Pr Jérémie Sellam, Hôpital Saint-Antoine (Paris)

Place des acides hyaluroniques dans la gonarthrose : la Société française de rhumatologie réagit !

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Publié le 31/10/2022

Selon les auteurs d’une récente méta-analyse publiée dans le British Medical Journal (1), les injections intra-articulaires d’acide hyaluronique dans la gonarthrose seraient peu efficaces et entraîneraient des effets indésirables graves… Mise au point sur cette étude controversée, avec le Pr Jérémie Sellam, président de la section arthrose de la Société française de rhumatologie (SFR).

Crédit photo : DR

Le Collège national des généralistes enseignants s’est servi de la méta-analyse parue au British Medical Journal (BMJ) pour interpeller la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), afin d’interdire l’usage des injections intra-articulaires d’acide hyaluronique (IAAH) dans la gonarthrose. La SFR et de nombreuses autres sociétés savantes de rééducation et d’orthopédie, collèges professionnels et syndicats (SOFMER, SOFCOT, SNMR, COFER, AFLAR…), se sont donc unis pour leur répondre de façon argumentée et scientifique.

La méta-analyse s’appuie sur une revue de la littérature compilant 169 études, y compris celles non publiées. Au total, 24 grands essais contrôlés contre placebo (8 997 patients) ont été retenus pour l’analyse principale, sur le critère de la douleur. 

Tenir compte des sous-types de patients

Les résultats suggèrent que l’effet symptomatique (sur la douleur et la fonction) des IAAH est significativement supérieur par rapport au placebo, mais ce niveau de soulagement de la douleur n’est pas cliniquement pertinent à l’échelle individuelle. « Cependant, même les auteurs le soulignent, tous les différents types d’arthrose ont été englobés dans cette méta-analyse, indépendamment des critères des patients (âge, obésité…), des stades de l’arthrose, ou encore de l’intensité de la douleur initiale… Pourtant, on a actuellement tendance à ne plus parler de la gonarthrose en général, mais plutôt de ses sous-types. En effet, tous les efforts de recherche portent sur la distinction de différents phénotypes dans l’arthrose douloureuse en fonction des antécédents, des traumatismes, de l’obésité… », souligne le Pr Jérémie Sellam. Toutes ces nuances n’ont pas été prises en compte. Les auteurs reconnaissent d’ailleurs qu’il est possible que ce traitement soit efficace « dans une population sélectionnée de patients gonarthrosiques ». « En pratique, on constate que les IAAH (comme d’autres traitements) sont plus efficaces chez les sujets pas trop obèses, et ceux ayant une arthrose pas trop avancée au plan radiologique »

De la difficulté d’un placebo intra-articulaire 

Un autre écueil à relever dans les études est celui du placebo intra-articulaire. « En effet, dès qu’une aiguille rentre dans le genou, la douleur baisse de 20 points sur 100. Elle a déjà un effet placebo. Ainsi, une injection de sérum physiologique peut avoir un effet antalgique et marcher aussi bien qu’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) par voie orale », reconnaît le Pr Sellam. D’où la difficulté de démontrer l’efficacité des acides hyaluroniques face à un placebo pouvant avoir une efficacité propre.

« Toutefois, tout le monde s’accorde à dire que les IAAH ne sont pas la panacée. Il n’y a pas de traitement miracle… Nous sommes un peu démunis face à la douleur et ne disposons pas de beaucoup d’alternatives : les AINS oraux ont des effets délétères bien connus, tout comme les opioïdes aussi. Après chirurgie, 20 % des patients restent douloureux. Les acides hyaluroniques sont une des modalités thérapeutiques. Ils s’intègrent dans la prise en charge globale pharmacologique et non pharmacologique (genouillère, activité physique, diététique…) des patients gonarthrosiques », poursuit le Pr Sellam. 

Une sécurité d’emploi démontrée

« Quant aux effets indésirables graves relevés dans la méta-analyse (anomalies congénitales, cardiomyopathie, cancer colique, cirrhose…), c’est n’importe quoi… Les auteurs eux-mêmes reconnaissent avoir additionné les effets indésirables graves rapportés dans les différentes études, sans aucune analyse de leur imputabilité ! », commente le Pr Sellam. La sécurité d’emploi des IAAH est démontrée depuis de nombreuses années en pratique courante. L’acide hyaluronique est utilisé largement dans d’autres spécialités médicales. Peu d’agents thérapeutiques ont fait l’objet d’autant d’études expérimentales et cliniques que les IAAH.

En somme, l’effet des IAAH dans l’arthrose est modéré, comme d’ailleurs celui des autres traitements pharmacologiques. « Il n’en demeure pas moins que l’effet de l’acide hyaluronique en injection intra-articulaire est supérieur à celui du paracétamol, qui n’est pas dénué d’effets secondaires (cardiovasculaires, digestifs…), précise le Pr Sellam. La SFR recommande d’ailleurs de ne plus le prescrire de manière systématique et/ou continue dans la gonarthrose ».

Enfin, « le terme de « viscosupplémentation » ne devrait plus être employé car il sous-entend un effet chondroprotecteur qui n’existe pas », tient à souligner le Pr Sellam.

(1)  Pereira TV et al. Viscosupplementation for knee osteoarthritis : systematic review and meta-analysis. BMJ 2022 ; 378 :e069722

Christine Fallet

Source : lequotidiendumedecin.fr