Pharmacovigilance

Proscrire le paracétamol pendant la grossesse ?

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Publié le 12/10/2021
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Cette molécule aujourd’hui largement utilisée chez les femmes enceintes en cas de douleur ou de fièvre, ne serait pas sans conséquence pour le fœtus. Un collectif de 13 médecins et chercheurs lance un appel pour recourir au paracétamol avec plus de précaution, en attendant que ses effets sur le fœtus soient mieux documentés.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Alors que le paracétamol est couramment considéré comme un médicament plutôt inoffensif durant la grossesse, un article paru dans Nature reviews endocrinology le 23 septembre dernier, remet en cause ce dogme. Il met en avant les effets indésirables que pourrait provoquer cette molécule sur le développement du fœtus, et en particulier sur certains organes : urogénitaux et neurologiques. Le sujet est important puisque cette molécule est retrouvée dans beaucoup produits. « Le paracétamol (N-acetyl-p-aminophenol - APAP) est retrouvé dans plus de 600 médicaments » indiquent les auteurs de cet article. Et ce médicament est pris par 2/3 des femmes enceintes aux États-Unis, et par plus d’une femme enceinte sur deux dans le monde.

Analyse de la littérature entre 1995 et 2020

Au total, 13 médecins et chercheurs de différents pays et de spécialités diverses (endocrinologie, pédiatrie, neurologie, etc.) ont analysé la littérature publiée entre janvier 1995 et octobre 2020, sur les liens entre paracétamol et grossesse. « En tant que scientifiques, experts médicaux et professionnels de la santé publique, nous nous sentons concernés par l’augmentation des taux de problèmes neurodéveloppementaux, urogénitaux et reproductifs. Nous constatons une augmentation troublante du nombre d’enfants avec des troubles cognitifs, d’apprentissage et/ou de comportement », indiquent les auteurs au début de leur article.

Les résultats de ce travail d’analyse de la littérature scientifique portent sur des travaux épidémiologiques et des études sur l’animal. Ainsi, une relation entre l’exposition prénatale au paracétamol et des anomalies urogénitales ou touchant les organes reproducteurs a été analysée dans onze études observationnelles incluant un total de 130 000 mères-enfants de différentes origines à travers le monde. Les résultats de cinq de ces études suggèrent que l’exposition prénatale au paracétamol est associée chez le garçon à des malformations urogénitales ou touchant les organes reproducteurs, dont un risque augmenté de cryptorchidie et une diminution de la distance ano-génitale (AGD). Cette distance entre l’anus et la base du pénis est un indicateur du degré de masculinisation génitale. Un lien a été identifié entre une exposition au paracétamol et une puberté précoce côté féminin.

Ce travail indique également que la prise de paracétamol durant la grossesse pourrait provoquer des effets sur le développement neurologique du fœtus : comme des troubles du déficit de l’attention avec ou non hyperactivité (TDAH) et des troubles du spectre autistique (TSA). Les liens entre une exposition prénatale au paracétamol et les évènements neurodéveloppementaux ont été analysés dans 29 études observationnelles incluant plus de 220 000 mères-enfants. Dans 26 d’entre elles, des liens ont été établis avec un TDAH, des troubles du comportement, de l’acquisition du langage, une baisse du QI, etc.

Métabolites de paracétamol dans le sang de cordon

À noter que d’autres travaux très récents par rapport à ceux analysés par ces 13 experts, ont confirmé ces données, « comme celui paru dans le Jama en 2020, et portant sur 1 000 mères-enfants comprenant l’analyse dans le sang du cordon ombilical des métabolites du paracétamol. Il a été découvert une corrélation avec la survenue de TDAH et de TSA, et la présence de ces métabolites, argumente Pr Patrick Fénichel, professeur émérite de gynécologie-endocrinologie à Nice, expert des perturbateurs endocriniens. Une méta-analyse parue cette année dans l'European journal of epidemiology et portant sur 73 000 mères-enfants, a montré une augmentation de 20 à 30 % de ces troubles neurodéveloppementaux chez les enfants dont les mères avaient pris ce médicament durant la grossesse ».

Toutes ces observations sont liées au fait que le paracétamol est un perturbateur endocrinien « qui est assez proche des phtalates », détaille le Pr Fénichel. Cette molécule est également connue pour pouvoir traverser les barrières placentaire et hémato-encéphalique.

Des données peu connues des gynécologues et des généralistes

En conclusion, les treize signataires de cet article appellent de manière solennelle à une action de précaution, précisant que notre « accord de consensus au sujet du paracétamol est un appel pour prioriser la recherche et promouvoir des directives médicalement prouvées sur l’usage du paracétamol chez les femmes enceintes, avec l’objectif de les sensibiliser afin de minimiser leur exposition au paracétamol. »

Pour le Pr Patrick Fénichel : « Nous sommes loin des conséquences engendrées par la thalidomide, le paracétamol devant être considéré comme un co-facteur de risque. Cependant, aux regards des travaux publiés, aujourd’hui il est raisonnable de déconseiller la prise de paracétamol durant toute la grossesse, et surtout lors du premier trimestre si la mère est enceinte d’un garçon... et proposer d'autres solutions non médicamenteuses. Le paracétamol devrait être réservé pour des problèmes aigus avec la posologie la plus faible et la durée la plus courte. Ces données sur les risques liés au paracétamol sont malheureusement très peu connues des gynécologues et des généralistes. »

De son côté, l'agence du médicament (ANSM) indique dans son dossier sur le « traitement de la douleur durant la grossesse » (mis à jour début juin) que : « plusieurs études ont étudié les risques sur le neuro-développement de l’enfant mais les résultats sont discordants. Si nécessaire, le paracétamol peut être utilisé pendant la grossesse ; cependant il devra être utilisé à la dose efficace la plus faible, pendant la durée la plus courte possible et à la fréquence la plus réduite possible ».


Source : lequotidiendumedecin.fr