De la prévention aux traitements

Sclérodermie : quelles nouvelles stratégies de prise en charge ?

Publié le 07/04/2023
Article réservé aux abonnés
Maladie potentiellement grave à prédominance féminine, la sclérodermie systémique a longtemps été difficile à traiter en raison d’un manque de traitements. Néanmoins, la prise en charge évolue grâce à de nouvelles options thérapeutiques. Mais comment prévenir l’évolution chez les patients à risque et quelle stratégie de traitement adopter lorsque la maladie se déclare ?
Le phénomène de Raynaud est le premier drapeau rouge à ne pas rater

Le phénomène de Raynaud est le premier drapeau rouge à ne pas rater
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Il est difficile d’estimer la prévalence de la sclérodermie systémique. Selon les études, les chiffres varient entre 1/1 300 à 1/5 000 personnes. De plus, il existe des variations géographiques. Cependant en France, cette maladie, qui peut être très grave, touche entre 6 000 à 9 000 personnes. Comme beaucoup de maladies auto-immunes, la sclérodermie à une forte prépondérance féminine : 80 % des patients sont des femmes. L’âge moyen de survenue de la maladie se situe entre 45 et 64 ans.

Pendant de nombreuses années, les avancées n’ont été que très limitées pour cette maladie difficile à traiter, en raison de la complexité de sa physiopathologie et de l’hétérogénéité de ses atteintes. Mais la situation se débloque actuellement. En effet, l’année 2021 a été marquée par l’autorisation de mise sur le marché du nintedanib dans la fibrose pulmonaire. Le service médical rendu reste cependant modéré. Nous sommes encore loin des médicaments modifiants le rhumatisme, comme on peut le voir dans la polyarthrite rhumatoïde.

Prévenir l’évolution des patients à risque

La fibrose est aujourd’hui considérée comme irréversible. Les médicaments antifibrosants sont loin d’être assez performants, et entraînent plutôt une limitation de l’évolution qu’un réel retour à la normale. La question d’une intervention précoce est donc parfaitement légitime. L’étude VEDOSS, publiée récemment (1), permet d’identifier les patients à risque élevé d’évolution vers une sclérodermie systémique (plus d’un risque sur deux de développer une sclérodermie systémique dans les cinq ans). Le phénomène de Raynaud, symptôme bien visible et précoce, est le premier drapeau rouge à ne pas rater. Un bilan immunologique permettra ensuite de classer le patient comme étant, ou non, un sujet à haut risque (s’il est positif avec des auto-anticorps spécifiques de la maladie). Une fois cette catégorie de sujets bien identifiée, toute la question est de savoir comment les traiter pour prévenir l’évolution vers une maladie potentiellement très grave. Il n’y a pour le moment que très peu d’études et aucun traitement validé à proposer à ces patients. Une protection contre le froid, pour éviter les phénomènes d’ischémie-reperfusion à répétition, semble légitime. À Bordeaux, nous avons particulièrement étudié cette population de sujets, qui ne présentent pas encore de sclérodermie à proprement parler. Nous avons mis en place un protocole d’étude, en cours d’inclusion (essai clinique NCT05098704).

Et après l’apparition de la maladie ?

Dernièrement, deux stratégies thérapeutiques s’opposent ou se complètent, pour prendre en charge la sclérodermie. La première s’appuie sur des immunosuppresseurs classiques. Dans le cadre de cette stratégie, des études visent à évaluer l’efficacité du tocilizumab (anti-IL6R) [2]. Malgré des résultats négatifs sur l’évolution de la sclérose cutanée (objectif principal), ces essais montraient un bénéfice significatif sur l’atteinte pulmonaire. Sans faire d’étude complémentaire, cela a permis à cette molécule d’être homologuée, aux États-Unis, dans la sclérodermie avec atteinte pulmonaire interstitielle progressive. Ce n’est pas le cas en France, même si le tocilizumab a fait son apparition dans la version actualisée du Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) 2022 (3). Enfin, l’étude RECITAL n’a pas permis de mettre en évidence une supériorité du rituximab par rapport au cyclophosphamide, pour le traitement de l’atteinte interstitielle pulmonaire des connectivites en général. Cependant, en raison d’un trop faible nombre de patients, il n’a pas été possible de conclure concernant la sclérodermie. Les effets secondaires étaient toutefois moins nombreux dans le groupe de patients traités par rituximab (4).

La seconde stratégie repose sur l’utilisation de cellules souches hématopoïétiques (CSH) ou mésenchymateuses (CSM). Concernant les CSH, les données sont déjà connues et encourageantes, même si ce traitement est limité à un faible nombre de malades au cours d’une fenêtre d’opportunité assez étroite. Quant aux CSM, elles sont une piste de recherche particulièrement active actuellement. De futures données devraient à l’avenir permettre de mieux évaluer leur intérêt. 

CHU de Bordeaux
(1) Bellando-Randone S et al. Lancet Rheumatology,Vol 3, N°12, 2021, e834-e843
(2) Khanna D et al. Lancet Respir Med. 2020 Oct;8(10):963-74. Erratum in: Lancet Respir Med. 2020 Oct;8(10):e75
(3) https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2008-11/pnds__scle…
(4) Maher TM et al. Lancet Respir Med. 2023 Jan;11(1):45-54

Pr Marie-Elise Truchetet

Source : Bilan Spécialiste