Harcèlement, rejet, violence, agression sexuelle

Les ados victimisés ont davantage d’idées suicidaires

Publié le 23/10/2012
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Crédit photo : S TOUBON

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LES MÉDIAS SE SONT fait l’écho récemment du suicide de la jeune Amanda Todd, alors âgée de 15 ans, harcelée sur le net après avoir montré ses seins sur Facebook. Une étude publiée dans une revue du JAMA révèle que les adolescents victimisés rapportent davantage d’idées suicidaires. Près de 2,4 fois plus en cas de harcèlement par les pairs, 3,4 fois plus en cas d’agression sexuelle et 4,4 fois plus en cas de maltraitance. Il existe un effet cumulatif de l’exposition à différentes formes d’humiliation. Le fait de rapporter au moins 7 épisodes différents dans l’année passée multiplie le risque d’idées suicidaires d’un facteur 6. Les adolescents en viennent alors «à se vivre victimes». Par ailleurs, les chercheurs observent que la violence urbaine extérieure n’augmente pas les idées suicidaires. En France, d’après le Baromètre santé jeunes (2000), près de 23% des garçons et 35% des filles ont pensé au suicide dans les 12 derniers mois. Les suicides étaient la 2e cause décès (16,4%) chez les 15-24 ans d’après les données de l’Insee en 2009.

L’équipe dirigée par le Dr Heather Turner, Université du New Hampshire, a mené une longue enquête chez 1186 jeunes âgés de 10 à 17 ans sur deux périodes, la première allant de janvier à mai 2008, la seconde de janvier à novembre 2010. L’objectif principal des chercheurs était de déterminer si les idées suicidaires étaient plus fréquentes en présence de 5 formes de victimisation : être le bouc-émissaire de ses pairs, être agressé sexuellement, subir des maltraitances, être le témoin de violence familiale, être témoin de violence sociale hors cadre familial. L’enquête se déroulait par téléphone et les jeunes étaient questionnés au cours d’un entretien confidentiel d’environ 45 minutes, après accord parental.

Des déceptions vertigineuses.

Le terme victimisation, traduction de l’anglais «victimization», est ambigu, comme le souligne le Dr Nicolas Girardin, pédopsychiatre au centre médical et pédagogique pour adolescents de Neufmoutiers. «Par victimisation, on peut entendre que l’adolescent se met dans une position de victime, mais on peut entendre aussi qu’il est réellement désigné comme bouc-émissaire. Cette ambiguité est intéressante car elle souligne ce qu’il y a à questionner». L’adolescence est une période de construction identitaire, ou plutôt de «co-construction», puisque le sujet voit sa propre valeur dans le regard de l’autre. «Les attentes peuvent être très fortes, poursuit le pédopsychiatre. Et les déceptions sont tout aussi vertigineuses. L’adolescent se sent victime de quelque chose qui le dépasse, mais il est surtout victime de ses propres désirs ». Un adolescent qui attend énormément de ses copains peut alors vivre de façon tragique une relation amicale. Plus un adolescent est fragile sur le plan narcissique, plus il est dépendant du regard des autres.

L’erreur à ne pas faire.

Mais attention, il existe aussi des situations de danger réel. Racket, abus, rejet, violence... «Il est important de recueillir plusieurs témoignages. Auprès des parents, des frères et sœurs, des professeurs. On peut alors se faire une idée plus juste de la réalité des faits». La fragilité narcissique est plus profonde si elle n’est pas que réactionnelle.«Le travail thérapeutique est aussi plus long et plus difficile». D’autant que les deux composantes peuvent co-exister. «Une jeune fille peu sûre d’elle adopte plus facilement un comportement aguicheur, et flattée par les avances pressantes d’un garçon, va se rendre compte trop tard qu’elle n’avait pas envie de ce rapport sexuel. Le "coupable" n’est pas toujours qu’à l’extérieur».

Beaucoup d’adolescents ont des idées suicidaires et tous ne passent pas à l’acte, bien heureusement. Le message à comprendre, c’est une envie de faire changer quelque chose. «Il faut toujours prendre au sérieux les idées suicidaires. L’erreur à ne pas faire, c’est de banaliser. Banaliser, c’est un vrai pousse-à-l’acte, car l’adolescent comprend "tu ne m’intéresses pas"». Mais ce n’est pas tout, il faut en faire quelque chose et la qualité de la réponse est importante. «S’il ne l’exprime pas lui-même, il faut demander à l’adolescent qui ne va pas bien s’il se sent rejeté par les autres». L’adolescent a besoin d’être accompagné. «Par ses parents, plus présents et plus attentifs, qui prendront soin notamment de fermer la pharmacie, mais aussi par des professionnels, l’infirmière scolaire, un médecin ou un psychothérapeute».

Arch Pediatr Adolesc Med, publié en ligne le 22 octobre 2012.

Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 9179