Entretien

Ebola : Selon Jean-François Delfraissy, la vigilance reste de mise

Publié le 24/01/2015
Le nombre de victimes du virus Ebola baisse dans les pays touchés, mais pour le Pr Jean-François Delfraissy (directeur de l’institut de Microbiologie et des Maladies infectieuses, CHU Bicêtre), l’épidémie n’est pas terminée. Il faut donc rester vigilant et changer de stratégie de lutte contre le virus. Un nouvel antivirus japonais testé actuellement pourrait modifier la donne.

Crédit photo : Phanie

Le Généraliste : l’épidémie d’Ebola est-elle en passe d’être enrayée ?

Pr Jean-François Delfraissy : Les derniers chiffres montrent une nette diminution du nombre de cas d’Ebola dans les trois pays concernés. Cependant, des foyers d’infection persistent. On n’a pas éradiqué Ebola dans les trois capitales. Ainsi il reste des cas en Guinée du grand Conakry et dans la Guinée du nord, alors que la Guinée forestière qui était la région la plus touchée il y a deux ou trois mois, admet un nombre de cas beaucoup plus réduit. Ces cas résiduels sont des gens qui devraient se rendre dans les centres de traitement, mais qui, par peur, n’y vont pas.

Comment expliquer cette baisse du nombre de cas depuis Noël dernier ?

Pr J.-F. D. Elle est probablement multifactorielle. Les efforts de la communauté internationale pour le financement, l’organisation des soins, l’organisation des Guinéens eux –même, ont peut être fini par donner des résultats. Mais il se peut aussi que cette baisse soit due à la saison sèche, pendant laquelle le virus est moins actif, et les malades se déplacent plus facilement vers les centres de soins. Enfin, toute grande épidémie de maladie infectieuse admet un pic suivi d’une baisse quand l’immunité de la population atteint un certain niveau.

L’épidémie peut-elle redémarrer ?

Pr J.-F. D. Nous pensions avoir résolu le problème en Guinée au mois d’août dernier et l’épidémie a repris en septembre, du fait de l’arrivée de certains Guinéens revenus du Liberia, et de la saison des pluies. Il faut donc être très prudent, et si l’on peut se réjouir des chiffres de cas en baisse, il n’en faut pas moins rester vigilant et « maintenir la pression ».

Faut-il changer de stratégie ?

Pr J.-F. D. Certainement. Si l’épidémie devient comparable à un moteur qui tourne plus lentement mais avec un bruit de fond chronique, il faut arriver à réduire ce bruit de fond. Pour cela, la stratégie ne passe plus seulement par des centres de traitement qui effrayent les gens, mais aussi par des équipes mobiles d’épidémiologistes et de « rabatteurs » de cas vers ces centres en s’appuyant sur les communautés, les ONG, les populations.

Quel rôle doit jouer le nouvel antiviral favipiravir ?

Pr J.-F. D. Un rôle très important. C’est le premier traitement testé pour Ebola. Cette molécule - détournée de sa vocation anti-grippale à l’origine – est la seule qui pourra être testée dans des conditions convenables, compte tenu de la raréfaction des cas. Dans une maladie comme Ebola, où la réponse n’a jusqu’ici pas été médicale, mais sanitaire, si l’on dispose d’un médicament efficace, cela change radicalement la donne. Un essai de phase 2 de cette molécule japonaise (société Fuji) est mené depuis le 15 décembre en Guinée par l’INSERM, en collaboration avec MSF et la Croix Rouge. Les résultats sur la charge virale et la survie, seront connus en février 2015. L’essai a déjà recruté 85 patients. Il y en aura 90 en février.

Quid des autres traitements expérimentaux employés durant l’épidémie ?

Pr J.-F. D. Il y a eu une série de médicaments candidats, qui n’ont pas été testés chez l’homme et ont été octroyés à titre expérimental, compassionnel, à deux ou trois personnes. Sur ces médicaments, il est donc impossible, pour l’instant, de conclure quoique ce soit.

Où en est le développement des vaccins anti-Ebola ?

Pr J.-F. D. Il existe trois candidats vaccins. Le premier d’entre eux est porté par le laboratoire GSK et testé par l’institut de recherche américain NIH. Un essai de phase 3, pour montrer son efficacité préventive, qui doit recruter 35 000 personnes, débute au Liberia. Le deuxième vaccin est porté par l’institut de recherche canadien et a été racheté par Merck. Il va être testé en phase 3 en Guinée sur les soignants et leurs familles, considérés comme les personnes les plus à risques. Enfin, un troisième vaccin, le « Prime boost » pour lequel deux vaccinations doivent être réalisées, est développé par l’Inserm en partenariat avec la London School of hygiene and tropical medicine. Les essais de phase 1 et 2 doivent débuter dans les semaines qui viennent. Il subsiste un problème : maintenant que le nombre de cas baisse, les effectifs à tester pour montrer l’efficacité des vaccins doivent passer à plusieurs centaines de mille. Ce qui rend les essais de phase 3 très difficiles à réaliser. Et renforce l’importance des essais de phase 2 qui montrent l’existence d’une réponse immunitaire.

Propos recueillis par le Dr Alain Dorra

Source : lequotidiendumedecin.fr