lui expliquer qu’il s’agit d’une maladie biologique, affectant les neurotransmetteurs. Les patients ont globalement besoin de se raccrocher à l’idée qu’ils contrôlent leur cerveau et leur guérison », indique la Pr Gohier. Et, comme dans les autres pathologies, la moitié des patients dépressifs ne sont pas observants (par peur de devenir dépendant, ou des effets secondaires…).

« La non-réponse doit aussi faire douter du diagnostic. Il faut le réévaluer avant de se lancer dans des stratégies complexes », rappelle la Pr Gohier. « Il ne faut jamais lâcher, insiste le Pr Serge Beaulieu (Canada). Notre patient doit être un partenaire, et gardons à l’esprit que les recommandations ne sont pas la Bible ! Il faut toujours les relier à la clinique, car il existe une grande variété de phénotypes dans la dépression. »

Introduction de la kétamine et de l’eskétamine

« Une actualisation des recommandations s’avérait nécessaire afin d’y introduire les nouvelles molécules d’intérêt (kétamine et eskétamine) et la nouvelle nomenclature », rappelle le Pr Ludovic Samalin (Clermont-Ferrand). Devant l’absence de réponse à un traitement antidépresseur, il existe quatre principales stratégies d’adaptation pharmacologique : l’optimisation du traitement, le switch vers une autre molécule, l’association d’antidépresseurs et l’adjonction d’un autre médicament psychotrope (ou de la neuromodulation). La psychothérapie doit toujours accompagner le traitement.

En ce qui concerne les associations, on considérera, en première intention, soit les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou de la sérotonine-noradrénaline (IRS/IRSNa), associés aux antidépresseurs noradrénergiques et sérotoninergiques spécifiques ([Anass] miansérine, mirtazapine), soit l’association imipraminique + Anass. En deuxième intention, on choisira ISRS/IRSNa + agoniste mélatoninergique (agomélatine, sauf si fluvoxamine) ou ISRS + bupropion.

Si on privilégie une adjonction, en première intention le choix se portera avant tout sur le lithium, sinon l’eskétamine, la quétiapine à faible dose (de 50 à 150 mg/j), l’aripiprazole à faible dose (de 2,5 à 10 mg/j), la lamotrigine, le pramipexole, l’électroconvulsivothérapie (ECT) ou la stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS). En deuxième intention, les médicaments recommandés sont l’hormone thyroïdienne T3, l’olanzapine à faible dose (de 5 à 10 mg/j), l’amisulpride à faible dose (100 mg/j), la rispéridone à faible dose (de 1 à 2 mg/j), la kétamine IV, le méthylphénidate et la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS).

L’eskétamine et la kétamine sont indiquées préférentiellement en cas de dépression modérée à sévère, ou récurrente, ou avec des idées suicidaires actives, ou avec une tentative de suicide récente (moins d’une semaine). Dans la phase d’induction, la délivrance se fait deux fois par semaine sur quatre semaines. Dans la phase de maintien, une fois par semaine sur quatre semaines, puis une fois par semaine ou par quinzaine. L’eskétamine présente l’avantage de permettre une réponse clinique rapide, dès les premiers jours de traitement.

Exergue : « Il existe une grande variété de phénotypes ! »

Session « Dépression : les recommandations sont-elles recommandables ? »

(1) Charpeaud T et al. Prise en charge des troubles dépressifs résistants : recommandations françaises formalisées par des experts de l’AFPBN et de la fondation FondaMental. L’Encéphale 43 (2017) 4S1-AS24

Dr Christine Fallet

Source : Le Quotidien du médecin