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L’été des remises en question ?

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Publié le 05/09/2022
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Origine sérotoninergique de la dépression, cascade amyloïde dans Alzheimer, risques liés à l’alcool… Cet été, plusieurs préceptes bien ancrés en médecine ont été remis en question par des publications très relayées… mais dont les résultats ont parfois été surinterprétés.

Crédit photo : DAVID MACK/SPL/PHANIE

Dépression : interrogations autour de la sérotonine

Et si la sérotonine (5-hydroxy­tryptamine, ou 5-HT) n’avait rien à voir avec la dépression ? Telle est l’éventualité évoquée suite à la publication d’une revue systématique de la littérature publiée le 20 juillet dans la revue Molecular Psychiatry – du groupe Nature Publishing.

« L’idée selon laquelle la dépression serait le résultat d’anomalies chimiques cérébrales concernant en particulier la sérotonine a été prégnante pendant des décennies et fournit encore une justification importante à l’utilisation d’antidépresseurs », rappellent les auteurs. Cependant, historiquement, cette assomption relève d’un postulat très théorique : comme l’explique le Pr Florian Ferreri, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), qui n’a pas contribué à l’article, l’hypothèse a été formulée face à l’apparente efficacité des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, qui suggère un rôle du neuromédiateur.

Ainsi, des cliniciens anglais, italiens et suisses comptant parmi leurs rangs des chefs de file du Critical Psychiatry Network, réseau de psychiatres sceptiques connu pour « remettre en cause certaines des hypothèses les plus profondément ancrées de la psychiatrie », ont voulu vérifier cette thèse. Ils ont conduit une étude de la littérature de type parapluie, soit « une synthèse des synthèses de la littérature déjà existantes – en ne retenant que les études chez l’Homme », précise le Pr Ferreri. Une démarche qui les a amenés à se pencher sur divers articles portant sur la concentration en sérotonine, en ses précurseurs ou en ses métabolites, de même que sur les niveaux d’activité ou d’expression de récepteurs ou transporteurs de la 5-HT, chez les sujets atteints de dépression.

Résultat : « Il n’y a aucune preuve convaincante montrant que la dépression est associée à des concentrations ou une activité sérotoninergiques abaissées, concluent les auteurs. La plupart des études n’ont trouvé aucune preuve d’une activité sérotoninergique diminuée chez les sujets souffrant de dépression en comparaison à ceux ne présentant pas de dépression, et des méthodes de réduction de la disponibilité de la 5-HT fondées sur une déplétion en précurseur n’ont pas significativement touché l’humeur des volontaires. » Même des travaux sur des anomalies génétiques du système sérotoninergique excluraient une association avec la dépression.
Avec un bémol toutefois : « Les auteurs expriment clairement un défaut de qualité de certaines études, (datées ou) conduites sur des échantillons trop peu vastes ou auprès de sujets recrutés sans précision sur une utilisation ultérieure d’anti­dépresseurs, etc. », observe le Pr Ferreri.

Quoi qu’il en soit, l’hypothèse sérotoninergique de la dépression n’est pas à abandonner définitivement. « Ce que dit ce papier, c’est que l’hypothèse sérotoninergique, bien que très ancrée, mérite encore d’être plus étudiée et affinée », souligne le Pr Ferreri. Par ailleurs, « cet article ne porte pas sur l’efficacité des antidépresseurs, aucun essai clinique n’ayant été inclus », insiste le psychiatre, pour qui les ISRS et IRSNA gardent toute leur place.

L’alcool protecteur chez les plus de 40 ans ?

Non, après 40 ans, la consommation d’alcool ne présente pas de bénéfices pour la santé. C’est pourtant ce que certains ont avancé suite à la parution, mi-juillet, du volet 2020 de la Global Burden of Disease Study consacrée au fardeau lié à l’alcool.

En fait, le contexte est marqué par la persistance de l’idée selon laquelle une consommation modérée d’alcool s’avérerait bénéfique pour la santé. « Un genre de messages qui pénètre très bien dans l’opinion publique et même chez les professionnels de santé », relève le neurobiologiste Mickael Naassila, président de Société française d’alcoologie (SFA).

La Global Burden of Disease Study, financée par la Fondation Bill et Melinda Gates, est une méta-analyse qui vise à estimer l’impact de pathologies ou risques très répandus dans le monde sur la morbidité et la mortalité, rappelle le Pr Naassila. Concernant le fardeau lié à l’alcool, un premier volet de l’étude avait conclu en 2018 qu’il n’existe pas « de seuil au-dessous duquel il n’existerait pas de risque pour la santé », rappelle la SFA par communiqué. Principal apport de cette nouvelle édition : « actualiser les connaissances en prenant en compte l’âge, le sexe, la région, etc. », résume le Pr Naassila.

