Pr Laurent Arnaud, CHRU de Strasbourg

« Une médecine plus personnalisée grâce au numérique »

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Publié le 16/04/2021

La santé digitale présente un immense potentiel de développement. Du monitoring au phénotypage à distance, les applications en rhumatologie sont vastes mais restent parfois balbutiantes et insuffisamment exploitées.

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LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Quels sont les grands piliers des big data et comment les exploiter ?

Pr LAURENT ARNAUD : Les big data sont actuellement définies selon cinq critères (les 5 V) : volume, vélocité, véracité, variété et valeur. Les données de santé ont des volumes colossaux. Véloces, dynamiques et variées, elles arrivent en permanence. Mais il faut également vérifier la véracité des données, c’est-à-dire leur fiabilité. Dans le domaine de la santé, ces données peuvent émaner de radios, de formulaires électroniques, de dossiers patients informatisés ou d’objet connectés. Une analyse spécifique de ces données s’impose donc afin d’en révéler la valeur intrinsèque.

Pour pouvoir exploiter ces big data, nous avons besoin de l’intelligence artificielle ou du « machine learning », dont l’objectif est de développer des systèmes imitant l’intelligence humaine. L’un des défis est de toujours sécuriser et anonymiser les données de santé.

Quelles technologies digitales implémenter en rhumatologie ?

La télémédecine s’est largement développée, notamment avec l’arrivée de l’épidémie de Covid-19. Tous les services hospitaliers et les rhumatologues libéraux se sont équipés de dispositifs permettant de consulter à distance (conférence audio, messagerie sécurisée…). Parmi les applications de la télémédecine, les « chatbots » et assistants vocaux sont développés dans de nombreuses disciplines médicales, mais pas assez en rhumatologie. Pourtant, ils seraient utiles pour les patients souffrant de douleurs articulaires et ayant du mal à appuyer sur un bouton, par exemple. Le diagnostic assisté par l’informatique monte également en puissance. En rhumatologie, il existe des systèmes experts permettant de porter un diagnostic chez un patient et de faire le tri parmi plus de 100 maladies rhumatologiques. Dans l’arthrose, par exemple, certains algorithmes d’intelligence artificielle permettent de prédire les patients susceptibles d’avoir besoin rapidement d’une prothèse.

Pour les images d’échographie articulaire, nous bénéficions également de dispositifs capables de déterminer automatiquement le grade d’une synovite, sans passer par l’expertise humaine.

Quelle utilité aujourd’hui pour les objets connectés ?

Il en existe de toutes sortes, certains se connectent entre eux ou à différents systèmes via Internet, d’autres sont portés (montres connectées, smartphones…). Ces objets connectés permettent des applications diverses telles que le monitoring à distance (fréquence cardiaque, pouls…). Autre exemple : le monitoring fœtal. Nous pourrions suivre ainsi, à distance, nos patientes enceintes et atteintes de maladies auto-immunes. Mais cela ne s’applique pas à la rhumatologie. En revanche, des données intéressantes ont été publiées sur l’actimétrie (mesure de l’activité physique des patients) en rhumatologie dans la goutte et la polyarthrite rhumatoïde (PR). Nous avons pu montrer que des signaux de big data très spécifiques précèdent la survenue des poussées. En effet, les patients modifient leur activité physique peu de temps avant une poussée.

Quelles sont les principales applications en rhumatologie ?

Grâce au big data, nous pouvons désormais disposer de données d’efficacité ou de tolérance en rhumatologie, en vraie vie. Et plus seulement via les études cliniques. Le meilleur exemple est le « consortium Covid » (ou « big data Covid »), créé en France puis à l’échelle européenne. Cela a permis de déterminer les traitements les plus à risque de Covid grave. Nous savons, par exemple, que le traitement par rituximab est très associé au Covid sévère. Les big data sont aussi très performantes pour détecter les effets secondaires : des travaux récents ont été menés dans le domaine du lupus et des complications cardiovasculaires liés aux traitements de l’ostéoporose.

S’oriente-t-on vers une médecine de précision ?

La santé numérique permet le phénotypage des patients. L’idée étant de révéler ou de caractériser l’hétérogénéité des maladies et d’identifier des biomarqueurs permettant de déterminer le meilleur traitement pour un patient donné. Nous commençons à bénéficier de telles données en rhumatologie. Enfin, nous disposons d’outils permettant d’évaluer la douleur, l’activité de la maladie et l’adhésion au traitement en temps réel. Une application nommée Hiboot + a été développée par la Société française de rhumatologie et propose aux patients des conseils personnalisés pour suivre l’activité de sa maladie inflammatoire.

Propos recueillis par Hélia Hakimi-Prévot

Source : lequotidiendumedecin.fr