Prospective

Cinq experts dessinent le diabète de demain

Publié le 15/11/2013
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Comment faire pour enrayer « l’épidémie silencieuse du XXIe siècle » ? à l’occasion de la Journée mondiale du diabète, cinq experts identifient cinq scénarios pour la prochaine décennie. Ils tablent sur le développement d’une médecine prédictive et personnalisée mais évoquent aussi un parcours de soins mieux coordonné, les progrès du pancréas artificiel, les promesses de la chirurgie bariatrique et les espoirs naissants des thérapies cellulaires.

Selon l’Assurance Maladie, notre pays comptera 4,1 millions de patients diabétiques en 2017 – contre 2,8 millions en 2010 et 1,6 million en 2000. « En France, la population diabétique progresse à un rythme annuel de 5,6% », résume le Dr Eveline Eschwège, directrice de recherche émérite à l’Inserm. De sorte que le nombre de diabétiques va doubler d’ici 2025, pour atteindre 6,3 millions.

En revanche, « la France est un des rares pays à avoir stabilisé la courbe épidémique de surpoids et d’obésité chez les enfants », souligne le Pr François Bourdillon, chef du pôle santé publique à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), dans la préface de l’ouvrage collectif « Le diabète. Une épidémie silencieuse?» (Le Bord de l’Eau, septembre 2013). Et selon l’enquête ObEpi, la progression de l’obésité semble s’être ralentie chez l’adulte entre 2009 et 2012. Vraie pause ou accident statistique ? « Cette tendance devra être confirmée par un suivi prolongé, estime Eveline

Eschwège. Et si l’obésité n’augmente plus beaucoup, le diabète, lui, continue de se développer. » Un décalage qu’explique le Pr Philippe Froguel : « Il y a un retard de 20 ans entre les courbes de l’obésité de l’adolescent et du jeune adulte et celles du diabète, maladie de l’âge mûr. Ceux qui sont nés dans les années 1980, période de grande inflexion des courbes de l’obésité, auront l’âge d’être diabétiques dans 10 à 15 ans. Je n’exclue pas qu’on observe alors une augmentation du diabète plus prononcée. »

Car le diabète est une maladie de la suralimentation et de la sédentarité, la cause est entendue. « L’obésité androïde, associée au diabète, au cholestérol, à l’hypertension [...] apparaît au Néolithique avec les changements de vie, de techniques et d’alimentation, quand naissent progressivement avec l’agriculture et l’élevage, vers 8000 avant J.-C., la sédentarisation, les disettes, des maladies professionnelles, la tuberculose, la violence, le pouvoir », analyse l’anthropologue Françoise Héritier dans « Le diabète. Une épidémie silencieuse ». Mais aussi, peut-être, une maladie de la souffrance morale. « Certains défendent l’idée qu’un stress social incite les gens à manger davantage, note Philippe Froguel. Si cela est vrai, on ne peut que s’inquiéter du fait qu’une grande partie de la population souffre aujourd’hui de stress social. »

Face à cette lame de fond prévisible, quelles seront nos défenses de demain ? Avec nos experts, nous avons identifié cinq scénarios possibles – et non exhaustifs – concernant le diabète de type 1 comme le diabète de type 2. Nous avons exclu les avancées de la pharmacopée, une enquête en soi.

La fin de l’insuline grâce aux greffes cellulaires

Parmi les scénarios envisagés, le plus séduisant, mais aussi peut-être le plus difficile, est celui des greffes cellulaires qui permettraient de s’affranchir de l’insuline dans le diabète de type 1.

« Le diabète de type 1 résulte de la destruction des cellules bêta du pancréas, a priori définitive », note le Pr François Pattou, directeur de l’équipe « Biothérapies du diabète » ((Inserm-Université Lille 2- CHRU de Lille) et co-fondateur de l’Institut Européen de Génomique du Diabète (EGID). Les injections d’insuline viennent certes compenser l’absence de sécrétion de cette hormone, « mais certains malades, souvent diabétiques depuis plusieurs décennies, sont pris entre le marteau et l’enclume : ils oscillent entre hyperglycémies et hypoglycémies sévères ».

