Santé publique

Affaire Levothyrox, les leçons à tirer

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Publié le 25/05/2018
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Environ un an après le début de la saga Levothyrox®, on mesure le poids des revendications des patients sur les politiques de santé. Une chose est sûre, l’action des malades a pris une nouvelle dimension, s’ouvrant en particulier au “cybermilitantisme”.
Ouverture

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Crédit photo : SPL/PHANIE

C’est à partir de mars et surtout mai 2017 que beaucoup de patients sous Levothyrox ® sont passés de l’ancienne à la nouvelle formule. L’opération ne s’est pas faite sans heurts, beaucoup de malades se plaignant de symptômes divers. Et le 24 juin, une pétition mise en ligne mit le feu aux poudres, et fit flamber médias et supports en tout genre. Parmi les trois millions de personnes sous lévothyroxine, beaucoup se sont alors emparés de la toile.

Cette affaire sanitaire apparaît d’un genre nouveau, car sans parler de scandale - aucun décès n’a pu être établi, et aucune malversation spécifique n’est à déplorer -, les patients se sont montrés offensifs et « efficaces », jusqu’à être reçus et entendus par la ministre de la Santé. Alors qu’en septembre dernier la nouvelle formule du Levothyrox® était presque le seul traitement disponible, aujourd’hui cinq médicaments à base de lévothyroxine sont sur le marché : L-thyroxin Henning ®, Thyrofix®, L-thyroxine Serb® et Tcaps®, Levothyrox® (correspondant à la nouvelle formule). Euthyrox®, contenant l’ancienne formule, sera encore disponible jusqu’à la fin 2018.

Démocratisation des affaires scientifiques

Pour Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS en science politique et en sociologie de l’innovation, les médias sociaux ont joué un rôle important : « Beaucoup de discussions sur les forums interrogent la nouvelle formule du Levothyrox® (était-elle correctement évaluée en termes de tolérance ?) et la fiabilité du concept de bioéquivalence. Auparavant, la confiance des citoyens était déléguée aux experts. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On assiste à une démocratisation des affaires scientifiques. Maintenant, la crédibilité sociale, la confiance des publics repose également sur une démocratisation de la preuve biologique. Ce qui est source de tensions dans les rapports sciencessociété. » Mais cette affaire a aussi révélé un mode d’action nouveau, voire inédit de la part des patients : celui du clickstream activism ou slacktivism (activisme de flux de clics ou activisme paresseux). Il s’agit d’un militantisme sur Internet, un “cybermilitantisme” consistant à cliquer pour participer à un évènement en ligne (pétition ou like sur Facebook, etc.).

D’après Virginie Tournay, « cela signifie qu’à côté des associations actives de mobilisation des malades et des victimes s’engagent d’autres formes de militantisme (cybermilitantisme), plus passives, moins coûteuses en temps et en énergie mais qui contribuent à diffuser les informations d’associations existantes physiquement auprès d’un public plus large. »

Médiatisation chronique

Enfin, vis-à-vis de nos pouvoirs publics, cette affaire révèle comment les choses évoluent, « illustrant le futur des politiques de santé, lié à une médiatisation chronique d’anomalies constatées (effets secondaires de médicaments) via des lanceurs d’alerte sur le net, avec des formes d’amplification non contrôlables et nécessitant une prise en charge institutionnelle. Les discussions en ligne peuvent être utilisées comme de bons signaux d’alerte d’anomalie significative, ou amplifier des fake news. L’articulation entre la pharmacovigilance et les réseaux sociaux est à construire », précise Virginie Tournay.

On voit combien la communication devient un enjeu majeur des politiques de santé. On attend d’ailleurs fin mai la remise du rapport de la mission “information et médicament” qui concerne autant les patients que les professionnels de santé.

LES ENQUÊTES ET ANALYSES DE L’ANSM

En octobre 2017, l’agence des médicaments (ANSM) avait lancé une étude de pharmaco-épidémiologie dont les premiers résultats viennent d’être publiés. L’objectif de ce travail était de « décrire les caractéristiques et l’état de santé des patients qui sont passés de l’ancienne à la nouvelle formule du Levothyrox® entre mars et juin 2017 ». Le passage à la nouvelle formule s’est surtout fait sans que la posologie n’ait été majoritairement modifiée. L’ANSM a constaté une légère augmentation des dosages de TSH liée au passage à la nouvelle formule. 57 % des patients avaient eu au moins un dosage de TSH durant les 4 mois analysés, contre 54,6 % durant les 4 mois précédents. Un complément d’information sur la pharmaco-épidémiologie sera publié en fin d’année. Parallèlement à ce travail, trois analyses réalisées dans les laboratoires de l’ANSM entre septembre 2017 et février 2018 ont permis de confirmer la bonne qualité de la nouvelle formule du Levothyrox® en termes de composition.


Source : Le Généraliste: 2836