Éditorial

Le juge, le psychiatre et l'assassin

Par
Publié le 10/09/2021

Il y a quatre ans, ce drame avait ébranlé l’opinion comme peu d’histoires criminelles auparavant. Le 4 avril 2017, Koboli Traoré tue sa voisine d’immeuble, Sarah Halimi, médecin retraitée de son état, dans le 11e arrondissement de Paris. Un crime aussi gratuit qu’atroce qui fait une personne âgée comme victime, avec des relents d’antisémitisme nauséabonds. Le criminel ne sera jamais puni, puisque sous l’emprise d’une bouffée délirante aiguë à la suite d’une consommation de cannabis, il devait être reconnu irresponsable de ses actes cette nuit-là.

Comme toujours face à une opinion sous le choc, les politiques ont été prompts à réagir à la prudence des magistrats. Députés et sénateurs ont déposé des propositions de lois, pendant que le gouvernement de l’époque (celui d’Édouard Philippe) promettait d’agir, commandant sans délai un rapport d’experts sur le sujet. En cause, l’irresponsabilité pénale supposée être accordée larga manu par une Justice réputée trop tendre pour les assassins, en l’occurrence pour un meurtrier dont le délire soudain avait un lien évident avec sa consommation de cannabis. Las… Le travail des deux parlementaires, deux psychiatres et trois magistrats, finalement rendu au printemps dernier devait pourtant conseiller la retenue et plaider pour le statu quo.

Le gouvernement persévère néanmoins dans son intention de modifier la loi pénale. Le projet qui sera discuté bientôt par l’Assemblée visant notamment à exclure de dispense de peines les assassins qui commettent leurs forfaits sous l’emprise de stupéfiants. Ce n’est pas la première fois, que l’exécutif se fait fort de protéger mieux ses concitoyens en tentant de modifier la législation. En 2008, réagissant à l’affaire de Grenoble qui avait coûté la vie à un étudiant agressé par un schizophrène en permission de sortie, Nicolas Sarkozy avait alors décidé de modifier l’encadrement du placement d’office. Il a fallu plusieurs années pour trouver une solution compatible avec les exigences du Conseil constitutionnel…

Avec l’affaire Halimi, c’est à la fois la question des fous dangereux et celle des substances illégales qui se trouvent posées. On peut comprendre la légitime préoccupation de l’opinion face à des actes de barbaries, dont les médecins – généralistes ou psychiatres — ont ces dernières années parfois été les premières victimes. Mais en la matière, le mieux n’est-il pas l’ennemi du bien ? La réticence des psychiatres et la circonspection des juristes en disent long sur le risque qu’il y aurait à bouleverser une notion d’irresponsabilité pénale pour aliénation mentale qui remonte au droit romain. En réalité, les dispenses de jugement pour ce motif sont relativement peu nombreuses chaque année. Et alors que nos hôpitaux psychiatriques se vident depuis une dizaine d’années, les prisons de France – toutes les études le montrent — sont remplies de « cas psychiatriques ». Cela est aussi en soi un motif de préoccupation, mais dont, évidemment, on parle nettement moins.

Exergue : Ce n’est pas la première fois que l’exécutif modifie la législation pour protéger ses concitoyens

Jean Paillard

Source : Le Quotidien du médecin