Depuis dix ans, on propose à ces patients « explorateurs » une solution alternative : la greffe d’îlots de Langerhans, provenant de donneurs d’organes. « On greffe ces îlots dans le foie parce que c’est le plus efficace. » Comme il s’agit d’allogreffes, les patients reçoivent un traitement immunosuppresseur qui nécessite une surveillance attentive. Depuis dix ans,

40 patients ont été greffés au CHRU de Lille. « Huit sur dix ont gardé un greffon fonctionnel. Et cinq ans après, la moitié des patients greffés n’ont plus besoin d’insuline, résume le Pr Pattou. »

Mais « pour que cette thérapie ne soit plus une niche, poursuit le spécialiste, il faudra disposer d’une source de cellules illimitées, et que les patients n’aient plus besoin d’immunosuppression. Ce n’était jusqu’ici qu’un rêve, mais les cellules souches ouvrent des pistes prometteuses. Une société californienne, Viacyte, a obtenu, à partir de cellules souches embryonnaires, des cellules humaines sécrétrices d’insuline?». Cette société développe le projet de placer ces cellules dans des capsules semi-perméables qui les isolent du système immunitaire. « Les résultats chez la souris sont intéressants. Mais il reste de nombreux aspects réglementaires à résoudre, sans compter les risques tératogènes liés à ces cellules », observe le Pr Pattou.

Reste la « formidable piste » des cellules iPS, ou « cellules souches pluripotentes induites », dérivées de cellules somatiques adultes. « Seules deux équipes au monde sont parvenues à obtenir, à partir de cellules iPS humaines, des cellules sécrétrices d’insuline. Il faudra plusieurs années avant qu’on puisse transformer ce concept en application clinique. »

Le pancréas artificiel d’ici 5 ans

Le pancréas artificiel semble moins futuriste. Cette « révolution qui démarre » devrait « complètement bouleverser la prise en charge du diabète de type 1 dans les pays occidentaux qui pourront se l’offrir », estime le Dr Guillaume Charpentier, (diabétologue au CH Sud-Francilien et président du CERITD)

Les systèmes développés associent trois éléments : une pompe à insuline miniaturisée sous forme de patch collé à la peau ; un ou deux capteurs continus du glucose sanguin, également patchés et entre les deux, un logiciel inséré dans un smartphone dédié. Ce logiciel sera capable de prévoir la glycémie en fonction des apports alimentaires et des dépenses énergétiques prévues, indiquées par le patient, puis de moduler le débit d’injection d’insuline pour maintenir une glycémie normale. « Sans être entièrement automatisés, ces systèmes feront mieux que les modèles actuels », estime le Dr Charpentier. Actuellement, les patients sont équipés de pompes à insuline, et tentent de modifier leurs doses – plus ou moins bien – quand ils mangent ou bougent. Le pancréas artificiel de demain limitera cette variabilité. Le smartphone communiquera en permanence avec un système de télésurveillance. « En cas de dysfonctionnements, il préviendra un soignant autorisé à intervenir. » Les premiers essais chez l’homme ont démarré. « D’ici 4 à 5 ans, de premiers systèmes pourraient arriver », espère le Dr Charpentier.

La rémission par la chirurgie

Pour le diabète de type 2, l’avenir pourrait être chirurgical. La chirurgie de l’obésité, ou chirurgie bariatrique, connaît un développement rapide. « En 2013, plus de 40 000 patients obèses ont été opérés en France », précise le Pr Pattou. Or cette opération a, sur le diabète de type 2, des bénéfices « indéniables », selon les diabétologues eux-mêmes. « Au moins deux tiers des patients sont en rémission de leur diabète deux ans après le by-pass gastrique. » « Après l’opération, on observe même une restauration de l’insulino-sécrétion post-prandiale. Les cellules bêta du patient n’étaient donc qu’endormies, contrairement au dogme qui veut qu’elles soient détruites. »

Pour expliquer ces effets inattendus, plusieurs hypothèses sont évoquées : la perte de poids, bien sûr. Mais le by-pass permet un contrôle très rapide de la glycémie, avant même cet amaigrissement. Autre hypothèse : « en transformant l’anatomie digestive, le by-pass modifie la sécrétion d’hormones digestives. Le GLP-1 libéré par l’intestin est ainsi très augmenté. Son afflux stimulerait les cellules bêta. » Ou bien l’intestin, après l’intervention, interagirait différemment avec l’alimentation. Or l’intestin communique avec le cerveau : en retour, celui-ci influerait sur le métabolisme périphérique et la sécrétion d’insuline. Dernière piste à la mode?: celle du microbiote. En modifiant la composition du microbiote, le by pass pourrait avoir un effet favorable. Mais, pour l’heure, la causalité entre le microbiote et l’évolution du diabète reste à démontrer.

