Dr Christophe Debien

Le vrai psy des héros de fiction

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Publié le 04/12/2020
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Hannibal Lecter, Tony Soprano, Rambo... Les personnages centraux des films et séries présentent quelques particularités psychiques bien caractéristiques. Christophe Debie, psychiatre au CHU de Lille investi dans la prévention du suicide et la meilleure connaissance du psychotrauma, les explore depuis des années. Il leur a consacré quelque 60 vidéos et, plus récemment, un livre « Nos héros sont malades »*.

Crédit photo : Géraldine Langlois

L'homme qui s'avance sur la Grand place de Lille vers notre lieu de rendez-vous porte un perfecto et des santiags. De plus près, on distingue ses colliers à tête de mort et de bouddha et sa bague ornée d'un gros onyx noir. Christophe Debien, assume son goût pour l'imaginaire et l'esthétique rock voire steampunk. Lui qui explore depuis plusieurs années les pathologies psychiatriques à travers les films ou les séries, s'identifie volontiers à Rick Deckard, le héros de « Blade runner ». « J'aime beaucoup ce personnage, justifie-t-il. Il est très attaché au service public, comme moi. Mais il se pose des questions. Il est déchiré entre son devoir de flic et l'humanité qu'il découvre chez les gens qu'il chasse, censés être des robots. C'est un peu un anti-héros. Il est rock'n roll, habillé de cuir et un peu mélancolique. J'aime bien la mélancolie, au sens littéraire du terme (car au sens médical, c'est une vraie cochonnerie). »

Steampunk

Les points communs avec Rick Deckart s'arrêtent là. À 51 ans, Christophe Debien n'exerce plus d'activité clinique. Après avoir piloté à ses débuts le dispositif de prévention de la récidive du suicide, VigilanS, avec l'initiateur du projet, le Pr Guillaume Vaiva, et une infirmière, Elise Cléva, il fait partie désormais de la mission d'appui à son développement national. Il anime le réseau des équipes qui adoptent Vigilans en France (dans deux tiers des régions pour le moment) et les forme au dispositif. « On a été un peu pionniers, explique-t-il, alors nous pouvons aider les équipes à s'installer ».

Christophe Debien travaille aussi pour le Centre national de ressources et de résilience (CN2R), structure portée par le CHU de Lille et l'APHP et créée fin 2018 pour approfondir la connaissance du psycho-traumatisme et de la résilience. En tant que « responsable eScript », il participe à la vulgarisation des connaissances sur ces sujets pour les professionnels comme le grand public, à leur diffusion par les moyens numériques et à l'animation du réseau des centres régionaux du psycho-trauma. Son enthousiasme contagieux semble lui faciliter la tâche.

Anatomie 3 000

Ce fils d'un facteur devenu haut fonctionnaire d'État et d'une institutrice a décidé à huit ans qu'il serait « docteur. C'était une évidence », née peut être, pense-t-il, des heures passées sur le jeu « Anatomie 3 000 ». « Ce bonhomme, un écorché avec un squelette et plein de petits organes, me fascinait. J'avais envie de démonter l'être humain pour comprendre son fonctionnement… ». Il n'a pas changé de cap ou à peine, en s'orientant finalement, plus tard, vers la psychiatrie.

Étudiant en médecine à Paris, il a un peu navigué avant de trouver son port d'attache. Parce qu'il ne souhaitait pas effectuer dans le sud l'internat de chirurgie qu'il avait obtenu, il s'est orienté vers un résidanat de médecine générale à Paris. « J'ai eu la chance de faire beaucoup de stages aux urgences psychiatriques de l'Hôtel-Dieu, notamment médico-judiciaires, raconte Christophe Debien. L'infirmerie de la préfecture de police était à deux pas et Notre-Dame attirait des délires mystiques… Avec Henri Grivois, j'ai découvert ce qu'était un psychiatre d'urgence et j'ai adoré. J'ai repassé le concours d'internat en psychiatrie ». Il arrive alors au CHU de Lille, « qui avait déjà une super réputation » : l'absence de « chapelles », ou en tout cas un respect entre les disciplines (psychanalyse, TCC…). Aux côtés du Pr Michel Goudemand et d'Olivier Cottencin, notamment, il s'y constitue une « boîte à outils » de « psychiatre généraliste » attaché à la clinique.

