Pr François Bourdillon , directeur de SPF : « Parler d’alcool en France n’est pas simple »

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Publié le 07/06/2019
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Lors des troisièmes rencontres annuelles de Santé publique France organisées à Paris, son directeur général, le Pr François Bourdillon, arrivé au terme de son mandat, dresse le bilan de son action. Il se réjouit notamment des bons résultats contre le tabagisme et de la campagne de communication sur les dangers de l’alcool. Selon lui, l’enjeu sera de renforcer les actions de prévention auprès des 40-50 ans pour améliorer le vieillissement.
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Crédit photo : GARO/PHANIE

Quels ont été les points forts de ces troisièmes rencontres de Santé publique France ?

Pr François Bourdillon : Ces rencontres, qui ont rassemblé environ 1 200 personnes, ont été surtout axées sur les outils innovants mis en place par l’agence et répondant à un impératif d’exigence scientifique pour moderniser l’approche de la santé publique. Un focus a par exemple porté sur l’exposome, qui désigne l’ensemble des expositions à des facteurs environnementaux subies par les organismes. Aujourd’hui, une approche globale met en exergue la notion d’exposition dans le temps, avec l’analyse d’effets cocktail. Nous avons également mis en avant la dimension “santé publique” de la microbiologie en faisant le lien entre une alerte liée à un foyer infectieux et les investigations de terrain, et en utilisant des outils de séquençage des agents infectieux en cause.  

Quel bilan tirez-vous de ces années passées à la tête de Santé publique France ?

Pr F. B. : Ces troisièmes rencontres ont bien montré que nous sommes désormais dans une santé publique moderne. Ainsi, l’agence a développé ​Géodes, un observatoire cartographique portant sur 40 thématiques avec 300 indicateurs qui permet d’établir une véritable “météo” des maladies. Santé publique France a aussi mis en place le marketing social sur des bases scientifiques. Il intègre à la fois des données de la connaissance des comportements de perception, la capacité de cibler des populations notamment grâce aux réseaux sociaux, la mobilisation des relais sur l’ensemble du territoire, l’utilisation des données des sciences de la communication, etc. Enfin, l’agence est capable d’évaluer ses propres stratégies.  

Votre engagement contre l’alcool a-t-il été un combat difficile ?

Pr F. B. : Oui, il faut se souvenir d’où nous partions. En 2014, nous étions surtout focalisés sur la Journée de sensibilisation du syndrome d’alcoolisation fœtale du 9 septembre. Et presque rien d’autre. Nous produisions de nombreux articles sur le tabac pour le BEH, et pratiquement aucun sur l’alcool. Il a donc fallu tout construire : définir de nouveaux repères de consommation, connaître la perception et la consommation d’alcool des Français, mesurer l’impact de ces consommations en termes de morbidité et mortalité. Après avoir établi ces nouveaux repères de consommation avec l’Inca (lire Le Généraliste n°2862, NDLR), des campagnes d’information destinées aux professionnels de santé et au grand public ont été lancées sur trois cibles : buveurs réguliers, jeunes et femmes enceintes. Aujourd’hui, 76 % respectent ces repères de consommation, chiffre qu’il faut bien sûr améliorer. Au final, au conseil interministériel sur la santé, le Premier ministre a annoncé le lancement de la campagne contre l’alcool. Le travail de médiation visant à mettre le sujet sur la table dans notre pays n’a pas été simple.  

Quelles sont les actions majeures à venir ?

Pr F. B. : Les chantiers sont nombreux. Notre prévention doit sans doute cibler davantage les 40-50 ans, le but étant d’améliorer le vieillissement ultérieur. à mi-vie, il nous faut intervenir sur le tabac, l’alcool, l’alimentation et l’activité physique, mais aussi sur le diabète, l’HTA et les dyslipidémies qui sont des facteurs de risque majeurs. Aujourd’hui, dans ces domaines, nos indicateurs de repérage, de dépistage et de prise en charge ne sont pas bons. Un autre grand sujet est de mieux prendre en compte les
impacts de l’environnement et du travail sur la santé. Je suis convaincu que la fraction attribuable à l’environnement sur la morbi-mortalité est plus importante qu’on ne le pense. Par ailleurs, à l’avenir, le travail de l’agence devra se faire en intégrant la dimension économique, notamment du retour sur investissement, en s’inspirant du travail de notre homologue anglais, Public Health England, qui oriente ses choix en fonction d’éléments économiques

Propos recueillis par le Dr Nicolas Evrard

Source : lequotidiendumedecin.fr