Récidive des délinquants sexuels

Où en est-on de la prévention ?

Publié le 15/12/2011
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ON NE POURRA PAS avancer tant qu’il n’y aura pas d’études réalisées auprès des délinquants sexuels n’ayant pas récidivé, afin de comprendre quels ont été les facteurs mis en place et qui les ont justement protégés de la récidive. « Concrètement, une cohorte de suivi de délinquants sexuels pendant cinq ans permettrait déjà de progresser car si récidive il doit y avoir, elle a le plus souvent lieu dans les deux premières années après la sortie de prison » explique le Dr Sophie Baron-Laforet.

Or si la France entière s’émeut à juste titre des meurtres commis par des récidivistes, il faut savoir que, dans le même temps, ceux qui souhaitent mettre en place ce type de cohortes, s’en voient refuser les financements depuis plusieurs années ! Et sans réelle volonté politique de mener des recherches dans ce domaine, il manquera toujours ce complément d’information, pourtant capital. En effet, la prise en charge des délinquants sexuels a débuté il y a une vingtaine d’années en France. Il y a eu des avancées, notamment dans la façon dont il convient de l’aborder. Mais les échelles actuarielles tant mises en avant par les politiques sont des outils nord-américains qui n’ont pas été validés en France…

Prise en charge particulière pour malade particulier.

Contrairement à toutes les pathologies cliniques qui, lorsqu’elles sont découvertes pour la première fois, font l’objet d’études à l’hôpital, la délinquance sexuelle qui était très peu dénoncée avant les années 1980, a soudain fait parler d’elle… dans le milieu carcéral, terrain délicat pour la recherche. Comme, dans le même temps, la délinquance sexuelle vient attaquer nos représentations de la relation homme - femme, parent - enfant, etc., le délinquant sexuel est aujourd’hui devenu l’ennemi public numéro un. Ainsi, l’attente vis-à-vis de la prévention de la récidive est très forte, ce qui peut évidemment se comprendre. « Tous âges confondus et toutes infractions confondues, 28 % des personnes condamnées pour des faits à caractère sexuel sont à nouveau condamnées dans les cinq ans qui suivent, la moitié pour des faits à caractère sexuel, l’autre moitié pour d’autres délits sans caractère sexuel. Ce chiffre est de 14 % pour les récidives de délinquants sexuels, sans prise en charge particulière. Il tombe à 10 %, voire 7 % dans le meilleur des cas avec une prise en charge ». C’est évidemment plus que la société ne peut l’accepter, mais c’est la preuve qu’une prévention de la récidive est possible. Encore ne faut-il pas en rester là…

Pas plus qu’il n’y a un profil type, il n’y a de solution type.

Il n’existe pas de portrait type du délinquant sexuel en fonction de l’acte commis et il faut bien comprendre que derrière ce terme de « délinquant sexuel », on peut en réalité rencontrer des profils très différents. « Il existe dans un certain nombre de cas, des troubles de la personnalité, des dépressions, des troubles obsessionnels compulsifs, des troubles de l’adaptation, des carences dans l’enfance et/ou des traumas psychiques » note le Dr Baron-Laforet. C’est pourquoi nous commençons par leur proposer trois à quatre entretiens d’évaluation. Cela nous permet de comprendre comment le délinquant sexuel se repère vis-à-vis de la loi, quel est son besoin de contrôler l’autre ou d’être contrôlé, quelle a été la construction de sa vie sexuelle, s’il a ou non une fantasmatique violente ou pédophilique, quel est son relationnel avec la famille, etc. Après cette évaluation, nous sommes en mesure de lui proposer un projet de soin sur mesure, impliquant plusieurs professionnels (médecin coordonnateur, psychiatre, généraliste formé, éducateur, etc.). Une psychothérapie peut être débutée, soit avec le praticien, soit en groupe de six à huit délinquants. Ce travail en groupe est particulièrement intéressant car le délinquant sexuel supporte mieux la contradiction dans ce cadre que lorsqu’il est seul, face au praticien. Des médicaments peuvent également être prescrits : des antidépresseurs sérotoninergiques - notamment en cas de dépression ou de troubles compulsifs conduisant par exemple à la consultation compulsive d’images pédopornophotographiques - et des traitements hormonaux d’aide au contrôle des pulsions ».

Se pose ensuite la question de la durée du suivi et des traitements médicamenteux, pour laquelle les psychiatres n’ont pas encore de réponse, et enfin celle du degré d’efficacité de cette prise en charge pour un délinquant donné. « Les questionnaires permettant d’évaluer le risque de récidive reposent sur des critères statiques. Ils ne nous permettent pas d’évaluer l’effet du suivi. Or, nous ne pouvons superposer évaluation d’un parcours de soin et évaluation de la récidive. Et sans outil d’évaluation il est difficile d’améliorer les pratiques, d’imposer des changements aux professionnels, changements allant parfois à l’encontre de leur déontologie. Sans ce type d’outils, il sera donc toujours difficile d’évaluer plus précisément le risque de récidive d’un délinquant sexuel, même s’il a adhéré à l’ensemble de ses traitements. On en revient donc toujours au même problème : il faut nous donner les moyens de faire de la recherche, on a déjà perdu beaucoup trop de temps » conclut le Dr Baron-Laforet.

D’après un entretien avec le Dr Sophie Baron-Laforet, directrice du centre de ressources pour intervenants auprès d’auteurs de violence sexuelle d’Île-de-France (CeRIAVSIF).

 Dr NATHALIE SZAPIRO

Source : Bilan spécialistes