Est-il alors légitime d’opérer des patients atteints de diabète sévère, mais non obèses ou peu obèses ? « Il ne faut pas aller trop vite ! La mortalité associée à l’opération est de un pour mille », avertit François Pattou. D’où sa stratégie actuelle et celle d’autres groupes : développer des systèmes qui reproduisent les effets du by-pass avec moins de risques.

Dans un essai randomisé multicentrique qui vient de démarrer (essai Endometab), il évaluera l’intérêt d’un dispositif innovant, « l’endobarrier », sur 174 patients obèses et atteints de syndrome métabolique. Introduite par voie endoscopique, cette gaine endoluminale chemine au début du tube digestif, isolant le bol alimentaire des enzymes digestives. « Déjà posé chez une dizaine de patients au CHRU de Lille, ce dispositif mini-invasif a entraîné une perte de poids et amélioré l’équilibre glycémique. »

Parcours de soin revu... et rétribué

Plus prosaïquement, l’amélioration de la pise en charge des patients diabétiques de type 2 passera aussi par un parcours de soin d’un nouveau type. « La HAS devrait bientôt publier un parcours de soins des patients diabétiques de type 2 », confie le Pr Jacques Bringer, (diabétologue au CHU de Montpellier). La HAS insistera d’abord sur le repérage et le dépistage du diabète, surtout dans les populations à risque, c’est-à-dire en situation de vulnérabilité sociale. « Le message sera "ne vous contentez pas de repérer le diabète". Dépistez aussi les autres facteurs de risque cardiovasculaires. Et assurez une continuité dans la prise en charge de ces personnes à risque. »

Le second principe est connu, mais pas suffisamment appliqué. « Chaque diabétique est une personne avec un profil particulier : fonction de la sévérité, de l’ancienneté et des complications de son diabète, de ses comorbidités, mais aussi de son profil psycho-socio-culturel lié à son milieu socio-éducatif, de sa personnalité, de ses priorités de vie et de ses motivations. Et ce profil de vulnérabilité est capital pour guider le parcours de prise en charge de cette personne », résume Jacques Bringer.

« Comment mettre cela en musique ?, poursuit le diabétologue. Tout en maintenant le médecin traitant dans son rôle de chef d’orchestre, il faudra peupler cet orchestre de musiciens rétribués. » Car, dit-il, la coordination des soins de proximité est la clé de voûte du système qui souffre toujours de cloisonnements. Le médecin traitant ne dispose aujourd’hui ni du temps, ni de la tarification ou de l’organisation logistique lui permettant d’assurer cette continuité de la prise en charge.

« Pour l’éducation thérapeutique et l’autonomie des patients à risque élevé, vulnérables ou complexes, quelque chose reste à inventer : des soins coordonnés à domicile, qui seraient des prestations “à la carte”, avec les interventions des différentes actions médicales et surtout paramédicales et sociales, définies selon les besoins de chaque patient. Un grand vide subsiste ici, entre les soins infirmiers à domicile et la véritable hospitalisation à domicile », estime Jacques Bringer. On pourrait imaginer que des maisons de santé, des établissements de santé, des cliniques, des hôpitaux, des mutualistes ou des services de soins à domicile se positionnent sur ces prestations, en réponse à des appels d’offres des ARS.

« Tout d’abord, avertit le Pr Bringer, ce système de prise en charge coordonné et rémunéré ne coûtera pas moins cher. Mais à terme, il devrait prévenir l’envol des coûts liés aux complications précoces et sévères du diabète. Si l’on ne fait rien, on subira l’impact économique des maladies chroniques avec une ampleur telle que cela mettra en péril la croissance des pays. »

Dossier réalisé par Florence Rosier

Source : lequotidiendumedecin.fr