Cancérologie cutanée

Mélanome : dépistage ciblé… mais sur qui ?

Publié le 14/02/2014
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Des études récentes se sont attachées à identifier non plus seulement les facteurs de risque de mélanome mais surtout ceux des formes graves. Avec des résultats qui poussent à s’interroger sur les patients à cibler en priorité pour le dépistage.

Crédit photo : DR ZARA / BSIP

Plutôt que de se polariser sur les jeunes femmes blondes, mieux vaut peut-être se concentrer sur les vieux messieurs isolés... À l’occasion de la 2e Journée d’Actualité en Cancérologie Cutanée (JACC) qui s’est tenue le 6 février à Paris, le Pr Florent Grange (CHU de Reims) a un peu bousculé les dogmes concernant le dépistage des mélanomes et les populations à cibler en priorité.

Pour ce spécialiste, l’équation est simple : certes, la plupart des mélanomes surviennent chez des patients présentant des facteurs de risque classiques (phototype clair, antécédents de mélanomes, nombre élevé de nævi, forte exposition solaire, etc.) mais les formes les plus agressives et les plus évolutives sont à chercher ailleurs.

Disparité des formes

Ce constat s’explique notamment par la disparité des formes anatomo-cliniques de mélanomes. Dans 65% des cas, ces cancers cutanés sont de type SSM ou « mélanome à extension superficielle ». Il s’agit alors de tumeur à évolution plutôt lente et relativement facile à repérer car correspondant bien au fameux « grain de beauté qui bouge ».

En revanche dans 35% des cas, on observe d’autres formes anatomo-cliniques (mélanome de Dubreuilh ou LLM, mélanome nodulaire, mélanome acral-lentigineux ou ALM) avec, à la clé, des lésions d’aspect clinique moins évocateur et d’évolution souvent plus rapide. « C’est ce gros tiers – beaucoup plus problématique – qui constitue tout l’enjeu du diagnostic précoce et qui nous fera gagner des vies », estime le Pr Grange.

De fait, plusieurs études réalisées par l’équipe du Pr Grange, dans l’Est de la France, montrent que l’épaisseur au diagnostic (et donc le pronostic) est fortement corrélée à la nature anatomo-clinique du mélanome. Ainsi, dans une première étude, la présence d’une tumeur de type histologique SSM ou LLM est clairement identifié comme un facteur indépendant associé à la détection de lésion de faible épaisseur. à l’inverse, un autre travail montre que les mélanomes très épais au moment du diagnostic (Breslow › 3mm) sont plus fréquemment de type nodulaire ou ALM (OR = 9,3 ). Une troisième étude réalisée en médecine générale va dans le même sens avec plus de 50% de mélanome nodulaire parmi les lésions ayant un Breslow ›2mm.

Ces travaux retrouvent, par ailleurs, trois autres facteurs indépendants corrélés à l’épaisseur au diagnostic?: le sexe, l’âge et le statut familial. Avec davantage de formes graves chez les hommes, relativement âgés et vivant seul. Soit une population recoupant peu celle classiquement ciblée par le dépistage. « Les messages que nous véhiculons ne sont donc pas adaptés pour les mélanomes les plus graves et n’atteignent pas les populations les plus vulnérables, résume le Pr Grange. Et si l’on veut diminuer les mélanomes épais, il va falloir mieux cibler certaines populations. »

Formation spécifique

Le constat vaut particulièrement pour les généralistes qui semblent les plus à même de toucher ces patients. Ils diagnostiquent d’ailleurs, d’ores et déjà, davantage de mélanomes nodulaires chez des sujets plus âgés et souvent plus isolés que les dermatologues.

Une formation spécifique pourrait permettre d’améliorer encore les choses comme le suggère une étude récente. Dans ce travail, les médecins formés et sensibilisés aux facteurs de risque de formes graves dépistaient dans les années suivant la formation davantage de mélanomes fins et moins de mélanomes épais.

Comme pour appuyer le propos, un rapport de l’INCa publié mardi souligne l’augmentation de l’incidence et de la mortalité par mélanome cutané chez les hommes.

Bénédicte Gatin

Source : lequotidiendumedecin.fr