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Dossier

Congrès

Le casse-tête de l’antalgie en rhumato

Publié le 14/09/2018
Le casse-tête de l’antalgie en rhumato

Arthrose main
GARO/PHANIE

Dérives des prescriptions d’opioïdes, optimisations de l’utilisation des corticostéroïdes, limites des thérapeutiques dans l’arthrose digitale, etc. : si le récent congrès européen de rhumatologie a fait cette année encore la part belle aux traitements de pointe des rhumatismes inflammatoires, cette édition 2018 a aussi permis de revenir sur les difficultés de l’antalgie au quotidien.

Lors de leurs congrès annuel (Eular, Amsterdam du 13 au 18 juin), les rhumatologues européens se sont montrés préoccupés par l’explosion actuelle des consommations d’opioïdes. Certes, les États-Unis sont particulièrement touchés, puisqu’ils concentrent 80 % de la consommation mondiale alors qu’ils ne rassemblent que 5 % de la population. Mais le phénomène n’épargne pas l’Europe, avec une augmentation majeure des prescriptions dans tous les pays. Ainsi en Écosse, la consommation d’opioïdes forts a été multipliée par 18 en 15 ans !

Les opioïdes sur la sellette

Une surconsommation qui s’accompagne d’une majoration de la morbimortalité liée aux opioïdes. Selon une étude de 2015, le risque de décès serait multiplié par 2,35 dans la population prenant des opioïdes. Circonstances aggravantes : les co-prescriptions avec les benzodiazépines sont fréquentes, de l’ordre de 40 % chez les femmes de 25 à 40 ans, selon une étude de 2018. Par ailleurs, les prescriptions d’opioïdes dans les douleurs chroniques n’obéissent pas toujours à une stratégie rationnelle… Selon cette même étude, elles sont corrélées avec l’intensité de la douleur, mais 53 % des douleurs sévères ne reçoivent pas d’opioïdes et 40 % pas d’antalgiques du tout !

Autre problème, le risque de mésusage, d’abus et d’addiction. Leurs pourcentages varient notablement, en raison de l’hétérogénéité des descriptions et de la qualité des études. La prévalence de la dépendance et de l’abus serait de 4,7 % après prescription pour douleur (en excluant les usages “récréatifs”), mais varie de 0,2 à 34,2 % selon les études. Paradoxalement, la dépendance ou l’abus seraient moins fréquents en cas d’utilisation des opioïdes les plus forts et de prescription de longue durée, peut-être en raison de différences dans les étiologies et la sévérité de la douleur, mais aussi d’une “pseudo-addiction” lorsque les patients ne reçoivent pas un traitement assez efficace.
« Le risque d’effet secondaire est d’autant moins acceptable qu’en rhumatologie, on fait difficilement la part entre l’impact réel des opioïdes et leur effet placebo », avertit Weiya Zhang (Royaume-Uni). « Si les preuves de leur iatrogénie ne manquent pas, les arguments sur leur bénéfice à long terme manquent singulièrement », appuie Blair Smith (Royaume-Uni). D’après l’étude Space (2018), dans les douleurs dorsales ou d’origine arthrosique, le bénéfice sur la douleur, l’état fonctionnel ou la qualité de vie diffère très peu entre les opioïdes et les autres antalgiques. On sait que l’effet placebo est essentiel dans l’arthrose. Selon une analyse de l’impact thérapeutique des différents traitements, il jouerait pour 43 % sous opioïdes, 60 % pour les AINS...

Malgré ces alertes, il ne faut pas négliger les possibilités thérapeutiques des opioïdes. Pour l’IASP (International Association for the Study of Pain), en 2018, il faut améliorer leur accès pour les douleurs aiguës mais rester prudent dans les douleurs chroniques. Ils gardent un rôle chez des patients sélectionnés ayant peu de risque de mésusage ou d’addiction, en sachant revoir ou arrêter leur prescription.

« Un futur opioïde, le TRV130 ou olicéridine qui active sélectivement la voie de l’antalgie sans impact sur celle de la dépression respiratoire, pourrait se révéler prometteur », annonce Christoph Stein (Allemagne).

Corticoïdes : le juste équilibre

Les recommandations sur la prescription des corticostéroïdes en rhumatologie n’ont pas manqué ces dernières années, mettant en avant différentes approches comme par exemple la chronothérapie afin de réduire les effets secondaires. Selon des travaux récents, avec un traitement au long cours par des doses inférieures à 5 mg/j de prednisone, les bénéfices restent supérieurs aux effets secondaires chez la majorité des patients alors que ce risque s’élève nettement au-dessus de 10 mg. Entre les deux, le risque est fortement lié à des caractéristiques individuelles. L’âge, le tabagisme, l’alcoolisme, la malnutrition sont communs à toutes les complications.

« Il faut en donner autant que nécessaire, mais toujours à la plus petite dose possible », conclut Frank Buttgereit (Berlin).

Arthrose de la main : topiques anti-inflammatoires et orthèses faute de mieux

Le congrès d’Amsterdam a aussi été l’occasion de présenter les nouvelles recommandations européennes sur l’arthrose digitale. La nouvelle feuille de route insiste sur l’exercice, qui a fait ses preuves pour améliorer la fonction, la force musculaire et diminuer la douleur même si le bénéfice reste mince. Les orthèses soulagent la douleur et la raideur mais seulement après au moins trois mois de port. Aucun conseil n’a pu être donné concernant le type de dispositif, le port diurne et/ou nocturne. L’efficacité des applications de chaud et ou de froid est faible mais elles contribuent à la prise en charge individuelle.

En ce qui concerne les AINS, il est recommandé pour des raisons de tolérance de préférer les traitements topiques. Ils constituent le traitement de première ligne pour leur impact sur la douleur et la fonction, le soulagement étant identique avec la voie locale ou orale. L’effet du paracétamol est très inconstant et les alertes sur sa tolérance le limitent aux contre-indications des AINS par voie orale. Les corticostéroïdes de courte durée sont controversés et ne doivent pas être prescrits au long cours. La chondroïtine sulfate n’a montré un bénéfice que dans un seul essai clinique bien mené. Ni les autres antiarthrosiques symptomatiques d’action lente ni les suppléments nutritionnels n’ont fait leurs preuves. Les biothérapies ont échoué à montrer un bénéfice, et les infiltrations n’ont pratiquement pas de place.

Les indications de la chirurgie sont limitées – trapézectomie pour une arthrose de la base du pouce, arthrodèse ou arthroplastie interphalangienne.