Résultat : « Cette étude fournit des preuves claires que le niveau de consommation d’alcool pour lequel les pertes de santé sont minimes varie considérablement d’une population à l’autre et reste nul ou très proche de zéro pour plusieurs groupes de population, en particulier celles des jeunes adultes », résume la SFA, suggérant que les repères pourraient être adaptés en fonction des publics, et durcis chez les jeunes. En effet, si la consommation à moindre risque se situe entre 0 et 1,9 verre par jour pour la population générale, chez les 15-39 ans, l’indicateur chute à moins de 0,6 verre par jour, pour une équivalence non-buveur (niveau de consommation auquel le risque pour la santé apparaît équivalent à celui d’un non-buveur) comprise entre 0,002 et 1,75 verre.

Chez les 40 ans et plus, les résultats prêtent davantage à confusion. Car dans cette classe d’âge, sont évoqués une consommation à moindre risque de 0,5 à 3,3 verres par jour et une équivalence non-buveur allant de 0,193 jusqu’à 6,94 verres. De plus, « chez les 40 et plus, la courbe du risque (associé à l’alcool) a une forme en J », indique l’étude. Des résultats face auxquels certains concluent à des effets bénéfiques d’une faible consommation d’alcool pour la santé dans cette tranche d’âge.

Mais, pour la SFA, « cette étude ne démontre en aucun cas l’existence de prétendus effets protecteurs de la consommation d’alcool à partir de 40 ans, et d’ailleurs elle ne met ni en avant ni ne discute cette éventualité ». Car comme le rappelle la société savante, « démontrer les effets protecteurs de faibles niveaux de consommation d’alcool nécessiterait un essai clinique contrôlé et randomisé ». En fait, « cette étude montre que, selon les deux critères estimés, chez les plus de 40 ans, le risque augmente à des niveaux plus élevés de consommation », qui restent toutefois « inférieurs à deux verres par jour » au regard du niveau minimum théorique d’exposition au risque.

Alzheimer : une fraude qui entache la théorie de la cascade amyloïde ?

«Un chercheur investiguant sur des images de neurosciences trouve des signes de fabrication dans des dizaines d’articles sur la maladie d’Alzheimer, menaçant une théorie dominante de la maladie. » Voilà comment la revue Science présente une de ses enquêtes, qui a beaucoup fait parler d’elle fin juillet et suggère l’existence de fraudes scientifiques remettant en cause la théorie selon laquelle la maladie d’Alzheimer serait liée à une cascade amyloïde.

Pour rappel, la maladie d’Alzheimer est associée à des dépôts de protéines Tau hyperphosphorylées et à des plaques de peptides β-amyloïdes. Si le mécanisme physiopathologique à l’origine de la démence n’est pas élucidé, l’hypothèse d’un phénomène en cascade avec accumulation cérébrale de peptides β-amyloïdes est aujourd’hui privilégiée. « Une supposition étayée par la découverte de formes génétiques de maladie d’Alzheimer dans les années 1990, avec des mutations dans les gènes APP et présénilines capables de provoquer l’apparition de lésions amyloïdes précoces et la démence », souligne Marie-Claude Potier, coresponsable de l’équipe Maladie d’Alzheimer, maladies à prions à l’Institut du cerveau.

Mais même si « la génétique parle », des questions restent en suspens. D’où des débats persistants entre défenseurs et détracteurs de la théorie amyloïde. « On ne connaît pas complètement le décours temporel de la cascade, et on ne sait pas tout des interactions entre mécanismes amyloïde et Tau », rapporte le Dr Potier. Un enjeu majeur reste aussi de détecter les espèces moléculaires toxiques ayant un rôle clé dans la cascade, qui pourraient constituer des cibles thérapeutiques. C’est sur des travaux relevant de ce dernier axe de recherche que porte le rapport relayé par Science.

À l’origine de ce rapport se trouve un candidat médicament, le simufilam, de l’américain Cassava Sciences. Ce traitement est présenté comme actif sur la filamine A, molécule qui pourrait stabiliser les plaques amyloïdes en empêchant l’auto-agrégation d’un de ces peptides potentiellement très toxiques, l’Aβ42. Problème : deux neuro­scientifiques ont émis des doutes quant à ce rationnel et employé, par avocat interposé, un expert pour évaluer les recherches qui le décrivent.

Ce spécialiste a repéré des « images dupliquées dans des douzaines d’articles », précise Science. Et en examinant d’autres publications des auteurs impliqués, l’expert pointe en particulier les travaux du chercheur Sylvain Lesné, connu pour avoir identifié une autre molécule possiblement charnière dans la cascade : l’oligomère Aβ*56, associé, selon ses expériences – jamais reproduites –, à un déclenchement de la démence chez le rat. Or les études consacrées à Aβ*56 comporteraient aussi des indices de fabrication d’images, notamment de western blot.

Quoi qu’il en soit, pour le Dr Potier, même si la fraude se vérifiait, l’hypothèse de la cascade amyloïde ne serait pas remise en cause. Car les doutes ne concerneraient que certaines molécules parmi toutes celles potentiellement toxiques, estime la chercheuse. De même, les soupçons n’affectent a priori pas les résultats des tests conduits sur des candidats médicaments dirigés contre d’autres cibles – anticorps anti-amyloïdes, thérapies antisens et oligo­antisens ciblant la protéine Tau hyperphosphorylée – ni les autres axes de recherche.


Source : lequotidiendumedecin.fr