Edouard Philippe. Dans le plan, il y a une question très sensible, celle de la formation initiale. La possibilité est désormais ouverte pour un certain nombre d’étudiants qui ont commencé des études en santé sans imaginer un jour exercer comme médecins et au final le devenir. C’est une transformation majeure de notre système. Est-ce que cela sera mieux ? Je l’espère. En 2022, quel que soit l’endroit où le médecin exerce en libéral ou à l’hôpital, la différence ne sera plus aussi nette qu’elle ne l’est aujourd’hui. Ce que je pressens, ce que je comprends, quelles que soient les transformations d’organisation, technologiques, il persistera toujours une part irréductible d’activité, liée à la nature de soigner, à son aspect humain, un mélange de science et d’intuition, une capacité à comprendre et à expliquer, à s’adapter à des cas toujours individuels, mais qui relèvent parfois de grandes séries. Ce que nous aimerions, c’est qu’au 30 septembre 2022, les transformations engagées permettent au médecin de consacrer une grande part de son temps à la médecine. J’ai l’espoir qu’à cette date grâce à l’assistant médical financé en grande partie par l’assurance maladie, on aura soulagé le médecin libéral d’une part significative des démarches administratives. Nous aurons tellement incité à cette date au regroupement des médecins que l’exercice isolé ne sera plus la norme. L’organisation de la médecine libérale doit permettre une meilleure connexion avec l’hôpital, un meilleur accueil de soins non programmés. Cela passe par une organisation collective et des regroupements. J’espère que l’on aura fait les énormes progrès annoncés depuis longtemps dans la portabilité des données personnelles. On ne peut pas dire que cela soit encore parfait… Cette attitude prudente et nuancée n’interfère pas avec une grande détermination. J’ai tellement vu l’inverse...
Organisation ville-hôpital
Je sais aussi parce que je suis réaliste de ce à quoi on s’attaque. Sur le papier lorsque l’on explique l’objectif, à savoir une meilleure organisation entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, et au sein de la médecine hospitalière entre le privé et le public, il est rare d’entendre le discours du type « Non, il ne faut pas que cela se passe mieux ensemble ». Mais une fois que vous avez dit cela –— et je peux en témoigner en tant qu’ancien maire du Havre où il y avait l’hospitalisation publique et privée — la capacité à faire en sorte que les acteurs travaillent ensemble se place dans des logiques de complémentarité plutôt que de concurrence. Dans le détail, c’est déjà plus sportif. Il ne faut pas s’en satisfaire. Je n’ai aucun doute sur le fait que nous n’arrivions pas aujourd’hui à trouver la solution à nos problèmes parce qu’entre le monde hospitalier et la médecine de ville, le parcours n’est pas suffisamment structuré et fluide. J’ai constaté une difficulté d’accès à la médecine de ville pour les soins non programmés, l’engorgement des urgences, l’incapacité à organiser directement l’accès dans les services hospitaliers par la médecine de ville. Cela doit se penser mieux qu’aujourd’hui. Je ne donne aucune leçon. Je ne suis pas un spécialiste du sujet. Mais cela m’a frappé : à chaque fois que je vais dans un service d’urgence, je constate une embolie de ce service. C’est le symptôme de tous les problèmes avant et après. Pour les régler, il faut taper avant et après. « Taper », c’est une image. Il faut consacrer de l’énergie afin de faire en sorte que cela marche mieux. Sur ce sujet, je suis absolument certain qu’il faut arriver à remailler le territoire, la pratique hors hospitalière par des pratiques collectives, avec des accueils de soins non programmés, avec de la petite chirurgie, de la télémédecine. Certes cela ne règle pas tous les problèmes. Mais cela apporte un plus évident dans un certain nombre de territoires. Cela passe par l'équipement numérique du territoire. C’est une politique d’ensemble. J’en suis parfaitement conscient. C’est faisable et c’est un élément de la solution dans les territoires éloignés. J’ai une conviction dans ce domaine-là comme pour tous les autres domaines de l’action publique : jamais une seule mesure ne produit l’effet que l’on en attend. Face à un problème aussi systémique que celui de la médecine en France, Il faut régler les problèmes un par un et en même temps. C’est pour cela qu’il a l’aspect pixélisé que vous évoquiez dans votre présentation.