Pas de chapelles psy

Lille le séduit. « J'avais prévu de rester quatre ans dans le Nord mais j'ai découvert les gens d'ici, gentils, accueillants ». Interne, il fait ses premières armes dans plusieurs hôpitaux, généraux et psychiatriques, du secteur. Alors qu'il y est seul, le week-end, une aide-soignante l'accueille chez lui. « Cette générosité, c'est un trésor, dans le Nord. » Avec son épouse qui le rejoint, il passe dans le Nord une bonne dizaine d'années. Diplômé, il travaille d'abord au centre hospitalier de Douai avec d'autres jeunes psychiatres dynamiques puis revient à Lille, aux commandes des urgences psy du CHU. En 2011, il part en Martinique diriger les urgences psychiatriques et la consultation de psychotrauma du CHU de Fort-de-France. « J'ai fait ma crise de la quarantaine, résume-t-il. Ma chance : ma femme, merveilleuse, a dit oui tout de suite. » À son retour en 2015, au CHU de Lille, sa rencontre avec le Pr Vaiva est décisive. « J'adore travailler avec Guillaume, confie-t-il. C'est un humaniste comme j'en ai rarement rencontré. Il écoute. Et il accepte que chacun ait un espace de créativité, ce qui fait qu'aujourd'hui on a la chance d'être très dynamiques. »

Christophe Debien en profite. En plus de ses activités professionnelles, il développe à partir de 2014, avec son confrère de Guadeloupe Geoffrey Marcaggi, une chaine Youtube, PsyLab. Ils y décryptent les concepts-clés de la psychiatrie en les illustrant par des extraits de films, de séries et de jeux vidéos. Rapidement, la chaîne cartonne (140 000 followers aujourd'hui) : les quelque 60 vidéos plaisent au grand public comme aux internes en psychiatrie ou aux soignants. Le livre qu'il vient de publier (lire ci-dessous) est l'aboutissement de cette démarche, souligne-t-il, « le résultat de mes passions pour la psychiatrie, le cinéma et les séries ». Pour l'écriture aussi.

Jeux de rôles et fantasy

Christophe Debien a commencé à écrire quand il était en deuxième année de médecine, à Paris. Son ami de fac et de jeux de rôles Patrick Bauwen et lui se mettent au défi de publier un scénario de jeu dans une revue spécialisée. « Il a été refusé 18 fois avant d'être accepté ! », se souvient-il en rigolant. Ils ont continué pendant un temps. « On sortait de l'hôpital et on participait aux bouclages. C'était extraordinaire ! On a appris à écrire, à produire des histoires. Moi je suis surtout un créateur de mondes et de personnages. L'histoire m'intéresse peu, ce sont les gens qui m'intéressent. »

Il « novelise » d'ailleurs, de 2003 à 2006, les huit tomes d'une BD à succès, « Lanfeust de Troy », avec Patrick Bauwen, puis le film Skyland, avant de se lancer dans l'écriture d'une trilogie médiévale à base de fées, de dragons et de sorcières, « Les chroniques de Khëradön », et d'un thriller d'anticipation, « Black rain ». Écrire lui apporte « énormément de joie et de souffrance » : la critique est sans pitié. Mais peu importe. « L'affaire du boucher du Vieux-Lille », un polar resté longtemps dans un tiroir, sort en 2006 chez un éditeur lillois. Pour écrire son dernier livre sur les héros, il s'est isolé à nouveau, engagé à fond comme sur chacun de ses projets. Qui ont un point commun : faire sortir la psychiatrie des limbes du tabou. Dans les films, les séries, les jeux ou les livres, dans la vie, montre-t-il, elle est partout.

*« Nos héros sont malades », Christophe Debien, illustrations de Ben Fligans, Humensciences Editions, septembre 2020

Géraldine Langlois

Source : Le Quotidien du médecin