Au bord de la faillite à la fin des années 2000, le régime de l’allocation supplémentaire vieillesse (ASV) a fait l’objet d’un sauvetage in extremis en 2011. Quatre ans plus tard, le bilan d’étape n’est pas vraiment reluisant. Alors que les syndicats saluent les efforts réalisés, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) joue une nouvelle fois les Cassandre. Chacun convient pourtant qu’il va encore falloir faire quelque chose. Mais quoi ?
Sauvée des eaux, il y a cinq ans, l’allocation supplémentaire vieillesse (ASV) serait-elle de nouveau au bord de la noyade ? La question oppose de nouveau syndicats et responsables de la CARMF, en ce premier semestre 2015. Cette dernière a, en effet, remis récemment les pieds dans le plat. « Avec les mesures prises en 2011, le régime ne peut être équilibré et nécessite des mesures complémentaires », a ainsi fait savoir la Caisse fin mars.
Et, alors que le sujet vient seulement d’être abordé – le président de la CARMF a envoyé un courrier à Marisol Touraine le 26 mars – les discussions à venir pourraient se révéler houleuses. D’autant plus que ce point d’étape, prévu par la réforme, s’est déroulé sur fond d’élections à la CARMF, finalement gagnées haut la main par son président et que le débat pourrait s’inviter dans la future campagne des URPS. Un lien que MG France n’a pas hésité à souligner réagissant avec véhémence aux propositions faites par la CARMF. « Gérard Maudrux propose aujourd’hui de baisser la valeur du point à 11,30 euros pour les futurs retraités », relève ainsi un communiqué de l’organisation publié au début du mois, fustigeant une baisse de 13 % du montant des pensions. « Mais le président de la CARMF oublie d’ajouter qu’il protège ainsi la valeur de sa propre retraite », poursuit MG France, pointant une baisse des retraites.
Cette accusation n’est pas restée longtemps sans réponse, la CARMF prenant à son tour MG France « en flagrant délit de mensonge ». Contestant la baisse alléguée par le syndicat de généralistes, elle considère que « la campagne pour les élections des délégués CARMF n’autorise pas à mentir aux confrères ». Fidèle soutien de la Caisse, la FMF est également montée au créneau, considérant que « MG France dérape sur le régime ASV ». Pour Jean-Paul Hamon, « contrairement aux allégations de MG France, les propositions de la CARMF n’ont jamais été de créer des retraites ASV différentes entre actuels actifs et déjà retraités ».
Bis repetita ? Cette polémique (re) naissante n’est en effet pas sans rappeler les vives tensions qui avaient entouré la réforme de l’ASV en 2011. À l’époque, les projections faisaient apparaître l’épuisement des réserves de l’ASV en 2013 et un déficit cumulé de 16 milliards d’euros à l’horizon 2032. Trois leviers avaient été alors actionnés pour remettre à flot le régime : augmentation de la cotisation forfaitaire, création d’une part proportionnelle, baisse puis gel de la valeur du point. Un cocktail qui n’avait pas convaincu Gérard Maudrux, fermement opposé à cette réforme. D’autant moins que l’âge du départ à la retraite restait inchangé, au grand dam de ce fervent défenseur de la « retraite à la carte ».
Cessation de paiement dans 10 ans…
Moins dramatique qu’il y a quelques années, le bilan financier actuel de l’ASV n’est pas idyllique pour autant. « Un déficit technique apparaît dans 4 ans et la cessation de paiement dans 10 ans », selon les dernières projections de la Caisse. Et la CARMF d’ajouter que « le seul gel de la valeur du point ne permet pas l’équilibre du régime en attendant une inversion des courbes vers 2034 ». Pessimiste ou réaliste, cette vision quelque peu alarmiste ne semble pas inquiéter outre mesure les syndicats. « Au lieu d’avoir 16 milliards d’euros de déficit cumulé en 2032, aujourd’hui le creux (prévu à cette échéance) est de 450 millions d’euros », souligne avec une certaine satisfaction Claude Leicher. Une réduction notable du déficit qui, pour le président de MG France, n’empêche toutefois pas « un réajustement du système mis en place par la réforme pour parvenir à l’équilibre ». S’il n’y a « pas d’urgence absolue » à toucher à l’ASV, le président du Syndicat National des Médecins Concernés par la Retraite (SNMCR, proche de la CSMF), Yves Decalf, note pour sa part que « le problème, c’est l’avenir avec la démographie après 2020 ».