Guy Vallancien. Je n’ai jamais connu de plan qui revoie le système dans son intégralité. On avait des plans hospitaliers essentiellement, avec quelques subsides pour la ville afin de calmer le jeu, parce que cela râlait. Il n’y avait pas de mise en perspective. Mais nous avons une vraie inquiétude. Ce que vous avez initié, c’est que cela s’écroule sous le poids de l’administration qui va figer le système en arrêts, décrets, circulaires. S’il y a dix réunions à paris et si vous être chirurgien libéral à Brives, c’est foutu, les gens ne se déplaceront pas. Mais comment peut-on faire pour laisser les hommes et les femmes s’embarquer localement sans avoir le tampon ? Peut-on passer de la précaution à la responsabilité qui implique l’erreur et donc l’expérience ? Allez-vous envoyer des missi dominici pour modifier les ARS ?
Edouard Philippe. On passe de la conception à l’exécution. Eh oui ! cela ne m’avait pas échappé. Dans les politiques publiques, dans les transformations d’ampleur que l’on envisage, c’est un facteur au moins aussi important. C’est un domaine où les responsables politiques investissent un peu moins. Cela peut se comprendre. Ils sont là pour porter et incarner une transformation.
Lorsque les élus locaux accompagnent les projets des professions médicales, cela marche. Lorsque les élus locaux s’efforcent de trouver les équipes médicales, cela marche moins bien.
En matière de e-santé
C’est le sentiment du non-spécialiste qui essaie de comprendre parce qu’il a des décisions à prendre. C’est dingue, vertigineux. Cela ne fait pas peur, mais je n’exclus pas ceux à qui cela foute un peu les jetons… On gagnerait en sorte à expliquer les enjeux sur le maniement des données, sur l’association de l’IA à la médecine, à la recherche. Je regarde cela et je me dis que cela va vite et loin. Et cela pose toute une série de questions. Il y a aussi un effet d’échelle. La bonne échelle, c’est l’Europe. Et elle est n’est déjà pas très grande. Mais on peut compenser l’effet de taille par la densité d’intelligence et les données. La solution est exclusivement européenne. Et passe par des alliances.
Créer des marges de manœuvre
Quant à la question des moyens publics et des investissements privés, les deux comptent. J’ai tendance à penser que l’on pourra consacrer d’autant plus de moyens publics sur les sujets jugés indispensables et stratégiques pour le futur que l’on aura mis un peu d’ordre dans les finances publiques. Ce n’est pas propre à la médecine. On me cite souvent l’Allemagne. Des marges de manœuvres ont été dégagées. Et vous savez ce qu’ils font ? Ils les utilisent, c’est un truc de dingue… Le problème, c'est qu'il faut les avoir et pour les avoir, il faut les créer. Dans le même temps où il faut financer de nouvelles politiques, il est nécessaire de remettre un peu d’ordre.
Après, il y a les investissements privés, l’attractivité de l’économie française, de ce secteur créateur de richesse et pour le coup, il y a là une politique de droit commun qui est de développer l’attractivité, de faciliter les investissements, de faire en sorte que les procédures soient raccourcies considérablement et que la recherche soit plus facile. On peut mobiliser les capitaux privés. Je suis optimiste là-dessus. Le développement des investissements étrangers a été considérable l’année dernière en France.
Réparer en profondeur et durablement
Pour conclure, cela va paraître de l’orgueil ou de la démesure. Mais je suis absolument certain que l’on peut réparer en profondeur et durablement l’ensemble des éléments qui ne fonctionnent pas dans le système de santé. J’en ai la conviction absolue. Nous avons un système très fortement marqué par une organisation pensée à une époque. Mais les temps changent. Nous avons en France tout ce qu’il faut en termes de qualité des hommes et des femmes, du sens de l’organisation, de l’intérêt général. J’ai l’absolue certitude que nous sommes en mesure de régler ce sujet. Cela exige de regarder en face, de consacrer des moyens, avec une cohérence dans la durée et dans l’espace avec les bases posées dans le plan. Et c’est cela le plus important.
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