Maltraitance des gynécos ?

Mélanie Déchalotte : "Il y a un déni chez les professionnels"

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Publié le 09/11/2017
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Crédit photo : CATHERINE DELAHAYE

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Comment expliquez-vous la stupéfaction du corps médical face à ces accusations de violences médicales ?

Je comprends que les médecins se sentent attaqués. Mais comme le révèlent les témoignages, la maltraitance peut être le fait de tous les soignants : gynécologues, sages-femmes, anesthésistes, puéricultrices, etc. Et ce ne sont pas les professions qui sont remises en cause, mais des pratiques qui sont dénoncées : culpabilisation lors des IVG, césariennes à vif, épisiotomies inutiles, révisions utérines sans anesthésie… Il ne s'agit pas non plus de dire que tous les professionnels sont maltraitants, mais de faire prendre conscience de ce que peuvent ressentir les femmes, parfois à long terme, pour ensuite modifier les pratiques. Derrière ce sentiment d’être attaqués, il y a d’abord un déni. Les gynécologues ont certes partagé les combats des femmes. L’accouchement demeure toutefois leur chasse gardée. Les réserves, voire les accusations lancées à l’encontre des maisons de naissances témoignent bien qu’ils n’ont guère envie de céder ce territoire.

Certes, ils ont le souci que les femmes puissent vivre leur maternité, leur sexualité dans les meilleures conditions. Mais dans le même temps, ils n’ont également pas intégré un ensemble de mauvaises pratiques comme l’expression d’un mode paternaliste, de jugements moraux au cours de la consultation. Cela résulte peut-être d’un certain mode d’exercice de la médecine française, accentuée en obstétrique. Cette spécialité en effet est aussi la démonstration au cours de l’histoire du patriarcat, de la mainmise des hommes accoucheurs sur les femmes.

Quelles sont les conséquences de ces violences ?

Concernant l’accouchement, certaines femmes refusent d’être enceintes de nouveau. Ou optent pour la césarienne. D’autres préfèrent accoucher à domicile. Des femmes parviennent aussi à trouver des gynécologues qui ne nient pas leurs paroles et reconnaissent la violence dont elles ont été victimes. Elles vivent alors des accouchements réparateurs.

Le métier est pourtant très féminisé.

Cela n’a rien à voir. Ces pratiques sont le résultat de la manière dont ont été formés les médecins. Les femmes gynécologues comme dans les milieux très sexistes ont endossé les habits du dominant. Certains gynécologues (hommes ou femmes) reconnaissent, dans des discours non publics, qu’ils accueillent des femmes dans un état dramatique après un accouchement. Au cours des dernières années, certaines modifications des pratiques ont été impulsées par des associations de patientes. Notamment le Ciane* qui s’est battu afin que les obstétriciens les écoutent.

La situation évolue toutefois rapidement. Un chapitre est consacré aux dangers du misoprostol. Le laboratoire vient d’en arrêter la commercialisation.

La commercialisation est arrêtée seulement en France. C’est peut-être le résultat de l’affaire Timéo relatée dans le livre, même si l’hôpital où s'est déroulé le drame estime n’avoir aucune responsabilité. D’autant qu’il y a d’autres affaires en cours en France et en Europe. Pourtant les médecins affichent lors de congrès voire sur les sites Internet de leur institution le soutien à cette pratique pourtant dangereuse. Le vécu des parturientes comme par hasard n’est jamais évoqué.

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise dans votre enquête ?

C’est la permanence de l’expression abdominale lors de l’accouchement. Elle est fréquemment pratiquée en dépit des recommandations de la Haute Autorité de santé. Les séquelles peuvent être extrêmement graves. L’impact psychique des violences en gynécologie et obstétrique sur le devenir des femmes m’a profondément marquée. Le fait que cette médecine soit entièrement liée à la sexualité est un élément important. Les gestes des praticiens sont posés sur les organes génitaux et impliquent souvent une pénétration sexuelle. Quand le geste est par exemple posé sans consentement, ou sous la contrainte, l’acte peut être vécu comme un viol et entraîner les mêmes séquelles psychiques que les agressions sexuelles. Le terme de viol est d’ailleurs repris par les psychiatres qui suivent les femmes victimes de ces violences.

Peut-on parler de prise de conscience chez les professionnels ?

On peut voir une espèce de frémissement. Le discours évolue chez les sages-femmes et chez certains gynécologues. Je crois qu’il est important que le discours public de la profession ne soit plus sous le seul contrôle du Pr Israël Nisand. Dénigrer la parole des femmes et ne pas prendre en compte leurs demandes seraient une erreur qui viendrait renforcer la défiance des patientes. Le levier politique peut aussi jouer un rôle décisif pour faire évoluer les pratiques.

* Collectif interassociatif autour de la naissance.


Source : lequotidiendumedecin.fr