À mi-parcours de la réforme, il est donc temps de faire les comptes et d’envisager, à partir de là, l’avenir de l’ASV. Et force est de constater que les points de vue divergent autour des amendements possibles pour pérenniser le système. Fruit d’une réunion de travail avec les syndicats, le document adressé par la CARMF à la Ministre de la Santé examine plusieurs scénarios pour l’ASV. « Ce qui était contenu dans la réforme était des mesures d’ajustement », précise Gérard Maudrux pour qui, d’après de récentes estimations, « même en gelant (le point), ça ne passe pas ». « Il faut prendre d’autres mesures, affirme-t-il, soit un gel supplémentaire du point, soit agir sur la cotisation ». Selon les calculs du président de la CARMF, en se tenant au gel prévu dans la réforme jusqu’en 2019, il conviendrait d’atteindre le taux de 3,9 % pour la part proportionnelle de la cotisation. Autrement dit d’augmenter le taux stipulé dans le décret d’une dizaine de points. « Si on n’agit que sur les retraites, poursuit Gérard Maudrux, il faut diminuer de 3 % le point et le geler beaucoup plus longtemps ». Vraisemblablement jusqu’en 2029. Un panachage de mesures est également envisageable, mais « en portant la cotisation à 3,2 %, le gel doit être prolongé encore jusqu’en 2025 ».
Maudrux plaide pour la « retraite à la carte »
En réalité, aucune de ces hypothèses ne semble retenir l’attention du président de la CARMF. Comme il le défend toujours pour la retraite complémentaire (une piste votée par la CARMF, mais qui n’a pas été avalisée par la tutelle), il plaide désormais pour un système de « retraite à la carte » dans le cadre de l’ASV. En jouant sur l’âge du départ à la retraite, il assure que l’« on peut geler moins longtemps le point et augmenter moins longtemps les cotisations ». Il s’agit, en somme, d’établir à 62 ans l’âge du départ à la retraite à taux plein. La retraite perçue serait alors la même que celle versée aujourd’hui à 62 ans, soit 85 % de la pension versée aux médecins de 65 ans. Incluant une bonification de 5 % par année travaillée supplémentaire, ces nouvelles modalités conduiraient un médecin à travailler jusqu’à 65,5 ans pour toucher une retraite équivalente à celle au taux plein actuel. Autrement dit à travailler au moins deux semestres de plus qu’actuellement.
Une option à laquelle MG France oppose catégoriquement une fin de non-recevoir. « Il n’y a pas de raison de parler de recul de l’âge alors que les médecins partent déjà trois ans plus tard que le reste de la population », assène Claude Leicher soulignant que la valorisation proposée par Gérard Maudrux n’est pas de 5 points, mais de 5 % S’il ne veut pas toucher au paramètre de l’âge, le leader de MG France admet que la part de la cotisation proportionnelle puisse augmenter. « Elle devra probablement passer au-delà de 3 % dans les années à venir, note-t-il, la valeur de l’augmentation dépendant de la date du dégel du point. » Une hausse d’autant plus supportable qu’elle est prise en charge, aux deux tiers, par l’Assurance Maladie, rappelle-il.
Moins catégorique, Yves Decalf admet que l’on se pose, dès aujourd’hui, la question de l’âge du départ à la retraite, « même si c’est pour une application en 2020 ». Favorable à une hausse des cotisations, il reconnaît qu’« on arrivera ensuite à un moment difficilement supportable et il faudra donc aborder la solution de l’âge de la retraite ». Même si, pour lui, cette proposition de « retraite à 62 ans paraît alléchante », la CARMF serait bien inspirée de faire preuve de plus de transparence puisqu’il s’agit à ses yeux d’« une façon déguisée de reporter l’âge de la retraite et, pour la Caisse, de gagner du temps et de l’argent ». Pour l’heure, il prévoit que la cotisation d’ajustement continue d’augmenter, sûrement jusque 3,4-3,5 %. À compter de 2018, il préconise de « reprendre certaines indexations selon l’inflation ». Et d’ajouter qu’à défaut d’une hausse des cotisations, il faudra trouver des cotisants, aux premiers rangs desquels figurent les médecins ayant obtenu un diplôme à l’étranger.
Sur la proposition d’un départ à la carte, la CARMF peut désormais compter sur le soutien du SML. Sans exclure des négociations sur la valeur du point et la durée de son gel, l’organisation d’Éric Henry « recommande une harmonisation des régimes de retraites des médecins et se positionne pour une réforme du régime (ASV) sur la même ligne que celle du régime complémentaire ». Alors que les négociations entre les syndicats et le ministère devraient reprendre sur ce dossier, tout laisse à penser qu’elles seront animées. Partisans et opposants au départ à la retraite à la carte auront tout le loisir de donner leur opinion sur la fameuse mesure de Gérard Maudrux.