C’est arrivé le 4 juillet 1885

Paris, capitale déjà polluée...

Publié le 04/07/2015

Crédit photo : GARO/PHANIE

Dans un rapport rendu le 4 juillet 1885, le Dr Léon Colin médecin-inspecteur de l’Armée, directeur du service de Santé du gouvernement militaire de Paris, membre de l’Académie de médecine, vice-président du Conseil d’hygiène publique et de salubrité de la Seine dresse un tableau inquiétant de la situation sanitaire de la ville capitale et de sa banlieue.

En cette année 1885, la pollution est déjà, si l’on peut dire, un problème dans l’air du temps à en croire le Dr Colin : « L'air des grands centres de population présente une quantité considérable de matières azotées. De ce fait de l'agglomération, il y a, pour ainsi dire, déjà dans l'air de la rue, quelque chose d'analogue à l'air confiné des habitations d'où, pour tous, prédisposition à ces affections dans le développement desquelles intervient l'action de l'homme sur l'homme et dont aujourd'hui l'expression dominante est la fièvre typhoïde. »

Des différences notables suivant les quartiers

L’autre conséquence du développement exponentiel de Paris, c'est sa division, sa fragmentation en quartiers notablement différents les uns des autres, quartiers riches ou quartiers pauvres, quartiers industriels ou quartiers de rentiers, d'où la non-identité de prédisposition des diverses régions de la ville aux maladies épidémiques.

Ainsi le Xle arrondissement (Popincourt) semble particulièrement insalubre, quartier « encombré encore aujourd'hui des nombreux établissements industriels qui y avaient trouvé naturellement place, il y a quarante ans, alors que la plus grande partie du sol était consacrée aux cultures maraîchères et que l'arrondissement ne comprenait que 80000 habitants, tandis qu'aujourd'hui il en renferme 215000; infecté en outre par une quantité de garnis ou de logements insalubres qui ont valu spécialement au quartier Sainte-Marguerite son odieuse célébrité. » Du côté des Buttes-Chaumont, ce n’est guère mieux tant il y a là « d'immeubles qui ne méritent pas le nom de maisons, qui sont déclarés absolument inhabitables et qu'il est temps de voir interdire par l'autorité supérieure ».

Dans les arrondissements périphériques, Colin note une prédominance des « maladies populaires », à l’exception du XVIe arrondissement qui, relativement respecté par l'envahissement industriel , peut compter parmi les plus salubres de la capitale. Ainsi, selon Bertillon, cité dans le rapport, « le nombre des décès par rougeole paraît en relation étroite avec l'état d'aisance des habitants de chaque arrondissement. Ils sont beaucoup plus fréquents dans les quartiers excentriques que dans les quartiers du centre. Les seuls quartiers excentriques où la mortalité par rougeole soit faible sont la Muette, la Porte-Dauphine, les Bassins, les Ternes, la Plaine-Monceau, les Batignolles, qui sont habités en grande partie par une population aisée. »

La même observation peut s’appliquer à la coqueluche qui a causé dans l'ensemble de Paris 616 décès, soit 29,6 p. 100 000 habitants. Certains quartiers, comme ceux des Quinze-Vingts, du Combat, de la Gare et de Montparnasse ont eu 60, 64, 70 et 71 décès. Il en est de même de la diphthérie, de la fièvre typhoïde et du choléra de 1884 qui ont principalement sévi dans les quartiers périphériques et la banlieue voisine.

Dans le centre de Paris, s'il y a des arrondissements à peu près complètement salubres, comme le Ier (Louvre), le IXe (Opéra), plusieurs autres sont particulièrement insalubres comme le XIe et le IVe (Beaubourg) en raison de l’accumulation de « garnis » et plus encore le Ve (Panthéon), « cette partie du quartier de la Sorbonne comprise entre le quai et le boulevard Saint-Germain, région où se retrouvent les ruelles infectes du moyen âge, surchargées d'une population misérable et nomade, et où nous avons vu successivement s'implanter, avec une ténacité spéciale, la variole, la diphthérie, le choléra », écrit Colin.

La faute aux banlieues

Hormis les égouts qui, selon le rapport, répartissent, les influences morbides qui émanent des quartiers les plus isolés et les plus lointains, ce qui augmente la gravité de la situation sanitaire à Paris, « c'est l'augmentation incessante de l'importance des communes de la banlieue, presque contiguës à la capitale, et lui imposant les inconvénients de tous leurs vices hygiéniques et de leurs épidémies ».

Le Dr Léon Colin s’inquiète donc du développement des communes entourant la capitale qui ont pris « l'importance de véritables villes sans recevoir les aménagements hygiéniques qui, à notre époque,

devraient toujours précéder de semblables extensions et qui se trouvent ,aujourd'hui, sans ressources suffisantes, soit en eau potable, soit en eau d'arrosage, sans canalisations permettant l'évacuation sou-terraine des résidus industriels et ménagers, sans abattoirs publics, d'ou la nécessité d'autoriser les tueries particulières, ces foyers d'émanations putrides, insupportables, où la surveillance des viandes

est si difficile ».

Le Dr Colin s’inquiète surtout de la situation dans la banlieue nord où depuis des années prédominent la fièvre typhoïde et la diphtérie. « C'est là aussi, ajoute-t-il, qu'a trouvé son terrain le choléra, pouvant peut-être y rencontrer encore aujourd'hui, après son extinction en ville, des conditions de survivance qui imposent la continuation de la lutte entreprise pour l'assainissement de cette région ».

Le Dr Colin conclut son rapport, sans trop d’illusions, sachant bien que que le refoulement à distance suffisante de tous ces foyers d’insalubrité est une « tâche compliquée par les nombreuses difficultés économiques que soulèvent toujours le déplacement, la transformation ou l'interdiction des établissements industriels. » Et de prendre l’exemple d’ Aubervilliers, commune où il y aurait le plus urgence à agir. « La visite du quartier spécialement atteint en cette commune met en évidence des conditions d'insalubrité, générale et privée, d'un caractère bien attristant. Ce ne sont pas seulement les rues et les immeubles atteints qui sont malpropres c'est l'ensemble de la région dont l'atmosphère est infectée par les usines aux odeurs les plus repoussantes, notamment les deux dépotoirs Lesage, l'un au nord-est, l'autre au sud-ouest, de façon que, n'importe la direction du vent, lesémanations n'en sont jamais totalement perdues ; épurations d'huile, fonderies de graisse, passage des voitures transportant à la porcherie Souffrice les viandes de déchet des hôtels, des hôpitaux, boucheries, etc., sans parler d'industries innommées, comme celle qui vise et réalise, paraît-il, la transformation du poisson avarié en huile d'olive ! ».


Source : lequotidiendumedecin.fr