La neuroéconomie : une piste de réflexion

Publié le 15/12/2011
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« AUJOURD’HUI, les psychiatres ne sont pas encore très familiers avec les concepts issus de la neuroéconomie qui a vu le jour à la fin des années 1990. En France, cela reste encore assez confidentiel, mais, au niveau mondial, il suffit de voir le nombre de publications annuelles sur ce thème », explique le Dr Philippe Domenech.

La neuroéconomie est une discipline de recherche au croisement de l’économie, de la psychologie et des neurosciences. Son objet est d’étudier l’influence des facteurs cognitifs et émotionnels sur la façon dont on prend nos décisions. Un des grands promoteurs de ce concept est l’Américain Paul W. Glimcher. « La neuroéconomie est un dérivé direct de l’économie comportementale, un concept dont les fleurons ont été les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky qui ont reçu le prix Nobel d’économie en 2002, pour avoir développé la théorie des perspectives. En résumé, la neuroéconomie vise à étudier les bases neurobiologiques des décisions s’appuyant sur des valeurs subjectives. Prenons un exemple de « choix » qui peut se poser à un individu. Vaut-il mieux que j’accepte l’offre de ce poste qu’on me propose tout de suite ou vaut-il mieux que j’attende deux mois pour essayer d’en décrocher un autre, plus intéressant et mieux rémunéré, mais que je ne suis pas certain d’obtenir ? L’objectif est de comprendre comment s’opèrent les choix fondés sur les valeurs attendues en retour de nos actions. Une des grandes victoires de la neuroéconomie est d’avoir d’ores et déjà montré qu’on se sert des mêmes régions du cerveau pour faire un jugement de valeur, qu’il s’agisse d’objets ou de personnes, et un jugement esthétique. Cela passe par le même système neurobiologique », explique le Dr Domenech.

Pour les psychiatres, « cela reste un outil théorique, mais qui peut apporter une connaissance sur le fonctionnement cérébral des patients, ainsi qu’une meilleure compréhension de leurs décisions et de leurs choix. Les schizophrènes peuvent, par exemple, présenter une certaine désorganisation psychique qui va rendre certains de leurs choix illogiques et aberrants. Les joueurs pathologiques s’engagent dans des activités qui auront peut-être pour effet de les ruiner complètement. Les dépressifs vont s’évaluer de manière biaisée, minimisant leur valeur réelle. La neuroéconomie peut être un outil intéressant pour reformaliser et revisiter d’un œil nouveau l’ensemble des pathologies psychiatriques », souligne le Dr Domenech, en estimant que cela pourrait, à court terme, entraîner une « modification de nos concepts de psychothérapie. »

D’après un entretien avec le Dr Philippe Domenech, qui vient de finir son internat de psychiatrie et une thèse de sciences (la neurobiologie de la décision et sa régulation) à l’Institut des sciences cognitives de Lyon. Actuellement, le Dr Domenech travaille comme chercheur à l’École normale supérieure (ENS) au laboratoire de neurosciences cognitives.

 ANTOINE DALAT

Source : Bilan spécialistes