Le projet de recherche Yoda, pour Young Onset Digestive Adenocarcinoma, a été lancé il y a un an face à l’augmentation de l’incidence des cancers du sujet jeune (entre 20 et 49 ans). « Il existe un rajeunissement des patients que nous avons en hospitalisation, explique la Dr Alice Boilève, oncologue médicale spécialisée dans les cancers digestifs. Les patients de 30-35 ans, qui étaient jusque-là anecdotiques, représentent désormais parfois un tiers, voire la moitié, des patients hospitalisés dans notre service ». S’il existe un biais de recrutement à Gustave-Roussy, du fait de son statut de centre de référence, « cela reste une évolution démographique observée ces cinq voire sept dernières années », poursuit l’oncologue.
Ce constat est rapporté dans la littérature internationale depuis 2019 environ, mais le rajeunissement des patients atteints de cancers reste sans explications formelles. La majorité des données vient d’outre-Atlantique, les Américains disposant d’une vaste base. « Aux États-Unis, nos confrères observent aussi une augmentation du nombre de cas de cancers, notamment appendice et pancréas, chez les sujets jeunes. Les cas de cancer du côlon sont passés de 11 à 20 % entre 2011 et 2019 », ajoute la Dr Cristina Smolenschi, oncologue médicale également spécialisée dans les cancers digestifs.
Il s’agit plus souvent de cancers métastatiques et de moins bon pronostic
Le projet Yoda s’attache ainsi à rechercher les origines multifactorielles des cancers digestifs du sujet jeune et vise à définir quelles actions peuvent être mises en œuvre pour en diminuer l’incidence. Ceci d’autant plus qu’il s’agit de cancers souvent métastatiques et/ou de plus mauvais pronostic. « Nous notons une moyenne d’un à deux ans d’espérance de vie pour le cancer du pancréas ou le cancer colorectal au stade métastatique », déplore la Dr Alice Boilève.
Ainsi, l’équipe de Yoda a adopté une double approche pour ses recherches. Tout d’abord rétrospective, en collectant des données cliniques des patients et de transcriptome. Puis prospective multicentrique, en récoltant des échantillons de tumeurs, de cheveux (dosage de pesticides), de sang et de plasma, de selles et d’urines (microbiote), et en proposant des questionnaires sur les habitudes de vie et d’alimentation, et l’exposome (tabac, alcool, milieu rural ou urbain, pollution…), chez des sujets jeunes (20-49 ans) et des moins jeunes (65-70 ans) pour la comparaison.
Des cancers digestifs particuliers
Il existe une différence de localisation de cancers entre les sujets jeunes et moins jeunes. « Par exemple dans le cancer colorectal, les sujets jeunes auront plutôt des tumeurs du rectum et du côlon gauche », explique la Dr Cristina Smolenschi. « Des études rétrospectives en cours de révision nous ont montré qu’il n’existe pas tant de différences sur la présentation clinique, qu’une sévérité au diagnostic avec des cancers un peu plus métastatiques et des caractéristiques plus agressives », ajoute la Dr Alice Boilève.
Chez un sujet jeune, les symptômes ne vont pas faire évoquer un cancer en première intention
Dr Cristina Smolenschi, oncologue à Gustave-Roussy
Les oncologues, toutes deux spécialisées en médecine de précision, remarquent parmi ces patients, des particularités génétiques et parfois une histoire familiale, « mais ceci n’explique pas l’augmentation », précisent-elles. Les spécialistes constatent également un retard diagnostique de quelques mois. « Chez un sujet jeune, les symptômes ne vont pas faire évoquer un cancer en première intention. L’anémie chez une femme par exemple sera plutôt imputée aux menstruations ; ou chez une personne présentant des saignements digestifs, l’hypothèse d’hémorroïdes sera préférée ». L’absence d’histoire familiale ne doit pas faire exclure cette hypothèse. « Le cancer digestif chez un jeune n’est plus un mythe », insiste la Dr Smolenschi. « Il faut savoir que cela existe et ne pas ignorer les symptômes comme la perte de poids inexpliquée, l’anémie persistante ou les douleurs récidivantes, sans aller jusqu’au scanner d’emblée évidemment. Les médecins traitants sont dans une situation délicate, ils doivent faire la part des choses et choisir quand s’inquiéter », complète la Dr Boilève.
« Pourquoi moi ? »
Traiter des sujets jeunes implique des considérations concernant le choix de prise en charge qui n’existent pas chez les sujets moins jeunes : fertilité, grossesse, séquelles fonctionnelles… « En prenant en compte ces éléments pour le choix de la thérapie, nous traitons de façon normale, voire plus intensifiée, car les sujets jeunes sont plus robustes, détaille la Dr Boilève. Mais il n’y a pas de recommandations de choix de traitement ».
Enfin, ce programme lancé au sein de Gustave-Roussy propose, en particulier à ces sujets jeunes, un profilage moléculaire de la tumeur ainsi qu’une consultation de génétique, même sans histoire familiale, « cela pourrait changer les choses dans le futur », ajoute la Dr Cristina Smolenschi. Les deux oncologues rendent hommage à leurs patients dont le pronostic est parfois très mauvais : « Ce n’est pas un protocole de recherche classique, ces patients ont nos âges. Ils nous demandent “pourquoi moi ?”, ils savent qu’ils vont mourir de leur cancer dans les prochaines années et nous n’avons pas de réponses à leur donner. Ils ont la volonté d’aider la recherche et de comprendre aussi pourquoi les cancers se développent de plus en plus chez les jeunes. »
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