Les psychiatres repensent leur rôle

La dysphorie de genre n'est pas un trouble psychiatrique

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Publié le 30/01/2020
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Transexués, trans ou intergenre, bi, tri ou a-genre, MtoF (male to female), FtoM… la transidentité bouleverse les catégories traditionnelles. Alors que la 11 e version de la classification internationale des maladies (CIM) sort l'incongruence de genre des troubles mentaux pour la classer dans le chapitre sur la santé sexuelle, les psychiatres ont repensé leur rôle au Congrès de l'Encéphale, le 22 janvier.
Un des facteur protecteur à valoriser contre le stress des minorités est le soutien relationnel

Un des facteur protecteur à valoriser contre le stress des minorités est le soutien relationnel
Crédit photo : AFP

Officiellement, la transidentité n’est plus considérée comme une pathologie psychique. La dernière version de la classification internationale des maladies (CIM-11) de l’Organisation mondiale de la santé a retiré l'incongruence de genre de la liste des affections psychiatriques, pour la placer dans le chapitre santé sexuelle.

Cette « dépathologisation » s’inscrit dans un mouvement de fond. « On est passé d’une approche biomédicale à l’écoute d’une plainte, la dysphorie, observe le Dr Thierry Gallarda qui s’intéresse depuis 20 ans à la transidentité. Dès les années 1950, le psychiatre Jean Delay questionnait l’inscription du transsexualisme dans la nosographie des troubles mentaux », fait-il remarquer.

Un tel changement impose de repenser le rôle des psychiatres. « On ne doit certainement pas se limiter à la rédaction d’un certificat constatant une dysphorie de genre », alerte la Dr Sabine Mouchet-Mages (psychiatrie légale, centre hospitalier Le Vinatier à Lyon). D'autant que la procédure médicale qui exige notamment un suivi psychiatrique de deux ans pour ouvrir le remboursement aux traitements chirurgicaux et hormonaux est remise en cause par les associations et certains médecins. 

Comorbidités psychiatriques

Face à une demande de transition, avec ou sans réassignation hormonale et/ou chirurgicale, « le psychiatre doit poser un pronostic : évaluer les ressources et les fragilités de la personne pour adapter le parcours à sa singularité », affirme le Dr Ludovic Souiller (Le Vinatier, Lyon).

Pour ce faire, il est capital d’assurer un dépistage des comorbidités psychiatriques. Celles-ci ne doivent pas être considérées comme « des contre-indications à une transition, car la réassignation peut les apaiser », précise-t-il.

Chez les personnes avec un vécu d’incongruence de genre, les quelques études existantes démontrent une prévalence accrue de troubles dépressifs caractérisés (qui concerneraient plus de la moitié d’entre elles dans leur vie), de troubles anxieux (5 à 36 %), de troubles liés à l’usage de substance psychoactives (15 à 29 %), de stress post-traumatique (40 %), de troubles dissociatifs (30 %), de troubles du comportement alimentaire, ou de conduites d’automutilation. Il n’existe pas de données en faveur d’une augmentation des troubles de la personnalité, psychotiques ou bipolaires, souligne le Dr Souiller.

Risque suicidaire et TSA

La surmortalité par suicide serait 19 fois plus importante chez les personnes présentant une dysphorie de genre qu’en population générale. Plus de la moitié d’entre elles auraient des idées suicidaires, et 29 à 48 % auraient fait une tentative de suicide au cours de leur vie. « L’incongruence est clairement un facteur de risque suicidaire tandis que la réassignation diminuerait ce risque et les comorbidités globales », commente le Dr Souiller. 

Et d’avancer, comme hypothèse explicative, le stress des minorités de genre : ce concept propose des facteurs de risque à prendre en compte, extérieurs (violences subies multiformes, y compris dans l’intimité, harcèlement, discrimination dans l’accès aux soins) comme intérieurs (intériorisation, stratégie de dissimulation).

Les médecins doivent aussi avoir en tête la co-occurrence entre troubles du spectre autistique (TSA) et dysphorie de genre, de plus en plus explorée. « Il y aurait entre 4 à 17 fois plus de traits autistiques chez les trans qu’en population générale, ce qui impose d’adapter la prise en charge », considère le Dr Souiller.

A contrario, les facteurs protecteurs à valoriser sont le soutien relationnel (famille, amis, communauté) et la possibilité d’une transition et l’accès à la réassignation hormonochirurgicale.

Inventer des prises en charge

Au-delà du dépistage et du pronostic, l’accompagnement des personnes trans ne manque pas de questionner une médecine fondée sur la binarité homme/femme. « La diversité des identités au sein de la minorité trans est très grande, insiste le Dr Sébastien Machefaux (hôpital Sainte-Anne, Paris), les demandes médicales sont très variables, or il n’y a pas de parcours de soins ».

Selon le psychiatre, les demandes de transition accompagnées ou non d’une réassignation partielle émergent et ne peuvent que dérouter le psychiatre d’autant que les données manquent sur les résultats de ces opérations partielles.

Une telle diversité appelle donc plus que jamais à une pluridisciplinarité des accompagnements, croisant les approches anthropologiques, sociales et éthiques. Les psychiatres demandent la remise à jour des recommandations de la Haute autorité de santé et des parcours de soins respectueux de l'autonomie des personnes.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin